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par le Dr Raymond Vergès

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Des secrets mal gardés



OMC :

mardi 5 août 2008


Utilisant la séduction parmi d’autres méthodes pour diviser les rangs, les représentants des nations industrialisées auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ont travaillé chacun de leur côté, ou parfois en commun, en poursuivant le même objectif : céder seulement sur l’accessoire pour obtenir en échange tout ce qu’ils veulent.


Il suffit de dire que la proposition faite par l’Union européenne sous le titre de “Diminution des subventions à sa production agricole” consiste à éliminer leurs excédents de production. La proposition constitue un retour en arrière d’une dizaine d’années, quand cet ensemble de nations a osé jeter à la poubelle ou détruire des tonnes d’aliments pour maintenir leurs prix à un niveau déterminé. Ce qu’il y avait de terrible dans cette décision résidait dans le fait qu’il y avait alors, proportionnellement et substantivement, autant de personnes souffrant de la faim dans le monde qu’il y en a actuellement. Mais la situation est encore plus grave aujourd’hui à cause des dangers qui rongent la planète, comme les crises financière et alimentaire qui montrent des symptômes inquiétants et qui laissent entrevoir un sombre futur.
Un simple exemple : au cours seulement des 9 derniers mois, le prix du riz a augmenté de 64% et celui du blé de 130%.

Le commissaire européen au Commerce, Peter Mandelson, a présenté de façon alléchante la proposition du vieux continent de baisser ses subventions agricoles de presque 100 milliards d’euros. Selon ses calculs, Bruxelles va réduire les aides d’environ 54%, tandis que les États-Unis, de leur côté, proposent des coupes similaires pour un montant de 15 milliards de dollars.
Insuffisantes, estiment les nations en développement qui attendent une diminution supérieure pour, en échange, ouvrir entièrement leurs marchés et baisser les droits de douane à l’entrée de produits industriels étrangers, appliqués comme une mesure d’autoprotection, face au protectionnisme féroce pratiqué entre les pays riches et entre ceux-ci et les pays pauvres.
Les nations émergentes, vastes, très peuplées et à la croissance économique vigoureuse, telles que la Chine, l’Inde et le Brésil, sont aujourd’hui dans de meilleures conditions pour négocier qu’il y a sept ans.

Les nations moins favorisées ont gardé à l’esprit ce qui s’est passé avec l’Uruguay Round (1986-1993) et elles ne veulent pas que l’issue des négociations soit la même, un cycle de négociations qui s’était ensuite prolongé par des conversations sur les ouvertures et les échanges commerciaux quand le GATT existait encore (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), un organisme qui a été remplacé depuis lors par l’OMC.
Et ils ne veulent pas un dénouement semblable car ce cycle s’était terminé en cédant devant ceux qui tirent toujours les marrons du feu, à cause de leurs menaces ou la docilité intéressée de ceux qui ne sont pas toujours payés de retour. Leurs revendications sont semblables à celles de ce cycle de Doha : les pays émergeants plaident pour un meilleur accès aux marchés agricoles des nations riches, alors que celles-ci souhaitent une plus grande ouverture pour leurs exportations industrielles et leurs services à forte valeur ajoutée, y compris les assurances qui font partie de ce qu’ils appellent les produits intangibles.

Le nom a ensuite changé, mais pas le contenu. C’est encore pire, déclarent les membres de Via Campesina, une organisation altermondialiste qui, durant les conversations ministérielles de l’OMC à Genève, s’est réunie aux Canaries pour analyser le problème d’un point de vue moins égoïste, à partir de la revendication de la souveraineté alimentaire des peuples et du droit de protéger leur propre production.

Ils considèrent que ce sujet ne devrait pas être traité à l’intérieur de l’OMC car ses principes sont de nature néolibérale. « L’ouverture des frontières profitera seulement à quelques multinationales », a affirmé José Bové, célèbre militant français, qui assure que seulement 10% de toute la production planétaire est exportée d’un continent à un autre, d’où sa question : « Pourquoi défavoriser 90% de la production alimentaire pour favoriser ces 10% ».

Paul Nicholson, coordinateur en Europe de Via Campesina, a déclaré de son côté lors de cette réunion alternative que la crise actuelle « n’est pas une crise de production, ce sont les politiques adoptées qui entraînent un cadre spéculatif pour les aliments ». L’accord que l’OMC négocie en Suisse « aggrave la crise alimentaire et agricole dans le monde entier. C’est un mauvais accord pour toute l’agriculture familiale... », car il « favorise l’agriculture industrielle liée aux transnationales, une agriculture sans agriculteurs » (car il favorise des cultures qui nécessitent peu de main d’œuvre, comme le soja, pour les biocarburants).

Ils estiment que ce n’est pas dans ce contexte simplement mercantile, avec les ambitions manifestes des gagnants de toujours, que les problèmes agricoles doivent être discutés, surtout durant cette période.
Ils ont sans doute raison, mais voici que j’apprends, en écrivant cet article, que les débats à Genève ont pris du retard, à cause de crocs-en-jambe et de chausse-trappes (comment proposer au Brésil un achat massif d’éthanol en échange de l’offre de l’UE et convaincre son groupe d’accepter cette proposition), tandis que les divergences entre les Etats-Unis et l’Europe continuent et que les membres du Pacte communautaire affichent leurs divisions. L’Italie et l’Irlande estimaient que les propositions de dernière heure faites par Pascal Lamy au nom de l’OMC étaient déséquilibrées, tandis que la Suède y était favorable.

Qu’il y ait des divisions entre les 27 membres de l’UE n’est pas une nouveauté. Il faut souligner la position de la France, plus réticente, d’abord à cause de son poids considérable dans la production agricole continentale et par conséquent plus avantagée par les fonds communs qui sont accordés pour les subventions, et par la position de son président actuel Nicolas Sarkozy, peu enclin à faire de nombreuses concessions aux pays pauvres.
Au milieu des désaccords qui se font jour, un critère doit apparaître en fonction des circonstances car il ne s’agit pas seulement de savoir si les résultats d’un cycle de négociations sont positifs ou non, ce qui est en cause, c’est la viabilité et le bien-fondé du système multilatéral du commerce, car tout montre que l’actuel système est non seulement à bout de souffle, mais qu’il est simplement inutile.

 Elsa Claro, “Gramma” 


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