Assemblée générale de la SICAREVIA

Encore une année de vaches maigres...

18 juin 2008

Réunis en Assemblée générale vendredi, au Domaine des Pierres (Pierrefonds), les membres de la coopérative ont pris connaissance d’un rapport d’activité assez morose et de perspectives 2008 qui ne le sont pas moins.
Les appels du directeur, Luc Vuzé, à « poursuivre l’effort » et « améliorer la productivité » soulignent une situation de crise que ses imprécations contre les “brebis galeuses” de la filière bovine ne devraient pas aider à surmonter.

La filière bovine a des difficultés, elle a traversé une année 2007 marquée par le passage de Gamède et de lourdes pertes, une forte augmentation des intrants (en particulier des engrais) et un contexte de stagnation des ventes - pour cause d’envol des prix - qui renvoie à plus tard la sortie du “tunnel”. Cependant, les dirigeants de la Sicarevia affirment avec force avoir des solutions à tout. Le directeur accuse pêle-mêle « des articles de presse [d’avoir] semé le trouble » et l’ADEFAR (association d’éleveurs constituée au plus fort d’une crise dans laquelle ils n’ont pas trouvé l’aide de leurs institutions) d’être une « association de destruction », des gens qui « ruinent les efforts que vous faites et détournent les consommateurs ». Rien que cela... (voir nos éditions antérieures).
C’est peut-être prêter beaucoup de pouvoir à des éleveurs particulièrement abattus par un cumul de difficultés. C’est aussi révélateur d’un état d’esprit, de dirigeants qui puisqu’ils ne peuvent plus nier la crise, cherchent des boucs émissaires.

M. Ménac (Distribution), Jean-Marc François (URCOOPA) Jean-Louis Caminade (EDE), Philippe Picard (ARP), Bertrand Malivert (vétérinaire conseil), Philippe Lecomte (CIRAD), Jean-Pierre Avril de la FRCA et le représentant d’une association de consommateurs (ORGECO).
Les éleveurs présents dans la salle ont été invités à écouter en silence les institutionnels et leurs invités et à attendre, pour s’exprimer, « des réunions de secteurs, en septembre ».
(Photo P.D.)

La consommation de viande bovine est « stagnante depuis 2004 », pour différentes raisons. Outre le fait que « 35% des Réunionnais ne mangent pas de viande de bœuf », un pouvoir d’achat laminé ne laisse que peu de choix aux consommateurs, qui ne consacreraient que 16% de leur budget à l’alimentation et dans cet ensemble, on ne trouve que 8 kg de viande bovine par habitant et par an.
Le passage de Gamède a causé la mort de 100 vaches et 300 petits veaux, et environ 300 avortements - pertes compensées par une « trésorerie exceptionnelle de 200.000 euros » dans les 10 jours, avec l’appui du Conseil général et de l’ARIBEV.
En réponse à la situation sanitaire qui a semé le désarroi chez de nombreux éleveurs depuis 2003, un plan d’action sur cinq ans a été initié l’an dernier, après un audit sanitaire réalisé par le GDS en 2006, sur l’IBR (Rhino Trachéite infectieuse bovine), la paratuberculose et la BVD (diarrhée virale bovine), à la demande du Conseil général. La Sicarevia a mobilisé 40.000 euros « pour les surcoûts d’analyse » et pense, après avoir établi un état des lieux, lancer un programme d’éradication. Pourquoi si tard ?

Dans les chiffres de l’activité 2007, la stagnation se lit dans un très léger tassement du chiffre d’affaires (-1,42%), tandis que la marge globale chute de près de 60% (- 947.431 euros), mais se trouve compensée par une subvention “cœur pays” augmentée de 1.334.608 euros - dont 178.000 euros versés aux éleveurs -, qui (avec la diminution des subventions à l’importation) fait passer le montant global des subventions de 1.788.165 euros à 3.068.591 euros. L’exercice 2007 dégage un résultat positif de près de 174.000 euros, affectés à différentes réserves, selon les résolutions adoptées après l’exposé des rapports.
Les perspectives pour 2008 laissant encore prévoir des hausses de prix, des mesures de compensation ont été mises en place dès le 1er janvier (voir ci-après). Mais l’essentiel d’une éventuelle amélioration tiendrait, selon les mesures annoncées par la Sicalait, dans la recherche de « gains de productivité ».
Après l’Assemblée générale, la Sicarevia avait organisé une “table-ronde” sur « la maîtrise des coûts de production en élevage bovins viande », animée par le directeur de Sagis, avec un représentant de la distribution alimentaire, l’URCOOPA, l’EDE (Chambre d’Agriculture), l’association réunionnaise pastorale (ARP), un vétérinaire conseil, un responsable élevage du CIRAD, le président de la FRCA et un éleveur fraîchement promu au conseil d’administration de la Sica. Il n’en est rien sorti de très nouveau, selon des éleveurs présents dans la salle : « Rien qu’on ne nous ait pas déjà dit depuis quinze ans » (voir plus loin). Il y avait beaucoup plus de monde à la soirée dansante - 640 inscrits - soit deux fois plus de “guincheurs” que d’éleveurs dans l’île - lesquels, pour la plupart, sont rentrés chez eux.

P. David


Prix du bœuf bloqué et baisse des coûts de production

Les deux principales mesures annoncées ont été :

- d’une part la compensation intégrale des surcoûts liés à la hausse des intrants (+ 80 euros par tonne d’engrais ; + 130 euros par tonne d’aliment bétail). Ces hausses ont été jusqu’ici répercutées sur des hausses de prix à l’éleveur (1,70 euros/kg augmenté de 0,90 euro) et à la consommation (+ 1,35 euro le kg de viande, porté à un prix moyen qui se situe entre 15 et 20 euros/kg) - ce qui peut faire comprendre la frilosité des consommateurs. Depuis le 1er mai et jusqu’à la fin de l’année « sauf événements exceptionnels », ces prix sont bloqués.

- D’autre part une incitation à maîtriser les coûts de production « au niveau de l’alimentation et de l’amendement qui représentent dans certains cas 80% des charges d’élevages ».

D’autre part, une convention de partenariat a été signée avec plusieurs partenaires pour la mise en œuvre de mesures qui « devraient produire leurs effets dans les prochains mois et permettre des gains de productivité dans les élevages ».

- avec la Chambre d’Agriculture pour améliorer le suivi technico-économique des exploitations ;

- avec le CIRAD pour des recherches appliquées en élevage (analyses de fourrage, productivité)

- avec l’association réunionnaise pastorale (ARP) pour une gestion fourragère en rotation et des essais de culture de maïs sur une période de fertilisation.

- Avec les provendiers pour améliorer l’alimentation.


Crise sanitaire ou crise structurelle ?
Et s’il fallait démocratiser la Sicarevia ?

Dans les difficultés rencontrées par les éleveurs, les membres de la coopérative ont augmenté, passant à 320 adhérents l’an dernier. Mais seuls environ 80 d’entre eux étaient présents à l’Assemblée générale - qui a pu se réunir normalement parce que cette minorité détient en réalité une majorité des parts de la société. Et en son sein, combien d’éleveurs ?

Les institutionnels, à la Sicarevia, se taillent “la part du lion” et les éleveurs semblent avoir de réelles difficultés à se faire entendre. Ainsi, cet actionnaire qui s’étonnait des disparités dans les pertes, après Gamède : il a perdu « 80.000 euros sur 157 bêtes importées » en dépit de l’aide du FODEBO. « La SICAREVIA n’a pas eu de perte. Il est anormal qu’une seule partie des éleveurs perdent de l’argent, alors que d’autres n’en perdent pas, voire en gagnent » a-t-il dit.
Quelques éleveurs sont venus entendre leurs dirigeants dans la table ronde et retrouver des collègues. « On croyait qu’une assemblée générale, c’était fait pour discuter » dira l’un d’eux, mi-figue mi-raisin, en aparté. Ils se sont faits rabrouer comme des cancres par un directeur raide comme un chef scout, parce qu’ils discutaient dans le fond de la salle.

Certains éleveurs estiment qu’au-delà des difficultés sanitaires que presque tous ont rencontré et rencontrent encore, le problème est avant tout structurel. « Vous avez compris que nous ne sommes pas ici dans le système “un homme, une voix” » dit l’un d’eux à Témoignages.
Mais la plaisanterie a un goût amer. « Presque tous les éleveurs souffrent » dit un autre. « Nous n’avons plus aucune marge de manœuvre et nous n’avons plus en main les leviers pour changer la donne. “On” décide pour nous de ce qui est bon pour nos élevages » poursuit-il. Pour eux, c’est la principale tare.
La crise de 2003 (et avant 2003) aurait-elle eu une telle ampleur dans une structure démocratique ? Il est permis d’en douter, tout comme il existe aussi des doutes sérieux sur la volonté des dirigeants actuels de réformer la structure... à moins que les éleveurs ne trouvent à se faire entendre.

P. D

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