“Les entreprises de La Réunion face à la mondialisation”

« Faites des alliances là où il faut »

12 avril 2008

Le TGV de la globalisation sillonne le monde à vive allure. Pour avoir sa place en classe affaire, il faut être rapide, flexible, innovant ; pour le conduire, il faut être le meilleur. La Réunion peut-elle prendre le train en marche ?

Suite à la réélection de François Caillé à la tête du MEDEF mardi soir, Fareed Jaunbocus, Directeur du Département Stratégie du cabinet De Chazal-Du Mée, a dépeint de façon succincte, mais non moins dynamique, la toile d’une économie mondialisée aux entrepreneurs réunionnais.

« Le 21ème siècle va appartenir à l’Asie »

Dans ce monde globalisé, il n’existe plus de frontières, la question de l’enclavement ne se pose plus : « le monde est devenu un seul territoire ». Les TIC ont détruit les barrières, démocratisé l’information, globalisé les attentes, le savoir, les masses.
2,1 millions de pages Web se créent par jour dans le monde, et bientôt, les nanotechnologies vont rendre tout ce que l’on a aujourd’hui caduque. « Un tsunami économique se dessine », lance Fareed Jaunbocus. Le monde se développe en une économie intégrée avec une compétitivité sur une échelle globale. Et les compétiteurs sont partout en quête constante de nouveaux marchés, tous aimantés par l’Afrique.
Ce qui semblait impossible hier est devenu réalité aujourd’hui : l’Inde, le Brésil et la Chine mènent le bal. La Chine, c’est 4% de croissance dans le secteur agricole, 22% dans celui des TIC ; c’est la conquête de la Lune en 2020, celle encore du marché du TGV, repris à la France... et Sarkozy qui peine à atteindre les 2% de croissance ! « La Chine a dramatiquement bougé dans une économie capitaliste, sans dire le mot ».
Selon la Banque Mondiale, 50% de la croissance mondiale sont localisés en Asie du Sud-Est : « Le 21ème siècle va appartenir à l’Asie ». L’Inde, c’est le pays de la créativité, de l’innovation technologique, de la sous-traitance. Ces pays émergents sont les « global player » qui, en 15 ans, ont multiplié par 6 la vitesse de l’industrie. « La globalisation réduit le prix de la chaussure pour l’enfant, mais enlève l’emploi de son père », concède aussi Fareed Jaunbocus. Et quand bien même les Etats-Unis, en pleine crise, accusent la Chine de bafouer les Droits de l’Homme en faisant travailler des enfants, le géant n’en a cure, lui qui, demain, risque d’acheter les “States”. La Chine continue sa progression. C’est ça la réalité de la globalisation, « un monde dans lequel les plus forts vont vivre ».

« Soit on s’adapte, soit on périt »

« Cela fait peur, les menaces sont nombreuses, accorde Fareed Jaunbocus face aux entrepreneurs réunionnais. Mais il faut oser voir différemment, avoir le courage de comprendre ce nouveau monde, de s’adapter à un travail qui change ». « Travailler dans ce nouveau monde est ambigu, risqué, difficile... la sécurité n’existe pas. Le stress progresse, tout le monde s’en plaint, et ce n’est pas fini. Soit on s’adapte, soit on périt ».
Et la France dans tout ça ? Les réformes institutionnelles et économiques enclenchées par Nicolas Sarkozy sont obligatoires, selon Fareed Jaunbocus, si ce pays veut être capable de s’adapter à cette nouvelle donne. Complexe pour la France des 35 heures, des 39 jours de congés payés, d’un des SMIC les plus élevés d’Europe, des grèves à répétition... de s’inscrire dans cette mouvance mondiale du 24h/24 et 7j/7 où l’on ne connaît pas le Code du Travail, où une immigration virtuelle via les technologies privent les salariés de leurs emplois.
Comment, à partir de tous ces éléments, avec une main d’œuvre "trop chère" qui pousse à la délocalisation, attirer les investisseurs en France ? Pour être compétitif, il faut revoir le modèle des entreprises, mettre l’accès sur des potentiels d’attractivité. « La France bouge, craque... Dans le 11ème arrondissement à Paris, même le tabac est chinois ». Les défis sont nombreux, les craintes énormes, et dans ce contexte de globalisation effrénée, La Réunion a ses propres challenges à relever.

« Votre avenir se décide à Shanghai »

La Réunion est-elle capable d’être moins dépendante de la France ? « La Réunion a toujours eu son regard tourné sur la France, un regard qui a traversé l’Afrique sans même regarder les opportunités qu’elle offre », constate Fareed Jaunbocus. Des opportunités que les pays émergeants s’empressent aujourd’hui de saisir. « Votre avenir se fait à Paris, mais se décide à Shanghai ». Elle a des faiblesses (une capacité à créer des emplois limitée, pas de matières premières...), mais aussi des atouts comme ses infrastructures de qualité, des installations portuaires à développer, et rapidement.
« Un potentiel sans résultat, c’est de l’impotence. Le sommeil, c’est la mort. Faites des alliances là ou il faut », invite Fareed Jaunbocus, qui constate que les acteurs locaux sont déjà en train de se fédérer.
« Dans les affaires, il faut établir un état d’urgence, créer tous ensemble des coalitions, développer une vision et des stratégies. Il faut être prêt à détruire pour reconstruire : pour changer le jeu, il faut changer les mauvaises habitudes. Le monde demande de la vitesse d’exécution, de la flexibilité, de l’innovation ». Mais la performance financière doit passer par la performance client et la performance des ressources humaines.
Dans un monde globalisé, c’est le style de management qui fera la différence ; réussir la globalisation, c’est se tourner vers le client, encore plus exigent. Les entreprises réunionnaises doivent ainsi avoir pour priorité la satisfaction du client. Elles doivent penser localement, mais agir globalement, et le contraire. Elles doivent s’adapter, se demander dans quel secteur elles sont les meilleures.
En clair, les entreprises réunionnaises doivent se tourner vers d’autres pays que la France. Elles doivent définir la nature du changement, réorganiser, transformer, réinventer, aider à construire la nouvelle image du pays pour que La Réunion parvienne à se démarquer dans un monde qui se globalise. « Il ne faut pas être affecté, mais infecté par la globalisation », trouver les projets, les idées, et réagir rapidement.

Stéphanie Longeras


La plus grande richesse est le travailleur

« Ce sera difficile pour le Réunionnais, mais la création de richesse reste les hommes », affirme Fareed Jaunbocus. En 2007, le BIT (Bureau International du Travail) déclarait que « le talent humain est le seul plus important facteur de productivité dans l’économie d’aujourd’hui ». Les DRH (Direction des Ressources Humaines) doivent laisser un peu leurs dossiers de côté pour se tourner davantage vers une stratégie de management.
Finie la pyramide hiérarchique avec en son sommet le chef d’entreprise : ce sont les employés et les clients qui doivent prendre sa place, être impliqués dans l’entreprise. L’entrepreneur doit être à la fois manageur, penseur global, expert financier, collaborateur doué de sensibilité, voire « maternel », selon l’Université d’Harvard (!).
« Le manageur a 2 carrières et 6 emplois dans sa vie ». Il ne peut espérer la performance financière que si la performance client et la performance en ressources humaines sont là. Les salariés doivent, eux, pouvoir travailler comme si l’entreprise leur appartenait.
« Il faut se motiver soi-même, avoir la capacité et la volonté d’apprendre tout au long de la vie, avec une gestion de soi-même adaptée, une capacité d’innovation, être capable de travailler en équipe sans définition et descriptif de poste. C’est ça l’intelligence ».


Commentaire

Fareed Jaunbocus est un performeur qui sait capter son auditoire. Ponctuée d’humour, d’images décalées, de chiffres clés, de petites phrases chocs, sa présentation power-point de la globalisation est implacable. C’est un excellent VRP de la mondialisation, un consultant redoutable qui a offert mardi une vraie séance de doping aux entrepreneurs réunionnais présents dans la salle.
La loi du plus fort ne date pas d’hier, mais la course au podium mondial s’apparente à un sprint sauvage où la chute ne pardonne pas, sans quoi l’on se fait rapidement écraser.
Il ne s’agit pas de s’opposer au changement, aux progrès technologiques, mais la fin justifie-t-elle tous les moyens ?
C’est vrai, on parle économie, pas philosophie, pas politique et encore moins Droits de l’Homme, “tarte à la crème” de la mondialisation où c’est bel et bien la fin qui justifie les moyens. Nous sommes condamnés à nous adapter à la loi du marché ou à figurer sur les étales muséales des archaïques de nos sociétés modernes. C’est Nietzsche, ou Friedrich, qui disait que la vraie liberté, c’était de ne pas avoir le choix. Alors, on est libre effectivement : de s’adapter ou de périr.
Se pose toujours et encore la question du partage de ces richesses engendrées par ce nouveau monde qui se nourrit de la force de travail des plus pauvres. Nous ne pourrons pas tous nous adapter. Nous ne pourrons pas tous prendre le train en marche. Nous ne pourrons pas tous préparer nos enfants à le faire.

SL

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