Bilan 2022 et perspectives 2023 pour l’agriculture réunionnaise par le président de la CGPER

Jean-Michel Moutama : « A nous de décider ce qui est bon pour notre territoire avec l’accompagnement de l’État »

31 décembre 2022

Jean-Michel Moutama, président de la CGPER, revient sur les événements qui ont marqué l’agriculture à La Réunion en 2022 et donne quelques perspectives pour la nouvelle année qui se profile. Pour la CGPER, le renforcement de la production locale est une nécessité, car en 2022 les Réunionnais ont payé cher le prix de la dépendance aux importations. La CGPER souhaite également que l’État soit plus dans une logique d’accompagnement et d’adaptation que dans le registre de l’application stricte de règlements qui ne sont pas adaptés à la réalité de l’agriculture réunionnaise.

2022 a vu l’entrée en vigueur de la nouvelle Convention canne, qu’a-t-elle apporté aux planteurs ?

Jean-Michel Moutama : La Convention canne prévoit une aide supplémentaire de l’État d’un montant de 14 millions d’euros destinée aux planteurs pour compenser la hausse du coût de production. Le CPCS a beaucoup travaillé pour arriver à ce résultat. Mais on a pu constater les difficultés à négocier avec l’industriel Tereos. Tereos ne voulait rien lâcher et son poids lui a même permis de faire fléchir le gouvernement. C’est l’État qui a mis la main à la poche pour augmenter le revenu des planteurs.

Axel Hoarau, secrétaire de la CGPER, Jean-Michel Moutama, président, Isidore Laravine, trésorier, Kalou Alanvert, 1er vice-président.

L’article 15bis Convention canne stipule un versement de cette aide de l’État de 14 millions en fonction du tonnage produit de manière dégressive. Mais dans son application, l’État a décidé d’un versement à l’hectare. Quelles sont les conséquences ?

Jean-Michel Moutama : L’État n’a pas respecté sa signature et ne compte pas le faire sous couvert des réglements européens. Néanmoins, nous faisons le constat que les intrants ont augmenté de plus de 100 %, le changement climatique amène la sécheresse, les rendements diminuent. C’est pourquoi nous ne sommes pas fermés à une aide découplée de la production. Une aide à l’hectare peut être intéressante mais à condition de favoriser les petites exploitations qui ont le plus grand besoin d’être soutenue. Nous ne sommes pas fermés au paiement à l’hectare. Pourquoi alors ne pas mettre en place une aide dégressive, sur le même principe que l’aide à la production, avec comme base 1500 euros par hectare pour les plus petites exploitations. Dès la rentrée, ce sujet doit être mis sur la table au sein de l’interprofession pour une entrée en vigueur en 2023.

Comment expliquer que la campagne 2022 n’ait permis de récolter qu’à peine 1,3 million de tonnes de cannes ?

Jean-Michel Moutama : La Réunion a été touchée en début d’année par deux cyclones, Batsiraï et Emnati, qui ont fait d’importants dégâts. Le changement climatique est là depuis plusieurs années déjà. L’Union européenne a imposé une diminution de l’utilisation des molécules herbicides, mais sans donner d’alternative pour compenser les pertes de rendement inévitables. Les planteurs ont également dû faire face à un manque de main d’œuvre et surtout à une hausse spectaculaire des intrants. Tous ces facteurs ont contribué à une baisse des rendements.
Il sera donc compliqué dans les conditions actuelles de renouer avec 1,850 million de tonnes de cannes récoltées annuellement. Le petit agriculteur ne pourra plus fertiliser correctement avec l’engrais à 1500 euros la tonne. Le plan de résilience de l’État ne correspond pas à la situation de La Réunion, très différente de la métropole. Seulement une quinzaine agriculteurs sur plus de 2400 planteurs ont fait appel à ce plan et aucune proposition du DAF Réunion n’est mis sur la table pour faire que ce plan de résilience soit efficace pour nos entreprises.
Ce qui a contribué également à ce résultat est l’initiative de la majorité arrivée aux affaires à la Chambre d’agriculture de faire croire à une nouvelle équipe arrivée dans les différents ministères (Outre-mer, Agriculture) que la canne bio allait sauver la filière. La Chambre verte a mis en place ASKABIO, Association Suc kann bio. Ils ont signé en grandes pompes un document avec Carrefour France sur le stand de l’ODEADOM au Salon de l’agriculture 2020. Ce serait un contrat fourniture de 5000 tonnes de sucre bio alors que rien de concret n’est sorti jusqu’à présent. D’après la Chambre d’agriculture, cela intéresserait une cinquantaine de producteurs sur plus 2400.
Mais les planteurs se sont posés des questions… Planter en bio nécessite 3 ans de conversion sans utiliser de produits, quel accompagnement ? Une réflexion devait être faite avant de partir signer un contrat, pour savoir où tout cela allait nous mener, on a mis la charrue avant les boeufs. Cette initiative a déstabilisé planteurs et administration. Au final, jusqu’à preuve du contraire c’est une coquille vide.
Je suis étonné par le silence de Tereos sur le résultat de cette campagne. L’industriel ne réagit pas, la baisse du tonnage ne semble pas l’inquiéter, pas de prise de position publique sur ce sujet. Je pose alors la question : cette diminution de tonnage ne lui convient-elle pas ? Je rappelle qu’une bonne partie des aides publiques perçues par Tereos sont forfaitaires, et ne sont donc pas liées uniquement à la production de cannes.

Pour la CGPER, quels événements marquants ont concerné l’élevage en 2022 ?

Jean-Michel Moutama : Pour la CGPER, le principal événement a été la mise en place de l’Association des éleveurs et transformateurs indépendants de La Réunion (AETIR) présidée par Guy-Gilbert Alanvert, dit Kalou. De nombreux éleveurs ne font pas partie de coopératives, ils sont au moins 1500. Jusqu’alors, ils ne disposaient pas d’instance leur permettant de se faire entendre. La création de l’association leur permet d’avoir droit à une représentativité. L’AETIR est maintenant reconnue par les autorités. Les éleveurs indépendants sont donc associés aux décisions. C’est notamment le cas pour le protocole d’introduction des ruminants à La Réunion, au sein de l’Association réunionnaise interprofessionnelle pour l’importation des ruminants (ARIPIR).
Je rappelle que ces éleveurs indépendants sont un des piliers de l’agriculture réunionnaise pour deux points. Ils permettent à l’URCOOPA d’avoir un marché suffisant pour proposer des prix moins élevés à l’ensemble des éleveurs, y compris ceux en coopérative. Nous avons donc tous intérêt à travailler ensemble et à ne pas tirer les uns contre les autres. Ces éleveurs indépendants sont au cœur d’un modèle traditionnel de polyculture élevage, où l’élevage apporte un revenu complémentaire suffisant pour permettre une viabilité de ce type d’exploitation.

La situation des éleveurs indépendants peut-elle encore être améliorée ?

Jean-Michel Moutama : Je constate que les éleveurs adhérents d’une structure organisée bénéficient d’un accompagnement d’ingénierie pour monter des projets financés par les aides publiques, notamment européennes, car le montage des dossiers est complexe pour accéder à ces aides. Il existe en effet une structure mise sur pied par la Fédération réunionnaise des coopératives agricoles (FRCA) qui a cette compétence d’ingénierie pour monter les dossiers. Mais quel éleveur indépendant peut-il se payer les services d’une telle structure d’ingénierie ?
Selon moi, il est de la responsabilité de la Chambre d’agriculture de monter une telle structure au service des éleveurs indépendants. Le rôle d’une Chambre d’agriculture est d’accompagner les éleveurs dans ces démarches. Sur ce point, il y a un gros manquement de la part de l’équipe en place.

Depuis plusieurs années, la CGPER milite pour améliorer le fonctionnement du GDS. Quelles ont été les évolutions sur ce dossier en 2022 ?

Jean-Michel Moutama : En 2019 nous avons dénoncé le fonctionnement du Groupe de défense sanitaire. En 2022 la Cour d’appel nous a donné raison. L’ensemble des filières est monté au créneau pour interpeller le préfet sur la question du fonctionnement du GDS. Certains pensent gérer le GDS comme une entreprise personnelle mais cela ne peut être le cas, car le GDS fédère 1600 adhérents.
En 2022, les apiculteurs durent faire face à un ravageur dans les ruches. Des cas de grippe aviaires ont été détectés. Un GDS doit être prêt à agir immédiatement pour parer à de telles éventualités, mais au vu des problèmes de fonctionnement, en est-il capable si d’autres menaces se présentaient.
Une suspicion de fièvre aphteuse est annoncée aux Comores, avec le risque de contaminer Mayotte, voire La Réunion. C’est un risque énorme pour nos élevages, avec un GDS aussi défaillant, que pourrait-il se passer ?
Or, le GDS exerce des missions qui lui sont confiées par l’État. L’État et le Département sont également financeurs du GDS. C’est pourquoi j’estime qu’ils doivent davantage s’impliquer pour mettre de l’ordre dans le GDS.

2022 a vu également la poursuite du Plan leucose. Pour la CGPER, quel a été l’impact pour les éleveurs ?

Jean-Michel Moutama : La leucose est une maladie qu’il faut absolument éradiquer. Mais l’État a oublié que ce plan allait entraîner des difficultés, notamment pour les éleveurs indépendants. Pour eux, il est en effet quasiment impossible d’acquérir à La Réunion des animaux reproducteurs sains. Ils doivent donc faire venir les animaux de métropole. Mais l’introduction a un coût que l’éleveur indépendant ne peut assumer seul.

La filière volaille a connu d’importantes restructurations, qu’en pense la CGPER ?

Jean-Michel Moutama : Sur la volaille, il existe une importante possibilité de développement à condition de travailler ensemble. Or, un des 2 groupements de production, Avipole, est dans une situation très conflictuelle depuis plusieurs mois avec l’abattoir, cela à terme risque de mettre en difficulté les 130 éleveurs de cette coopérative.
Un privé a pris le contrôle de l’abattoir, une structure coopérative portée par des générations d’éleveurs et financée par des fonds FEADER. Beaucoup de questions se posent !!! Si l’État ne se saisit pas de ce dossier rapidement, il risque d’avoir d’importante tensions dans cette filière en 2023.
Dans la volaille, environ 20.000 tonnes sont importées par an. Cela donne une idée des marges de manœuvre pour installer des jeunes éleveurs. Tout ceci ne doit pas être remis en cause pour une histoire d’ambition personnelle… que chacun prenne ses responsabilités.

Les cyclones ont eu un impact sur les fruits et légumes, avec l’envolée des prix payés par les consommateurs. Quelles sont les propositions de la CGPER face à une telle situation ?

Jean-Michel Moutama : Les cyclones ont en effet un impact sur la production. Parmi les causes : des installations qui ne sont pas suffisamment résistantes. Le Département, gestionnaire des fonds FEADER, aide les agriculteurs en finançant des serres, mais les critères doivent évoluer. Avec le changement climatique, c’est le risque de cyclones plus violents. Il est donc nécessaire de construire un nombre suffisant de serres anticycloniques. Elles coûtent plus cher que les serres traditionnelles, mais tout le monde sera gagnant.
En effet, d’une part la production est préservée. Il n’y a donc pas de pénurie après le cyclone ce qui évite l’explosion des prix pour la population. D’autre part, cela évite de reconstruire après chaque cyclone, donc cela évite des dépenses pour les maraîchers et les pouvoirs publics.
Par conséquent, les serres anticycloniques sont des structures adaptées pour limiter notre dépendance à l’extérieur dans le domaine des fruits et légumes.

Dans le maraîchage et la production fruitière, quels sont les points qui peuvent avancer rapidement ?

Jean-Michel Moutama : La CGPER souhaite le développement de la production de semences locales. Nous dépendons en effet beaucoup trop de l’extérieur dans ce domaine, et si les approvisionnements ne sont pas bien assurés, nous ne pouvons pas planter et donc produire. L’ARMEFLHOR a un rôle important à jouer pour cette production locale de semences.
Concernant les fruits, nous avons des difficultés récurrentes à exporter. Nous devons chaque année solliciter la Région pour avoir plus de moyens financiers pour avoir des avions cargos supplémentaires. Nous sommes trop tributaires d’un seul marché, l’Europe. La CGPER propose d’aller chercher d’autres débouchés que l’Europe. Au Moyen-Orient, il existe des pays qui ont un important pouvoir d’achat et qui sont prêts à mettre le prix pour des fruits de qualité.
C’est pourquoi la CGPER soutient le développement de l’aéroport de Pierrefonds, qui peut devenir une plate-forme d’exportation pour nos agriculteurs vers ces pays.

A l’heure où l’autosuffisance alimentaire s’impose de plus en plus dans le débat, quelles sont les principales propositions de la CGPER sur cette question ?

Jean-Michel Moutama : La CGPER soutient la recherche de débouchés pour la production locale. Nous saluons tous les progrès faits en matière de couverture de nos besoins par l’agriculture réunionnaise. Des leviers ne sont pas suffisamment exploités selon moi.
Comment en effet expliquer que dans la restauration collective, la part des produits de l’agriculture réunionnaise soit largement minoritaire ?
Pourquoi alors ne pas adapter les appels d’offres en fonction des contraintes de la production locale ? Il nous est souvent mis en avant des coûts supérieurs à ceux des importations. Mais à l’heure actuelle, en matière de coût, nous ne pouvons faire mieux. La qualité et la traçabilité se paient. Nos agriculteurs sont également face à la concurrence des produits de dégagement venus d’ailleurs.
Pour mettre les actes en accord avec les discours, il est important de réfléchir aux moyens que l’on donne pour la production locale et aux choix politiques pour la soutenir.
Dans ce débat sur l’autosuffisance alimentaire, la CGPER a constaté des demandes pour réduire la superficie de la canne à sucre au profit d’autres plantations.
La CGPER soutient ces différentes productions, mais il ne faut opposer les filières. Mais au vu du contexte économique et des contraintes environnementales, ces productions resteront des productions de niche. Par exemple, produire du riz à La Réunion a des limites qui sont rapidement atteintes. En effet, du riz réunionnais est vendu sur les marchés entre 8 et 10 euros le kilo. Rares sont ceux qui peuvent se permettre d’en acheter.
Pour la CGPER, l’autosuffisance alimentaire peut aussi s’appréhender sur un plan plus large, à l’échelle régionale. Nous pensons notamment que la coopération régionale a un rôle à jouer dans ce domaine. Par exemple, l’alimentation pour bétail provient largement de pays lointains, d’Amérique du Sud notamment. Pourquoi ne pas imaginer un partenariat gagnant-gagnant dans ce domaine avec Madagascar ?

L’État s’est fortement impliqué dans plusieurs dossiers, comment jugez-vous son action ?

Jean-Michel Moutama : La CGPER estime que l’État est dans son rôle quand il accompagne les projets que nous défendons. Malheureusement trop souvent, le rôle du DAAF est celui de se limiter à faire appliquer des règlements qui ne sont pas adaptés à notre situation. Les décisions sont toujours prises à Paris et nous notons un manque d’esprit d’initiative au sommet de la hiérarchie.
Ce n’est pas étonnant. Depuis quelque temps, les Directeurs de la DAAF qui se succèdent sont des fonctionnaires en fin de carrière. D’où une tendance légitime : expédier les affaires courantes sans se projeter suffisamment sur la perspective du développement. Résultat : la DAAF Réunion est à mon sens devenue une boîte aux lettres qui transmet uniquement à Paris. Pour la CGPER, ce n’est pas le rôle de l’État. On ne peut plus continuer comme cela.
Ici, la situation est très différente. C’est à nous, agriculteurs réunionnais, de décider ce qui est bon pour notre territoire avec l’accompagnement de l’État.
Les services de l’État doivent être là pour accompagner nos recherches de financement, pour travailler à voir dans la réglementation ce qui peut être adapté, et à accompagner les projets que nous voulons mettre en place.
Le domaine de la formation est un exemple. Aujourd’hui, on forme des gens pour devenir chef d’entreprise. Mais les surfaces manquent pour installer de jeunes chefs d’entreprise dans l’agriculture, l’île n’est pas extensible, d’autant plus qu’à cause d’un montant de pension trop faible, les plus anciens ne prennent pas leur retraite et continuent à travailler. Pendant ce temps, nous manquons de formations de salariés agricoles. Par exemple pour se former à gérer une porcherie ou un poulailler, on est obligé d’aller en métropole. Tout ceci doit être revu.

Quelles peuvent donc être les perspectives pour l’agriculture en 2023 ?

Jean-Michel Moutama : 2022 a montré le coût de la dépendance de La Réunion aux importations. Ce ne sont pas seulement les importations de fruits, légumes et autres produits alimentaires mais aussi les importations d’intrants indispensables à la production locale.
Il est donc important qu’en 2023, la prise de conscience de développer la production locale dans tous les domaines se renforce.
Je donne un exemple : le prix des engrais chimiques a été multiplié par deux car ils sont importés et leurs prix dépendent de la conjoncture internationale. Or, nous pouvons réduire notre dépendance aux engrais importés et mettant en place une gestion des effluents d’élevage pour les réutiliser dans nos cultures.
Cela montre l’importance de trouver les moyens pour discuter et parler d’une même voix pour faire avancer l’agriculture réunionnaise. La CGPER est partante, nous avons des propositions.

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