L’ADEFAR veut de « vraies solutions, avec les éleveurs »

12 juin 2008

Un groupe d’éleveurs a répondu hier au rapport d’inspection générale sur la filière lait et la situation sanitaire des cheptels - rapport remis au préfet en avril. Sans contester sur le fond les conclusions du rapport, ils en soulèvent plusieurs lacunes significatives et attendent surtout des autorités qu’elles prennent « une vraie décision », incluant un plan sanitaire global, pour permettre la relance des filières lait et viande, en y associant les éleveurs.

La conférence de presse tenue par l’ADEFAR, hier matin à la Chambre d’Agriculture, était tout sauf improvisée, même si elle semble en avoir surpris plus d’un. Depuis près d’un mois, les éleveurs adhérents de ce groupement constitué il a deux ans et demi préparent leurs arguments et questionnent les conclusions du rapport Ménard et Coustel, demandé par le Préfet Maccioni. C’est à partir de ce rapport que l’autorité préfectorale a préconisé la constitution d’un « comité stratégique d’orientation et de prospective de la filière lait », dont l’animation et la coordination sont confiées au sous-préfet de Saint-Pierre.

Venus avec leurs familles, les éleveurs - une trentaine d’adhérents à l’ADEFAR - voulaient surtout attirer l’attention sur la situation de ceux des leurs qui sont aujourd’hui complètement ruinés, ou très endettés, ceux dont les cheptels, toujours malades, fondent de mois en mois et dont les familles ne survivent que par les allocations familiales, ou les bons alimentaires du Secours catholique.
Onze éleveurs ont un dossier au tribunal, parce qu’ils ont choisi de porter plainte contre les Sica et parfois contre un vétérinaire, accusé de ne pas avoir transmis à temps, au principal intéressé, des informations essentielles. C’est ainsi que dans le cas des époux Rougemont, de la Plaine des Palmistes, un vétérinaire est désigné, dans un rapport d’expert auprès du tribunal, comme responsable de la faillite qui a contraint cette famille à la vente de tous ses biens (voir plus loin).
Tous ne sont pas allés en justice, mais ils sont quelques dizaines dont les exploitations traversent une situation dramatique, pas toujours passible d’un rétablissement. Cela fait beaucoup, sur un ensemble de 114 éleveurs de la filière lait. Ils étaient 144 en 2003. De plus, selon l’ADEFAR, « tous les cheptels sont contaminés ». « Le taux de mortalité est de plus de 40% ; le taux de renouvellement est à l’identique - ce qui veut dire qu’un éleveur qui a 40 bêtes doit renouveler tous les ans près de la moitié de son cheptel », expose Daniel Bègue, un ancien éleveur dont les troupeaux de chèvres et de bovins ont été contaminés par la leucose. Il a renoncé à l’élevage, non sans avoir fait faire de nombreuses analyses sanitaires par des laboratoires métropolitains dont les conclusions contredisent celles de la DSV (Direction des Services Vétérinaires).

Toujours selon l’ADEFAR, certaine « astuce » permettrait à la Sicalait de maintenir à flot un certain nombre d’éleveurs, très endettés et surtout très silencieux. Quant à eux, ils veulent plus de transparence de la part des institutions de la filière, que les responsabilités ne soient pas éludées et que les éleveurs soient associés à la recherche de solution. « On a reçu de l’argent de l’Europe. Il faut rendre des comptes. Aujourd’hui, on voit des départements mettre en place des plans sanitaires. Il faut pour La Réunion un plan sanitaire global, parce qu’ici, toutes les génisses se contaminent entre elles, dans l’atelier génisses de la Sicalait », poursuit Daniel Bègue.

Comment en est-on arrivé là ?
En partant du rapport Ménard et Coustel - qu’ils ont dû se procurer par leurs propres moyens, l’administration ne leur ayant délivré, il y a environ 15 jours, qu’une synthèse de 8 pages -, les éleveurs notent qu’il est aujourd’hui officiellement admis que le virus IBR a été importé en 2003. Ils ont passé ces cinq dernières années à se battre seuls pour faire reconnaître cette vérité. Elle est aujourd’hui admise, mais les éleveurs demandent qu’on en tire toutes les conclusions. « La charte sanitaire existe, mais elle n’a pas été respectée : qui a la charge de la faire respecter ? Qui réalise les quarantaines ? La recherche d’IBR n’est pas obligatoire, mais elle est indispensable. Les bêtes qui entrent sont la propriété des Sica. Une place est prévue sur les quais, or, les bêtes ont été livrées directement, et quelquefois, de nuit », accusent les éleveurs, qui pointent là la responsabilité de la Sicalait et des différents services de la filière chargés de faire appliquer les normes de sécurité.

Le problème qu’ils soulèvent, par cette conférence de presse, est que l’administration n’a reconnu que très tardivement une situation qui s’est installée sur plusieurs années et qui, selon l’ADEFAR, s’est traduite par la disparition de 29 exploitations et toucherait aujourd’hui tous les cheptels. « Les bêtes continuent de mourir. Nous avons vu sur de très nombreuses exploitations de l’île des éleveurs et des familles en situation de détresse. Mais l’administration fait comme si c’était des cas isolés », expose pour sa part Christophe Acquier, jeune éleveur laitier de la Plaine des Palmistes et président de l’ADEFAR.
Des cas isolés ? C’est en effet l’impression que l’on pouvait tirer de la lecture d’un passage du communiqué préfectoral du 12 février dernier, relevant que « si la majorité des éleveurs ayant reçu ces reproducteurs ont réussi à juguler cette maladie, certains éleveurs, dont l’assise économique et structurelle était en cours de consolidation, ont connu des difficultés qui ne sont pas résolues à ce jour ». Depuis le rendu du rapport Coustel et Ménard, la Préfecture a vérifié la nécessité de constituer un « comité stratégique », ce qui semble indiquer un changement d’échelle.
Mais tout concourt aussi à donner l’impression pénible que les autorités répètent, devant la situation sanitaire des exploitations - chèvres, moutons, bovins et même les lapins sont concernés -, l’attitude qu’elle a eu au tout début de l’épidémie de chikungunya. A-t-on vraiment pris la mesure du problème ? Et mesuré les risques sanitaires qu’il fait courir à la population ? Pourquoi, si la situation sanitaire est maîtrisée, le Directeur des services vétérinaires de La Réunion, Arnaud Martrenchar, a-t-il demandé au vétérinaire Gabriel Mouthon de ne pas diffuser son rapport sanitaire, dont certains aspects contredisaient sensiblement les conclusions du rapport officiel ?
Tant que le climat dominant sera celui de l’étouffement de l’information et des pressions exercées sur certains journalistes - hier, seuls Antenne Réunion et “Témoignages” étaient présents - on peut craindre que les autorités soient encore dans l’illusion d’un “contrôle de la situation”. Est-ce vraiment le cas ?

P. David


Le rapport Ménard et Coustel :

Un problème de « modèle de développement laitier »  ?

Gérard Coustel, présent dans l’île en février 2008 pour une mission d’inspection sanitaire, n’est pas un inconnu à La Réunion. Il était directeur des Services vétérinaires de l’île, de 1997 à 2000, avant de s’occuper de la santé animale au ministère de l’Agriculture. Il est revenu au début de cette année en tant qu’inspecteur général de la santé publique vétérinaire, alors que plusieurs éleveurs voyaient leurs bêtes mourir à un rythme élevé, suite à une contamination des cheptels par l’importation, en août 2003, de bêtes porteuses du virus de la Rhino Trachéite infectieuse bovine (IBR).
S’il n’était plus dans l’île à ce moment-là, est-il pour autant totalement exempt de critiques ? Ce n’est pas l’avis des éleveurs de l’ADEFAR, qui signalent que des problèmes sanitaires graves affectent les troupeaux de La Réunion depuis 1996 et que cela le situe à la fois comme juge et partie dans l’examen de la situation des cheptels réunionnais.
Jean-Noël Ménard, ingénieur du génie rural et des eaux et forêts, a mené une mission dans l’île au mois de mars 2008 sur les aspects économiques de la filière lait. Les deux rapports ont été remis conjointement.
On y lit notamment que bien que la collecte de lait dans l’île (en dessous des 25 millions de litres en 2007) ait pour objectif - fixé par la Sicalait - d’atteindre les 35 à 40 millions de litres dans les 10 ans à venir : « Le volume de lait collecté semble se stabiliser depuis 2003. Le développement de la production marque un pallier. L’objectif modéré de croissance annuelle de 4,5% que la filière s’est fixé pour la période du programme de développement rural 2007-2013 et pour le POSEI IV semble même, en définitive, trop ambitieux au regard de la quasi stagnation de la collecte des quatre dernières années ».
Et plus loin : « La croissance du troupeau bovin laitier réunionnais passe donc par un pallier depuis 2003, alors que les plans de développement laitiers tels que réformés en 1996 ont continué à fonctionner... La mesure finance l’accroissement du troupeau des élevages anciens et accompagne la capitalisation en cheptel de nouvelles exploitations créées par l’installation de jeunes éleveurs ».
Les appuis structurels sont toujours là, mais depuis 2003, ils sont inefficaces. Les éleveurs ont beau jeu de relever les silences du rapport sur « la référence 2003 », donnée sans plus d’explication. Le rapport note, sans se prononcer, que « les plus en difficulté rejettent sur la Sicalait la responsabilité de leur situation (...), soit se plaignent d’être laissés seuls face à leurs difficultés par les conseillers et la Direction de la Sicalait ».
Et les deux missionnés de relever « un climat de suspicion entre les institutions participant à l’accompagnement technique des éleveurs ». « Le dysfonctionnement constaté provient, à notre avis, principalement des ambiguïtés qui existent sur le modèle de développement laitier et sa traduction en matière de structure d’exploitation ».
« Est-ce là le fond du problème ? », s’étonnent les éleveurs, qui ne comprennent pas que le rapport n’aille pas plus loin sur « les vraies causes » de la stagnation de la production de lait et de la surmortalité. (Voir ci-après les questions des éleveurs).

P. D


Les éleveurs : « Nous ne sommes pas des incompétents »

Les experts reconnaissent que la filière lait stagne, que de nombreux dysfonctionnements ont entouré l’importation, en 2003, de bêtes contaminées (32% de morbidité, 15% de mortalité), que « l’analyse des causes de mortalité... met en évidence une surmortalité » (trois fois supérieure à ce qu’elle est en France-Ndlr). Mais ils affirment aussi que « les maladies contagieuses ont une faible incidence dans ces mortalités, alors que les facteurs liés à la conduite et à l’environnement de l’élevage sont de première importance (alimentation, accidents, lutte contre les vecteurs) ».
La colère des éleveurs est provoquée par ces accusations d’incompétences portées par un rapport dont ils contestent « l’objectivité ».
« Au début, on nous a accusés de vouloir détruire la filière. Maintenant, on nous fait passer pour des incompétents qui ne sauraient tout d’un coup plus soigner, ni nourrir leurs bêtes », protestent-il.
« De 1990 à 2003, la production de lait était en augmentation, donc les éleveurs étaient compétents, les infrastructures adaptées, et l’alimentation en quantité suffisante. Pourquoi les uns seraient-ils devenus incompétents ? D’autres ne sauraient plus nourrir leurs bêtes après 2003 ? Pourquoi refuser de reconnaître l’introduction de la nouvelle souche d’IBR et de FCO (la fièvre catarrhale du Mouton - Ndlr) à cette date dans le département ? ».
Un rapport de la DSV de 2003 cité par les éleveurs mentionne la déclaration d’un cas de FCO dans un cheptel récemment importé de Métropole et des dépistages de la brucellose révélant une présence endémique de la maladie « sur 80% des cheptels de bovins testés sur l’île ».
Pour les éleveurs, il est clair que l’origine des désordres de la filière lait est un problème sanitaire.

Les questions aux experts

A la lecture de certaines remarques du rapport, un éleveur de l’ADEFAR ironise : « Ce rapport est un peu comme la Bible. Il faut lire entre les lignes... On continue à envoyer de l’argent, mais à partir de 2003, rien ne va plus. Si toutes les mesures sont en place, pourquoi ce frein dans la croissance du troupeau ? ».
Et d’autres questions suivent : « Pourquoi passe-t-on sous silence l’approvisionnement et le fonctionnement de l’atelier créé à cette fin ? » (l’atelier génisse de la Sicalait-Ndlr). « Aucune prise de sang n’est effectuée lors de l’achat, alors qu’elle est obligatoire... A la livraison, l’éleveur qui fait confiance à la Sica reçoit un certificat de bonne santé et la bête de la main du responsable technique ou du vétérinaire sanitaire de la Sicalait », poursuivent les éleveurs.
« Pourquoi les experts ne parlent-ils pas du potentiel génétique de ces vaches (10.000 à 12.000 litres/vache), qui ne donnent qu’à moitié de ce potentiel ? ». Les éleveurs parlent de « variété inadaptée » importée suite à des « ententes » entre la Sicalait et ses fournisseurs métropolitains.
« Peut-on raisonnablement avancer qu’une “insuffisance de compétence” d’un éleveur, qu’une insuffisance d’alimentation, qu’une ambiguïté sur le modèle de développement laitier puissent être à l’origine de para tuberculose, d’IBR, BVD, RSV, PI.3, fièvre Q, chlamidiose, cowdriose, listériose, toxoplasmose, leptospirose, grande douve, petite douve, de suspicion d’ESB, de brucellose, tuberculose, leucoses...? ». Toutes maladies relevées lors d’autopsies.

Le cas Rougemont

Les Rougemont possèdent 30 ha à la Plaine des Palmistes. Ils y élevaient 182 vaches à lait qu’ils ont vu mourir les unes après les autres entre 2001 et 2006. En 2006, M. Rougemont, qui était administrateur de la Sicalait, a été exclu de l’organisme pour avoir dénoncé l’organisation de la collecte de lait qui, selon lui, « mélange le lait des animaux sains au lait des bêtes contaminées ». « J’ai été exclu parce que j’ai dit la vérité », dit-il aujourd’hui. Il n’est pas le seul à critiquer les conditions de la collecte du lait. Ses collègues de l’ADEFAR font observer qu’« après un cyclone, toutes les vaches sont sous antibiotique : le lait ne devrait pas être collecté » - une condition qui, selon eux, n’est pas respectée.
Aujourd’hui, les Rougemont n’ont plus une seule bête, mais encore 163.000 euros de dette et vivent avec quelque 700 euros qui leur sont attribués par la CAF. Ils ont porté plainte. Leur avocate a obtenu un rapport de contre-expertise, qui pointe la responsabilité d’un vétérinaire dans la faillite de cet éleveur.

P. D


La Chambre d’Agriculture continuera à militer pour la filière lait et les éleveurs

Suite à la conférence de presse hier matin dans les locaux de l’institution de I’ADEFAR, la Chambre d’Agriculture tenait à rappeler les points suivants :


- le Président étant hors du Département actuellement, il n’a pu assister à cette réunion programmé à la dernière minute. Tout a été fait pour accueillir I’ADEFAR dans les meilleures conditions.

- La Chambre d’Agriculture estime avoir fait ce qui est de son ressort en matière de remises gracieuses sur des dettes de ces éleveurs envers l’institution pour des sommes pouvant aller jusqu’à 7.500 euros. Par ailleurs, il a demandé le déblocage des passeports bovins pour les éleveurs en difficultés.

- A de nombreuses reprises, le Président de la Chambre d’Agriculture a tenté de jouer les médiateurs entre les parties concernées pour trouver une sortie favorable à l’ensemble des éleveurs laitiers en difficultés, mais la voie des procédures judiciaires étant choisie, il a été difficile d’arriver à une conciliation, compte tenu des fortes tensions, et seuls les tribunaux pourront mettre fin au conflit entre les éleveurs et la Sica Lait.

- C’est à la demande du Président de la Chambre d’Agriculture qu’une mission d’expertise conduite par les inspecteurs Ménard et Coustel a permis de dégager des bases de travail et l’institution a rappelé, lors de la mise en place du premier comité stratégique, qu’il fallait trouver des solutions aux drames familiaux dans nos campagnes.

La Chambre d’Agriculture comprend les difficultés des éleveurs et continuera à militer pour une solution durable à la filière lait et à ces éleveurs.

La Chambre d’Agriculture désigné comme pilote du groupe thématique "Quel modèle laitier pour demain " par le Préfet de La Réunion fera un travail sans parti pris, ni idée préconçue, mais avec l’idée de la viabilité et de la vivabilité des éleveurs et de leur famille. A cette fin, elle associera l’ensemble des partenaires de la filière, et l’ADEFAR aura toute sa place.

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Messages

  • Merci à ces éleveurs pour leur courage de prendre le risque de dénoncer la collusion [Sica-DSV-Véto]. C’est bien toute la chaîne de contrôle (que nous payons avec nos impôts) qui a failli, par paresse, inadvertance,incompétence ou consentement. J’espère que l’administration judiciaire saura le prouver et sanctionner les fonctionnaires responsables de cette gabegie. Mais bon, ne rêvons pas nous ne sommes qu’en France, comme l’a si bien dit Fabius : "responsable mais pas coupable"...

  • SALUT MES AMIE DE LADEFAR C DOMINIQUE LAMIE A JO JE PENSSE KE VOTRE COMBAT CONTINUE ET SABOUTIRA JE REPENSSE A CES PTIT RASSEMBLEMENT OU LON DISCUTER ET MANGER ENSEMBLE CETAIT CONVIVIALE UN PTIT COUCOU DES MIDI PYRENES CASELSARRASIN DANS LE TARN 82a toute la troupe et byzous a jo senè ses enfants et particulierement a ma ptite puce annais


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