L’investissement social

3 mars 2008

Décrétée priorité nationale, la question du pouvoir d’achat peine à devenir un enjeu municipal tant les querelles de “mairie” et de mandarinats locaux polluent le débat public...

Depuis août 2007 et la promulgation de la loi “TEPA” (Travail, Emploi, Pouvoir d’Achat) permettant l’exonération de charges sociales et d’impôt sur le revenu des heures supplémentaires, on a vu toutes les limites d’une réforme recherchant l’augmentation du pouvoir d’achat par l’augmentation de l’offre individuelle de travail. On a depuis annoncé une énième “mission de suivi” pour aider les entreprises à mettre en oeuvre les nouveaux dispositifs prévus par la loi... Et évoqué comme compléments de réformes, d’autres chantiers, l’un sur la réévaluation annuelle du SMIC, l’autre sur le fait de conditionner l’octroi des allégements de charges patronales au respect de l’obligation annuelle de négocier sur les salaires, un autre encore projetant de légiférer sur le développement de la concurrence au service des consommateurs, sans parler des essais de “traduction” des propositions de la commission Attali... Mais, pour l’instant, seule gronde et demeure la déception. Et les municipales s’annoncent bel et bien comme la fin de la récréation.

On ne devrait pourtant pas s’étonner d’être déçu ! Gosta Esping-Andersen (1), sociologue danois, professeur à l’université de Barcelone Pompeu Fabra, sait depuis longtemps déjà que derrière l’augmentation du pouvoir d’achat c’est la question plus globale de l’État-providence qui est en cause. Et d’affirmer la cruciale nécessité de refonder, demain, la croissance et le développement des sociétés sur des stratégies collectives d’investissement social.

En effet, les politiques sociales sont aujourd’hui « désajustées » autant socialement qu’économiquement. Elles sont jugées contre-productives, et en raison « de leur mode de financement et de la compétition fiscale entre les États » dénoncées à tort comme un coût. Sans partager toutes les solutions proposées par le sociologue, celui-ci met le doigt sur quelques dysfonctionnements fondamentaux : le fait, paradoxalement, que, au coeur de la nouvelle politique familiale, « le bien-être de la famille dans les sociétés contemporaines présuppose une dé-familialisation de certaines tâches ».

Le familialisme d’après-guerre ayant beaucoup contribué à structurer les problèmes de genre et d’iniquité actuels, et ne correspondant plus du tout au modèle monoparental et pluriel de la famille.

Par exemple, « si l’absence de solutions de garde abordables constitue un obstacle majeur à la fécondité, un service public de la petite enfance devrait permettre aux citoyens de fonder la famille qui correspond à leurs désirs ». Garantir véritablement l’égalité des chances des enfants, tel est l’enjeu social majeur. Et le financement public est ici un « pré-requis de l’équité et de la justice ». Faut-il rappeler qu’il est « établi que c’est au cours de la période préscolaire (0 à 6 ans) que les retours sur investissement sont les plus élevés, pour décliner de manière exponentielle par la suite ». En somme, cessons de contempler les désastres de la non-application du modèle « l’apprentissage engendre l’apprentissage ».

Rappelons, dans un même ordre d’idées, les propos de Claude Hagège soulignant que c’est « entre 3 et 4 ans, et 10 et 13 ans que la capacité d’apprentissage des langues est la plus forte » et qu’après 13 ans aussi, c’est quasiment peine perdue vu que « l’appareil articulatoire et phonatoire de l’enfant se fige ».

« Comment aider les familles à mieux investir dans leurs enfants », résume alors Gosta Esping-Andersen. En se gardant des dérives rentabilistes ou de l’entropie performatrice, les familles ont tout à gagner d’une revalorisation de la petite enfance au coeur du développement social. Comment, également, aider les hommes à « féminiser » leurs parcours de vie, demande également le sociologue...

Sachez messieurs, pour votre information, qu’il est prouvé que « la contribution du mari aux tâches ménagères fait diminuer les risques de séparation et de divorce ». De même, la possibilité de compter sur la participation du compagnon est un facteur décisif de fécondité chez les femmes qui travaillent !

Gosta Esping-Andersen ne joue pas un familialisme contre un autre. S’il est nécessaire de garantir un revenu minimal à toutes les familles (« donc de ne pas abandonner les anciennes politiques distributives, voire de les développer »), il est également nécessaire de favoriser le développement de modes collectifs de prise en charge des enfants qui garantissent une bonne socialisation durable.

(1) Trois leçons sur l’État-providence, présentation par Bruno Palier, Le Seuil, 2008.

Cynthia Fleury


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