La crise financière et ses enseignements - 2 -

11 septembre 2007

Fidèle à sa politique de posture, Sarkozy ne pouvait faire autrement que de réagir à la crise financière. Il a donc envoyé un message à Angela Merkel, présidente actuelle du G7 dans lequel il lui proposait d’« œuvrer à la transparence des marchés, principal instrument de régulation ». Berlin s’est contenté de constater : « Sarkozy rejoint le débat ». Il est vrai que lors de la dernière rencontre du G8 (le G7 + la Russie), en juin dernier, Angela Merkel avait fait des propositions proches de celles que fait aujourd’hui Sarkozy. Elle s’était, alors, heurtée à l’opposition immédiate de Bush et de Blair, mais Sarkozy était resté d’une rare discrétion.
De toute façon, les propositions de Sarkozy sont des plus limitées puisqu’il se refuse « à instaurer des mesures qui seraient de nature à rigidifier le financement de nos économies ». Ce qui revient à dire qu’il laissera les marchés financiers organiser eux-mêmes leurs transparences. Il rejoint en cela la Commission européenne qui ne veut « réglementer qu’en dernier ressort ».
Il n’y a là rien de nouveau sous le soleil. À chaque crise financière ce sont les mêmes discours qui sont tenus mais, en pratique, rien ne change. Les agences de notation sont de nouveau sur la sellette : elles l’étaient déjà lors de la faillite de l’entreprise américaine Enron en décembre 2001.

Les faux remèdes de Sarkozy

Malgré les admonestations de Sarkozy, les fameux “hedges funds” (fonds spéculatifs) ne changeront rien à leurs pratiques : la plupart d’entre eux ont leur siège social dans des paradis fiscaux qui sont la condition même de l’existence de la mondialisation libérale. Dans “Le Monde” du 17/08, l’économiste Elie Cohen précisait fort justement : « Nous vivons dans un monde d’innovation financière, qui passe par l’invention de nouveaux produits d’une complexité grandissante. Les inventeurs de ces produits jouent des différences de réglementation existant dans différents pays et secteurs de marché. Le régulateur court toujours après l’innovation et a toujours un temps de retard... »
Rien ne change donc car rien ne peut changer sans remettre en cause la mondialisation libérale et ses conditions mêmes d’existence : les paradis fiscaux, la fuite en avant dans des innovations financières de plus en plus risquées...
Cette volonté de transparence absolue relève de l’utopie néo-libérale, de la croyance en une possibilité d’« anticipation rationnelle » des acteurs économiques s’ils avaient connaissance de toutes les données des marchés. Cette connaissance est bien sûr impossible. Il n’est, surtout, pas sûr qu’elle change quoi que ce soit aux comportements des investisseurs. Comme le souligne Frédéric Lordon (“Finance internationale : les illusions de la transparence”, Critique internationale, janvier 2001), le comportement de ces investisseurs relèvent de considérations psychologiques beaucoup plus primaires. Ils sont soit « haussiers », soit « baissiers ». Et les informations provenant des marchés sont sélectionnées en fonction de ces deux comportements de base.
Lorsque les investisseurs sont « baissiers », ils ne veulent voir que les informations qui confortent ce comportement. Lundi 20 août, un des acteurs de la Bourse de Paris affirmait : « La seule bonne nouvelle, c’est qu’il n’y en ait pas de mauvaises... » En effet, à ce moment là, une seule mauvaise nouvelle aurait fait s’écrouler les cours. Lorsqu’ils sont « haussiers », leur regard est tout aussi sélectif et ne retient, là encore, que ce qui peut conforter ce comportement. Qui peut croire, en effet, que les fonds qui investissaient dans des CDO minés par les termites des “subprime” ne savaient pas qu’ils prenaient des risques ? Ne savaient-ils pas qu’un produit qui promet 15% de revenu est plus risqué qu’un produit qui s’en tient à 4% ? Les banques qui ont introduit ces produits dans leurs SICAV « sans risques » pouvaient-elles ignorer les risques qu’elles faisaient prendre à leurs clients ?
Quel investisseur peut ignorer que l’économie mondiale repose sur une montagne de dettes, sur l’endettement colossale des ménages américains (135% de leur revenu annuel contre 67% en France), sur l’énorme dette
internationale (3 000 milliards de dollars) des États-Unis ? Ces déséquilibres sont, aujourd’hui, mis sur le compte d’une « mondialisation heureuse » (P.A. Delhommais, Le Monde du 08/08/07) dans laquelle les excédents chinois viennent harmonieusement combler le déficit américain. On croirait lire Bernadin de Saint Pierre pour qui le melon a été divisé en tranches par la nature afin d’être mangé en famille... Mais, en cas de nouvelle crise se traduisant par une vente massive des bons du Trésor américain par la Banque Centrale chinoise ou les investisseurs japonais, la moindre information annonçant un nouveau creusement du déficit américain ne pourrait, alors, que provoquer un effondrement des cours boursiers.

Empêcher les marchés financiers de nuire

Tout le monde semble d’accord pour “réguler” les marchés financiers. Le problème - il n’est pas mince - est que le verbe “réguler” a deux sens totalement différents. Pour la droite et les néo-libéraux, « réguler » c’est assurer la stabilité financière, une hausse continue mais sans heurts de la valeur des actifs financiers. C’est, dans cette optique, balayer tous les obstacles à la libre circulation mondiale des capitaux. Contrairement à ce qu’affirme Sarkozy, ce que veulent instaurer la droite et le néo-libéraux, c’est bien “la loi de la jungle” mais une jungle où tous les obstacles entre les lions et les gazelles auraient disparu. Une jungle où lions et les lionnes pourraient augmenter graduellement leur consommation quotidienne de gazelles sans se heurter à l’effondrement de bulles spéculatives...
L’autre sens du mot “réguler” est diamétralement opposé au premier. Il ne s’agit plus d’écarter les obstacles qui gênent les prédateurs financiers mais au contraire de multiplier ces obstacles afin d’assurer un contrôle démocratique des marchés financiers. Aujourd’hui, la domination du capital s’appuie sur l’extrême mobilité des capitaux qui peuvent quitter, sans le moindre obstacle ou contrôle, un pays, une entreprise et ainsi ruiner une économie (le Mexique en 1994, l’Argentine en 2000) ou réduire d’un seul coup des milliers de salariés au chômage. Cette domination place l’économie mondiale en permanence au bord du gouffre, à la merci d’une crise systémique, d’un tsunami comme celui de 1929 dont les premières victimes seraient le salariat et la paysannerie pauvre. La crise financière actuelle indique clairement qu’il faut mettre fin à cette situation qui ne laisse pas d’autre choix que l’effondrement de l’économie mondiale ou l’encouragement à continuer de plus belle donné aux spéculateurs par les Banques centrales.
Les marchés financiers doivent être contrôlés, encadrés démocratiquement. Cela signifie la suppression des paradis fiscaux, la possibilité pour les États d’État d’imposer un contrôle des changes et des mouvements de capitaux, l’instauration d’une taxe (du type de la taxe Tobin) qui entrave la libre circulation des capitaux spéculatifs.
Le rôle de l’Union Européenne est déterminant dans ce processus. Avec une population supérieure à celle des États-Unis est un PIB des 2/3, elle a le poids nécessaire pour imposer un tel contrôle des capitaux. Mais il faudra pour cela remettre l’Union européenne sur ses pieds car, loin d’être une quelconque protection contre la mondialisation libérale, elle en est le moteur. L’Acte Unique de 1986 est l’acte fondateur de la libéralisation financière : il interdit toute entrave à la circulation de capitaux à l’intérieur de l’Union Européenne mais aussi entre l’Union Européenne et le reste du monde.

L’avenir de la crise et ses conséquences

Personne ne sait si la crise boursière est terminée. Chaque jour qui passe permet à la nervosité des marchés financiers de se calmer. Aujourd’hui, « une seule mauvaise nouvelle » ne ferait sans doute pas repartir la crise, mais plusieurs...
Les déséquilibres économiques, monétaires et financiers à l’origine de la crise n’ont pas été résorbés, au contraire. Pourtant ces déséquilibres et notamment le siphonage d’une grande partie de l’épargne mondiale par l’économie américaine ne pourront pas durer encore très longtemps.
Les liquidités injectées par les banques centrales afin de sauver les banques commerciales n’ont fait qu’encourager ces dernières à persévérer dans leurs pratiques et contribuent au gonflement de nouvelles bulles spéculatives. Quelques organismes de crédit hypothécaire à risque ont fait faillite, les fonds de placement ont essuyé 200 milliards de perte. Mais les premiers touchés sont les salariés des Etats-Unis : les centaines de milliers qui ont perdu leur logement, les dizaines de milliers qui sont licenciés par les banques ou les fonds de placement en difficulté.
Le dégonflement de la bulle immobilière américaine aura forcément des effets sur la croissance des États-Unis en diminuant brutalement la consommation des ménages. Les ménages qui voyaient la valeur de leur logement augmenter tous les jours se croyaient riches et consommaient. D’autant, qu’aux États-Unis, le crédit hypothécaire permet d’emprunter non seulement pour acheter un bien immobilier mais aussi des automobiles, des téléviseurs ou des ordinateurs. Une baisse de la croissance américaine, à fortiori une récession, réduirait les débouchés commerciaux de la Chine, du Japon, de l’Asie et de l’Europe. Elle aurait des conséquences négatives sur toute l’économie mondiale.
Les banques, les compagnies d’assurance (aux États-Unis, en Europe...) se referont une santé financière sur le dos de leurs clients en augmentant leurs taux, leurs commissions et leurs primes. Cela ne pourra que réduire la consommation et donc la croissance.
Les prévisions de croissance dans notre pays sont très mauvaises : 1,5% à 1,8% en 2007, au lieu des 2,25 à 2,50% prévu par le gouvernement Sarkozy. La croissance de 0,3% seulement au 2e trimestre ne peut laisser aucune illusion à ce sujet. Dans ces conditions, le déficit public (État, Sécurité sociale), déjà creusé par les 15 milliards de cadeaux fiscaux faits aux nantis et par les exonérations de cotisations sociales ne pourra qu’augmenter. Les attaques du Gouvernement de droite contre les salariés vont donc s’accentuer après les mauvais coups de l’été : assurance-maladie, retraites par répartition, TVA anti-sociale, CDI, droit du travail, droit de grève...

Par Jean-Jacques Chavigné (Démocratie & Socialisme -
http://www.democratie-socialisme.org/) et Gérard Filoche (D&S, membre du Conseil scientifique d’Attac France)


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