DOM’Eau, une entreprise réunionnaise à l’export

La Réunion doit s’intégrer dans son environnement régional

19 novembre 2007

Questions à Gilles Couapel, Vice-président du Club Export.

Gilles Couapel, vous êtes vice-président du Club Export et Président directeur général d’un groupe qui s’est formé à La Réunion et qui s’est exporté dans la zone Océan Indien. Pour vous, l’export est l’avenir des entreprises réunionnaises ?
- Avec ce qui se passe aujourd’hui dans l’économie, il faut développer La Réunion à l’International. Au Club Export, dans le cadre de notre mission de diagnostic, nous faisons un constat dramatique : environ 0,7% de nos entreprises sont exportatrices à La Réunion (200 sur 28.000 entreprises). Pour vous donner un ordre de grandeur, la moyenne nationale est à 7,4%. Et la Région Rhône-Alpes, qui est une des meilleures régions exportatrices de France, monte à 20% de ses sociétés présentes à l’export. Nous avons un retard considérable. Quand on voit la situation de La Réunion sur une carte, c’est une ineptie. C’est effarant. Nous devrions être au niveau de la région Rhône-Alpes : être partout à Maurice, à Madagascar, en Tanzanie, au Mozambique, en Afrique du Sud, en Inde, en Asie... Au Club Export, nous recherchons le moyen de changer cet état de fait. Les APE arrivent, a priori au 1er janvier 2008. A DOM’Eau, nous avons déjà une dimension régionale, une ouverture internationale ; c’est déjà pensé dans notre stratégie.
Sur un plan plus général, La Réunion doit s’intégrer dans son environnement régional. C’est fondamental pour son devenir.

Qu’est-ce que cela représente d’aller à l’international ?
- Pourquoi n’y a-t-il que 0,7% des entreprises qui exportent ? Nous sommes la 24ème région de France, sur 26. Il n’y a que la Guyane et les Antilles derrière nous. Pourquoi ? Parce que nous avons un marché local qui est très fort : un bon taux de croissance, un marché solvable... Ça ne donne pas envie d’aller à l’extérieur. Dans les entreprises, la plupart se disent : “Pourquoi s’embêter à aller à l’étranger alors qu’on a tout ici ?”
Je le dis très souvent : l’export, c’est un métier dans le métier. Etre un exportateur, c’est être un professionnel de l’exportation dans son domaine. En l’occurrence pour nous : dans le traitement des eaux. J’ai beaucoup appris, mais je me suis aussi cassé les dents... C’est un travail colossal ! Cela demande de l’énergie, du temps... Au niveau du personnel, tout le monde doit être formé à l’export.

Le Club Export s’est formé pour prendre en compte ces réalités. Ce que vous avez fait à DOM’Eau, l’avez-vous fait seul ou avez-vous pu compter sur des aides ?
- Des aides, des moyens existent. Ils sont également très méconnus des entreprises. Et surtout, il faudrait centraliser tout cela, créer un guichet unique... Nous avons devant nous un énorme travail, si nous voulons relever un peu ces chiffres et travailler à La Réunion de demain. Il faut tout repenser : le système, les moyens en place, la motivation des chefs d’entreprise, la motivation du personnel d’aller à l’export.
La force du Club Export tient à ce que les gens qui le dirigent sont des opérateurs, des chefs d’entreprise qui vivent au quotidien la réalité de l’économie. Quand nous parlons d’export, nous savons de quoi nous parlons.
Effectivement, cela fait 15 ans que j’en fais : nous avons eu des hauts et des bas, mais cette année, nous faisons 40% de notre chiffre d’affaires à l’export. Aujourd’hui, je n’envisage pas mon activité sans l’exportation. Nous avons aujourd’hui 35 personnes - 20 à La Réunion et 15 dans les filiales de Madagascar et Maurice. Mais 35 personnes pour La Réunion seule, ce serait beaucoup trop. Le marché local réunionnais est insuffisant. C’est pourquoi, nous avons donné une dimension de zone à notre entreprise.

Donc, aller à l’export a aussi un impact sur l’emploi...
- Bien sûr. Parce que, quand vous faites de l’export, automatiquement, vous rapportez de l’extérieur des volumes d’affaires, qui nécessitent du professionnalisme - ce que j’appelle le métier dans le métier.
95% des entreprises réunionnaises sont constituées de TPE-PME, qui pourraient elles aussi se tourner vers l’export. Mais très souvent, elles ne le savent pas. Il faut expliquer ce qu’est l’export, repenser et re-promouvoir l’export à La Réunion. Il n’est peut-être pas bien perçu, parce que ces dernières décennies, nous nous sommes trop renfermés sur nous-mêmes, sur notre marché, sans voir ce qui se passait ailleurs. Aujourd’hui, c’est devenu impossible : même si nous voulions rester repliés sur nous-mêmes, nous ne pourrions plus le faire. Les blocs économiques sont en place, c’est un tel mouvement, qui va à une telle vitesse...

Quels sont les atouts de La Réunion dans ce mouvement ?
- La chance de La Réunion, c’est d’être dans la France, dans l’Europe. Et nous avons des savoir-faire. Tous les mois, je fais des allers-retours et je vois l’excellence que nous avons ici. Nos entreprises sont bonnes, nos équipes, les gens qui les composent - du chef d’entreprise aux techniciens en passant par les ingénieurs, les secrétaires, les logisticiens... Les gens sont bons... et travailleurs. Les gens sont bosseurs ici ! Le deuxième point important est que nous avons déjà les normes européennes, depuis des décennies. Nous sommes la seule entité, dans toute la zone géographique, à avoir l’habitude de travailler avec ces normes. Cela tire tout vers le haut. C’est un atout par rapport aux pays environnants, qui sont eux aussi obligés de se mettre aux normes pour exporter. Regardez ce qui se passe en Chine. Quelques années en arrière, l’industrie chinoise était très en deçà... Et regardez aujourd’hui où elle en est. C’est extraordinaire... Comment en un temps très court, les Chinois ont réussi à se mettre aux normes, pour arriver sur le marché mondial.

C’est ce qu’il nous faut faire aussi ...
- C’est exactement la même chose pour notre zone. Soit La Réunion - qui est très proche de Maurice, de Madagascar etc... - sera demain le pôle d’excellence pour la zone Sud-Ouest de l’Océan Indien et participera à ce développement, qui est inévitable ; soit d’autres le feront à notre place. Dernièrement, lors du Forum Economique des Iles, à Maurice, on nous expliquait que pour promouvoir le développement industriel dans les PMA, les organismes internationaux faisaient appel à des experts européens ou Nord-américains. Ils viennent voir nos voisins pour leur expliquer comment se mettre aux normes, comment faire évoluer les outils de travail, etc... Nous avons largement les moyens de le faire. J’ai discuté avec le conférencier de l’UNODI (organisme des Nations-Unies) et je lui disais : « Vous savez, à un quart d’heure d’avion, vous avez La Réunion, région européenne... ».
- « Ah bon ? »
Il ne nous reste plus qu’à inviter ces experts à passer trois jours ici pour leur montrer nos entreprises, nos usines, nos laboratoires. Mais est-ce vraiment aux opérateurs économiques de faire ce travail ?
Il faut savoir ce que nous voulons faire pour La Réunion de demain. Quand je vois l’excellence qu’il y a ici, je suis très optimiste... et en même temps catastrophé de nous voir nous cantonner à notre marché intérieur. Je trouve cela vraiment dommage.

Propos recueillis par P. David


Volontaires Internationaux en Entreprises

Après un déploiement à Madagascar, à Maurice et des activités en Afrique du Nord et au Vietnam, Dom’Eau s’est tourné vers le Volontariat International en Entreprise (V.I.E) : un dispositif mis en place par Ubifrance (agence française pour le développement international des entreprises), qui permet de recruter des ingénieurs, commerciaux, techniciens à Bac + 4 ou 5, qui vont réaliser un volontariat en entreprise, de 6 à 24 mois.

Quelle est la marche à suivre pour un chef d’entreprise qui voudrait recruter un Volontaire ?
- Nous nous sommes référés à la base de données gérée par Ubifrance, qui centralise plus de 35.000 CV. Il faut déposer une demande d’agrément, et bien sûr avoir un projet à l’international, un projet à l’export. Il y a tout un parcours à suivre, de la demande d’autorisation à la sélection des CV qui intéressent l’entreprise, mais c’est assez simple.
On a commencé par prendre le nouvel arrivant en stage (2 mois). Nous nous engagions sur 12 mois. Puis ce jeune est parti il y a peu dans la filiale Dom’Eau Mauritius, et régulièrement, il part faire un suivi de la filiale de Madagascar.

Comment en êtes-vous arrivé à développer une stratégie à l’internationale ?
- Dom’eau existe depuis 1991. On a démarré l’activité à La Réunion. On nous connaît beaucoup par les Purificateurs domestiques résidentiels - que nous distribuons à 10.000 foyers ; c’est à la fois beaucoup, et cela ne représente qu’un quart de notre activité. Les trois-quarts sont pour le secteur industriel : on réalise des stations de traitement d’eau, aussi bien pour la production que pour le traitement des eaux usées (environnement, traitement des stations d’épuration). On fait aussi beaucoup de chimie de l’eau.
La première filiale a été ouverte en 1998, à Madagascar ; et en 2005, on en a créé une autre à Maurice. Nous avons commencé à faire de l’export en 1993, et pour en faire vers Madagascar, il fallait être implanté là-bas. On y fait du résidentiel et de l’industriel, sur tout le territoire... qui est grand. Au niveau du groupe, nous avons toujours eu pour politique d’avoir une activité standard, résidentielle - à maintenir et à faire évoluer - et le secteur plus lourd de l’industrie.

Vous êtes en démarrage d’activité à Maurice ?
- On y travaillait déjà depuis plus de 10 ans. Ce qui est nouveau, c’est la structure, la filiale mauricienne, mise en place avec du personnel mauricien.
C’est intéressant d’avoir un jeune diplômé, qui arrive avec un œil “externe”, qui observe, qui peut être force de propositions sur l’organisation du groupe, sur l’activité. C’est du gagnant-gagnant : il peut apporter à l’entreprise, et l’entreprise se doit aussi, en réciprocité, de lui apporter beaucoup. Il n’a pas d’expérience, et là, il en acquiert une. A l’issue de sa mission, s’il ne reste pas dans l’entreprise - 70% des PME qui ont un V.I.E le garde à la fin en CDI -, sur les 30% restantes, soit il trouve un poste, soit il a sur son CV 1 an ou 2 dans l’Océan Indien sur des filières mauricienne et malgache. Cela donne une vraie expérience professionnelle. Mais le V.I.E n’est pratiquement pas connu à La Réunion - 3 entreprises y ont eu recours, pour 5 ou 6 jeunes recrutés -, alors qu’elle existe depuis plusieurs années.

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