Filière café Bourbon Pointu

Le haut de gamme ne s’improvise pas

10 novembre 2004

Non, le café Bourbon Pointu n’a pas... coulé. Selon Frédéric Descroix, chercheur au CIRAD et coordonateur du projet, ’le bébé est prometteur’. L’expérience se poursuit grâce à la volonté de 88 expérimentateurs qui cultivent sur l’ensemble de l’île 13,5 ha. Sérieux, rigueur, soutiens financiers : les éléments sont en place pour la création d’une filière à forte valeur ajoutée.

V ous qui avez commencé les premiers, vous ne mesurez pas l’importance de cette réussite à nos yeux". Par cette petite phrase, Paul Vergès, président de la Région, exprimait toute l’importance de la naissance de cette filière café haut de gamme qui, dans quelques années, redonnera ses lettres de noblesse au Bourbon Pointu.
Et comme nul n’est prophète en son pays, c’est du Japon qu’est venue, en 1999, une demande pour retrouver la trace de ce café qui connut son heure de gloire il y a de cela deux siècles.
Cette demande nippone pour un café haut de gamme débouchait sur l’organisation le 14 avril 2000 d’une réunion organisée par la Direction des affaires agricoles de la Région, avec les professionnels de l’agriculture réunionnaise.
À l’ordre du jour : intérêt et opportunité de la relance de cette filière. Depuis cette réunion, les choses ont évolué et à ce jour, on compte 88 producteurs-expérimentateurs qui testent, avec le concours du Centre de coopération international en recherche agronomique pour le Développement (CIRAD), le Bourbon Pointu sur 107 parcelles représentant une surface de 13,5 hectares répartis sur l’ensemble de l’île.

"Les Japonais vont apprécier"

Qu’on se le dise : depuis le lancement du projet de relance de la filière, il y a cinq ans, les choses ont bien avancé. Les premières plantations commencent même à fournir les précieuses “cerises” et hier, au Conseil régional, lors d’une rencontre entre les différents acteurs de la filière, une dégustation a été organisée, histoire de commencer à habituer les palais à ce breuvage promis à un bel avenir.
Pour Frédéric Descroix, chercheur-expérimentateur au CIRAD, "le bébé s’annonce prometteur".
Après une récolte des grains sur les pieds dispersés dans toute l’île, une pépinière a été créée qui a permis de fournir l’ensemble des futurs caféiculteurs. Le premier bilan agronomique met en évidence trois "zones intéressantes", avec notamment l’Ouest, depuis La Possession jusqu’au Tévelave, du littoral jusqu’à plus de 1.000 mètres d’altitude. Dans le Sud, sont concernés les Hauts de la Petite-Île, du Tampon, la Plaine des Makes et - ça ne s’invente pas - la Plaine des Grègues.
"Sur certaines parcelles plantées il y a deux ans, on assiste déjà à la première fructification, ce qui est exceptionnel, avec, tout aussi exceptionnel, une production de deux kilos par pied", explique Frédéric Descroix.
Pour ces premières dégustation, Jean-Jacques Perriot, maître-dégustateur a fait le déplacement. Son verdict : ce n’est pas encore ça. Mais, précise-t-il, "c’est le genre de café que les Japonais vont apprécier".

Mais avant de mettre le Bourbon Pointu sur le marché mondial, il coulera encore beaucoup d’eau sous les ponts. Il faudra encore du travail, beaucoup de travail. À ce stade de l’expérimentation, la question est : Quel type d’exploitation agricole pour une production de très haute qualité ?

Et les caféiculteurs en sont conscients, puisqu’ils se sont presque tous regroupés au sein de l’association Café Réunion, fondée en décembre dernier, avec un cahier des charges strict. Avec pour but, précise Jean-Louis Marianne, président de Café Réunion, "de transformer l’association, à la fin de l’expérimentation, en une structure agricole."

Parallèlement, avec un financement de la Région et de l’Europe, des infrastructures se mettent en place pour le traitement des échantillons. "Café Réunion est en mesure d’assurer tout le processus avec toutes ses particularités", assure Frédéric Descroix.
Tel le chemin Grand-Bois, le succès du Bourbon Pointu se construit ti pa, ti pa. Un chemin long et difficile au bout duquel tous les appelés ne seront pas forcément élus. Il s’agit, ajoute Frédéric Descroix, d’identifier les terrains, les zones les plus propices à la production, avec une typicité des saveurs et des arômes qu’on ne peut pas produire ailleurs. Ce Bourbon Pointu a ceci de particulier qu’il n’est cultivé nulle part ailleurs dans le monde.
Autre particularité : il a une teneur en caféine inférieure de 40% à l’arabica. "Ce qui nous ouvre une nouvelle clientèle", estiment les spécialistes.

Pas de place pour l’improvisation

Parmi les expérimentateurs présents hier au Conseil régional, certains se posaient encore des questions. Du genre : demain, d’autres ne viendront-ils pas profiter de notre expérience ?
À cette interrogation légitime, Frédéric Descroix répond sans ambages : non, il n’y aura pas de place pour les “aspèr kui”. Certes, n’importe qui pourra, si bon lui chante, planter autant de pieds de Bourbon Pointu. Il ne sera pas pour autant un caféiculteur.
"Nos acheteurs ne se feront pas avoir", prévient le chercheur du CIRAD. Car il en va du café haut de gamme - et le Bourbon Pointu en fait partie - comme du vin. Dans le Bordelais, n’importe qui peut faire du vin. Il n’en sera pas un viticulteur reconnu pour autant. Car le vin, comme le café, surtout quand on vise le haut du panier, doivent répondre à des critères bien précis et il n’y a nulle place pour l’improvisation.
De la plantation à la récolte en passant par le traitement et toute la phase de post-récolte, le produit doit être l’objet de soins constants, faute de quoi le précieux nectar attendu ne sera qu’une infâme lavasse indigne de prétendre jouer dans la cour des grands.
Mais pour récolter véritablement les fruits de leur passion, les futurs caféiculteurs producteurs de Bourbon Pointu devront aller jusqu’au bout, de la plantation à la commercialisation. Ce qui, pour l’acheteur, offre un gage de sérieux et de qualité. Autrement, toute la valeur ajoutée risque d’aller aux mains d’intermédiaires divers et variés.
Toutes ces questions n’inquiètent pas outre mesure Jean-Louis Marianne. Pour le président de Café Réunion, ces interrogations, ajoutées à une certaine impatience, sont plutôt bon signe. "Nous sommes encore en phase expérimentale, nous innovons et si nous sommes toujours là, si nous avançons, c’est grâce à la passion qui nous anime."

S. D.


Aller vers une démarche qualité

Dans l’univers impitoyable du commerce mondial, il ne suffit pas de produire et de mettre sur le marché une production de qualité. Il faut aussi qu’elle soit reconnue.
Cette reconnaissance du Bourbon Pointu est une volonté politique du Conseil régional, souligne M. Boita, qui dirige l’OCTROI, un organisme certificateur.
Et il poursuit à l’adresse des expérimentateurs réunis dans la salle Pierre-Lagourgue : "Vous avez besoin à la fois de reconnaissance et de protection au plan national, européen et international."
Reste maintenant à définir quelle est la protection et la reconnaissance la plus adéquate. L’idéal serait d’obtenir l’Appellation origine contrôlée (AOC), le nec plus ultra en la matière. Mais les démarches sont longues et s’échelonnent sur plusieurs années. Quels que soient les démarches et les labels ou certifications obtenus, il s’agit autant de sauvegarder les intérêts des consommateurs en assurant une traçabilité, que de se protéger contre toute concurrence déloyale en valorisant le produit, en mettant en avant la notion de terroir et en démontrant toute l’action humaine pour l’obtention de la qualité.


Chiffres et perspectives

Sur les 88 producteurs, 67 sont membres de l’association Café Réunion. Ils cultivent 107 parcelles réparties sur l’ensemble de l’île pour une superficie de 13,5 ha. Les premiers pieds plantés en 2002 commencent à fructifier dans certaines zones. À l’horizon 2007 (dans trois ans), toujours sur la base de ces parcelles expérimentales, la production attendue serait de 10 tonnes et représenterait un chiffre d’affaires de 300.000 euros.


"Merci de vous être lancés dans cette aventure"

"Dans un contexte marqué par des difficultés auxquelles sont confrontés planteurs et éleveurs, avec une filière canne en proie à toutes les inquiétudes, il y a toujours intérêt à introduire une activité différente avec une valeur ajoutée importante", rappelait hier Paul Vergès.
De fait, si en soi la filière Bourbon Pointu ne saurait, malgré sa forte valeur ajoutée, constituer l’activité principale d’un exploitant agricole, le soutien de la Région se traduit comme une "aide collective" au monde agricole.
Ce café haut de gamme sera sans doute amené à jouer un rôle d’ambassadeur de La Réunion au Japon et partout où il sera consommé. Du temps de sa splendeur, le Bourbon Pointu était apprécié par les têtes couronnées.
Il se dit que Louis XV avait fait créer tout spécialement un service à café en or, dévolu à la dégustation du précieux nectar. En attendant que le président de la République, à son tour apprécie et fasse savoir tout le bien qu’il pense de notre café, le président de la Région concluait son adresse aux expérimentateurs par ces mots : "Merci de vous être lancés dans cette aventure."


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