La chronique économique

Les conséquences de la colonisation

16 novembre 2006, par Risham Badroudine

Si l’on excepte les sociétés dites primitives, on peut avancer avec certitude que, dans la période précoloniale, les écarts entre les niveaux de développements économiques et techniques des divers pays étaient peu importants.
Selon les estimations de l’économiste Angus Maddison, la Chine et l’Inde représentaient 57 % de la population en 1820 et un peu moins de la moitié de l’économie mondiale.
Pour l’économiste allemand André Gunder Frank « la Chine et l’Inde étaient les deux grandes régions les plus ‘centrales’ dans l’économie mondiale ». L’Inde était compétitive par sa « productivité relative et absolue » dans le secteur des textiles, et par sa « domination du marché des cotonnades » ; celle de la Chine de sa « productivité encore plus grande dans les domaines industriels, agricoles, dans le transport (fluvial) et le commerce ». Alors que l’Europe et les Amériques jouaient « un rôle d’une faible importance » avant 1800.
La fracture fondamentale du monde intervient au 19ème siècle avec l’accélération de la révolution industrielle et surtout l’expansion coloniale c’est-à-dire quand la domination européenne se traduit par une désindustrialisation de l’Asie. Les pays colonisateurs ont imposé à ses colonies des cultures d’exportation uniquement destinées à satisfaire les besoins de la métropole. En Inde, la Grande Bretagne refuse à sa colonie le droit de s’industrialiser. Elle continue d’appliquer à l’Inde le système mercantiliste. C’est à propos du coton et du jute que le problème se pose d’abord. Les industriels anglais entendent que ces fibres soient entièrement exportées brutes vers l’Europe, pour être travaillées exclusivement dans les usines anglaises, et que les Indiens se contentent du rôle d’acheteurs des tissus de la métropole. Le coton accomplit ainsi un circuit de plusieurs milliers de kilomètres, inattendu mais conforme à la division du travail dont l’Angleterre du 19ème siècle entend profiter. Ainsi s’accomplit une véritable désindustrialisation des pays colonisés. Les milieux d’affaires anglais obtiennent même q’une taxe spéciale frappe les produits manufacturés de fabrication indienne vendus en Inde, afin que l’avantage reste aux articles en provenance de la métropole.
C’est pourquoi l’Inde, première manufacturière de cotonnades avant 1800, vit son industrie textile assez rapidement dévastée. Elle devient exportatrice nette de coton brut et finir, vers la fin du 19ème siècle, par importer la quasi-totalité de ses besoins en produits textiles.
Quant à la Chine, après deux guerres (1839-1842 et 1856-1858), et suite à des traités qui lui sont imposés, connut une désindustrialisation de secteur sidérurgique.
Cette politique se traduit par un recul général du niveau de vie des peuples colonisés et l’apparition des famines.
Selon toujours l’étude A.G. Frank, le PNB par habitant, au début de 19ème siècle, était à peu près équivalent en Europe et en Asie (198 dollars en moyenne pour l’Europe et 188 dollars pour l’Asie) soit un ratio de 1 à 1. À partir de 1860, ce ratio est passé de 2 à 1 et de 3 à 1 pour la Grande-Bretagne. Ces chiffres sont « horrifiants » selon l’expression de l’historien Paul Kennedy.
À cette désindustrialisation s’ajoute, la traite des noirs en Afrique où des dizaines de millions d’hommes et de femmes sont emportées afin de travailler dans des plantations pour fournir des matières premières aux industries européennes. L’esclavage atteint des sommets avec les grandes découvertes. Un commerce inhumain s’instaure, qui consiste à extraire de leur pays des millions d’Africains pour leur faire produire coton, café, sucre ou épices. Quatre à cinq millions de Noirs vers les Caraïbes, autant vers le Brésil, un demi-million vers l’Amérique du Nord, ...Jamais un continent n’avait été saigné à ce point. En 1635, les Français prennent pied en Guadeloupe et Martinique. Très vite, les Caraïbes deviennent l’enjeu de luttes entre les grandes puissances, tandis que les Amérindiens (Karib) sont expulsés vers des îlots voisins et anéantis. Un système de production coloniale (tabac puis sucre) s’instaure, appuyé sur l’esclavage. Le sucre est ensuite raffiné à Rouen, la Rochelle et Bordeaux. Notre île n’a pas échappé à l’esclavagisme puis à l’engagisme. Le mot “esclave” apparaît pour la première fois à Bourbon en 1685. Le colonialisme, l’esclavagisme, l’engagisme sont en partie responsable des problèmes actuels de notre société.
Il ne faut pas oublier non plus la conquête des territoires avec extermination des peuples autochtones en Australie ou en Nouvelle-Zélande.

Aujourd’hui, l’émergence du Sud, n’est qu’un début du rééquilibrage d’un monde devenu très inégalitaire avec la colonisation. Les progrès réalisés par la Chine et l’Inde sur les trente dernières années sont inéluctables. Ces deux pays représentent aujourd’hui près de 20% du PIB mondial (en parité de pouvoir d’achat). Mais il reste encore beaucoup à faire pour réduire les inégalités car le milliard d’habitants de l’ensemble des pays riches (16 % de la population mondiale) continuent à monopoliser près de 80 % des revenus mondiaux en 2004 selon la Banque mondiale. Le revenu par tête des pays riches restent encore 21 fois plus élevé que celui des pays du Sud malgré une forte croissance de la Chine et de l’Inde. 197 grandes firmes américaines continuent en 2006 de compter à elles seules pour 44 % de la valeur boursière des 500 sociétés les plus importantes au monde (les firmes chinoises et indiennes ne représentent respectivement que 1.2 % et 0.8 %). Alors lorsque des firmes comme Mittal Steel ou le fabricant chinois d’ordinateur Lenovo font leur entrée en Occident, ce n’est qu’un petit début du rééquilibrage d’un monde encore extrêmement inégalitaire. Quant à l’Afrique Subsaharienne avec 32 % de la population souffrant de sous alimentation, elle ne pèse aujourd’hui que 1.3 % de la valeur ajoutée industrielle mondiale contre 74.8 % pour les pays riches.

Risham Badroudine

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