Crise financière : quelques détours par la théorie - 4ème partie

Les différences essentielles entre l’éclatement de la bulle de 2001 et celle de 2007

28 octobre 2008

En 2001, l’éclatement de la bulle des valeurs boursières Internet a provoqué le krach du Nasdaq et une forte chute des cours du marché principal à la bourse de New York. Le krach a surtout frappé les entreprises. Celles qui avaient racheté des start-up technologiques à un prix élevé l’ont été de façon frontale. Toutes l’ont été en raison de leur endettement élevé sur les marchés obligataires et auprès des banques. C’est d’abord à leur intention que la politique de baisse des taux d’intérêts a été mise en œuvre et les a aidées à réduire leurs dettes. L’effet de la chute des cours sur les particuliers détenteurs de titres a été relativement limité en 2001. La consommation privée a bénéficié aussi de la baisse des taux, avant de recevoir ensuite l’impulsion très forte de la politique d’encouragement aux prêts hypothécaires décidée de concert par le gouvernement Bush et la FED. En 2007-2008, la situation est tout autre. La bulle financière s’est formée cette fois dans le secteur de l’immobilier privé, c’est-à-dire sur un actif particulièrement "illiquide" et elle est allée de pair avec une très grande extension de la titrisation des créances, y compris les plus douteuses.
L’emploi du terme "bulle financière" exprime le fait qu’aux États-Unis, comme au Royaume-Uni ou en Irlande où l’immobilier privé menace de s’effondrer aussi, les logements n’ont pas seulement pour leurs propriétaires une valeur d’usage. Ce sont des "actifs" qui sont achetés en pensant à la revente et qui servent de garantie pour d’autres emprunts. Dès qu’une conviction collective prend corps par rapport au prix d’un actif, elle nourrit pendant un temps un processus d’autoréalisation (13). La hausse des prix attire de nouveaux acheteurs, dont l’arrivée pousse les prix encore plus haut. Dans le cas de l’immobilier, le moment où la hausse des prix prend fin vient de la saturation de la demande, du degré de surinvestissement résultant des "anticipations" trop optimistes des promoteurs immobiliers, mais aussi du simple ralentissement de la croissance des revenus des ménages. Dès que le marché se retourne et encore plus en situation de crise, un pavillon ou un appartement sont difficiles à vendre sans de très fortes pertes, soit ne trouvent pas preneur du tout. Les bulles immobilières sont celles dont les effets sont les plus lents à résorber. Dans le cas présent, la bulle a provoqué aux États-Unis un boom de la construction qui laisse derrière lui un très important stock de maisons et d’appartements invendus. La construction repartira d’autant plus lentement que des prêts n’ont pas été proposés seulement aux ménages disposant de revenus relativement élevés et stables, mais aussi à d’autres qui n’étaient pas dans cette situation. C’est pourquoi les commentateurs sérieux soulignent que, quoi qu’il arrive, la récession états-unienne sera longue, avec tous les problèmes que cela pose au reste du monde (14).
Aux États-Unis, la pratique des prêts hypothécaires existe depuis longtemps, ainsi que la possibilité donnée aux banques de revendre leurs créances hypothécaires auprès d’organismes spécialisés. C’est sur ce dispositif qu’a été construit le rêve américain (plus exactement le moyen de stabilité sociale) d’accession à la propriété. Le logement a été choisi par la Fed et le gouvernement Bush comme secteur de relance de l’économie en 2002, parce qu’il permettait d’atténuer les effets de la polarisation des revenus et de s’attacher électoralement la "middle class" (le gros des cols bleus comme des cols blancs). C’est à eux que la majorité des prêts ont été faits et c’est chez eux que les traites impayées commencent maintenant à s’accumuler. Mais la déréglementation accélérée a aussi vu la multiplication de sociétés de prêts hypothécaires opérant sur l’arnaque et l’intimidation (15). La Fed a reconnu ne pas les superviser, encore moins les contrôler. Cependant, pour que des prêts hypothécaires à risque de défaillance élevé soient accordés, il fallait que les petits promoteurs trouvent des sociétés financières aux reins solides (au moins en apparence), auxquelles revendre les créances douteuses afférentes aux contrats dont elles arrachaient la signature. C’est ici qu’on arrive au second aspect original et critique de la crise de 2007-2008. Un montant élevé de créances irrécouvrables, les subprimes, a pu pénétrer dans un système financier déréglementé, marqué par une forte pénurie d’opportunités de placements rentables, et entrer dans l’actif des banques. C’est la conséquence de la technique de la "titrisation" (en anglais "securitization") qui est traitée par d’autres articles de ce dossier.

(à suivre)

François Chesnais, économiste, professeur émérite à l’université Paris 13 Villetaneuse

(13) Voir A. Orléan, "Le pouvoir de la finance", op.cit.
(14) Voir par exemple, "The great American slowdown and what it means for the world economy", The Economist, 12 avril 2008
(15) Voir l’analyse minutieuse de Paul Jorion, "Vers la crise du capitalisme américain ?", La Découverte-Mauss, Paris, 2007.

MondialisationCrise financière

Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus