Entretien avec Yannick Payet-Fontaine, ancien secrétaire général du SABR

’Les petites entreprises doivent jouer “groupées”’

9 juillet 2005

Les artisans d’une manière générale et les artisans du Bâtiment en particulier jouent un grand rôle dans la vie économique, sociale et culturelle de La Réunion. Et au moment où une des préoccupations majeures à faire avancer dans le pays est la solution au problème de l’emploi, on sait que les petites et moyennes entreprises ont une place importante à prendre dans le secteur marchand. C’est pourquoi ’Témoignages’ a voulu demander son point de vue à ce sujet à Yannick Payet-Fontaine, ancien secrétaire général du Syndicat des artisans du Bâtiment réunionnais (SABR). Entretien.

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Comment votre syndicat évalue-t-il les politiques publiques dites de soutien au secteur marchand ?

- Dans le contexte actuel, où le gouvernement met l’emploi au rang de sa priorité première, et avec un regard rétrospectif, nous disons que les dispositifs mis en œuvre jusqu’à maintenant n’ont pas eu les effets escomptés.
Prenons le cas de la LOOM : sur la partie patronale, elle contient des mesures d’exonération ; elle a permis d’assainir pour une part la situation des petites entreprises, mais à la sortie, une majorité d’artisans n’ont pas pu entrer dans le dispositif des mesures d’exonération.

Pourquoi ?

- Dans notre organisation professionnelle, on rencontre encore aujourd’hui des chefs d’entreprise étranglés par les charges. Ils sont écrasés par des arriérés, cinq ans après la loi. C’est le cas de 80% des artisans de notre syndicat.
En fait, pour bénéficier de la mesure, il fallait être à jour de ses cotisations à l’année n-2. Ceux qui sont parvenus à mettre en place un plan d’apurement sont très peu nombreux. Ils ne parviennent pas à une situation qui leur permettrait d’embaucher.

Qu’est-ce qui leur faudrait pour cela ?

- Le développement d’une entreprise passe par sa capacité à créer de la plus-value. Forcément, cela suppose de pouvoir reposer sur les compétences disponibles dans l’entreprise. Il s’agit de toutes petites entreprises, unipersonnelles très souvent.
Avec les nouvelles technologies, les ressources humaines sont formées à de nouvelles compétences, auxquelles les TPE n’ont pas accès. Les petites entreprises n’ont pas le niveau d’équipement dont disposent les apprentis d’aujourd’hui dans les CFA, par exemple. La modernisation des entreprises est aussi un enjeu pour la création d’emplois.

Vous évoquez des questions d’équipement. À cet égard, est-ce qu’un regroupement ne permettrait pas plus facilement à de très petites entreprises de faire face à leurs besoins ?

- Il faut arriver à fonder l’activité artisanale sur d’autres valeurs, sur la prise de conscience qu’il faut jouer “groupés”. On a en face de nous les règles du marché. Nous pensons qu’il faut lancer un mouvement coopératif dans l’artisanat. On voit les résultats obtenus dans le monde agricole ; il faut en tirer les leçons.
Sur un petit territoire, dans les règles qui sont celles du marché, on ne doit plus jouer “perso”. La concurrence est basée sur des niveaux de seuil que les TPE n’atteignent pas, même si depuis deux ans, nous nous efforçons de nous inscrire dans cette voie nouvelle. Si on veut mettre l’emploi au cœur des petites entreprises, il faut absolument qu’elles développent d’autres formes d’organisation. Les pouvoirs publics commencent à prêter l’oreille à ces arguments.

Quelles sont vos propositions ?

- Concrètement, il ne sert à rien que dix petits artisans se fassent concurrence pour produire la même chose sur le marché local ; il faut que le tissu entrepreneurial passe à un niveau semi-industriel, dans une démarche qui reste artisanale mais évoluée vers un niveau plus élevé. Le savoir-faire existe.
Prenons le secteur de l’ameublement, dans la menuiserie. Il y a de plus en plus d’importations qui étouffent l’activité locale. Aujourd’hui, il y a un marché européen pour le meuble créole. Quelle est notre réceptivité ? Actuellement, c’est zéro. Or on n’a plus le choix. Si elles ne décollent pas de l’activité artisanale “traditionnelle”, les TPE vont rester à l’écart de la dynamique d’emploi et elles seront vouées à l’échec.
C’est vrai que les artisans sont très individualistes. Mais il s’agit d’un vrai chantier. Même les “gros” se regroupent. Et nous, qu’allons-nous faire : continuer à considérer le petit artisan d’à côté comme le concurrent principal ?

Quels exemples d’organisation pouvez-vous donner ?

- Nous avons créé, il y a deux ans, une coopérative artisanale de production dans la construction, avec une quinzaine d’artisans. Cette coopérative a créé un emploi d’encadrant. Et aujourd’hui, elle voit le besoin de deux emplois supplémentaires, dont l’un est déjà effectif (un ancien emploi-jeune embauché sur un CDI).
La nouvelle forme d’organisation allège beaucoup les contraintes des petites entreprises, qui peuvent se consacrer uniquement à la production, donc gagner du temps, ce qui leur procure des ouvertures en termes de marché, donc de création d’emplois. Et ce sont des emplois “mutualisés”.
C’est une piste crédible pour favoriser, encourager la création d’emplois. L’emploi ne se décrète pas. Or le sentiment que nous avons souvent est que nos dirigeants s’imaginent encore pouvoir le décréter.
Un autre exemple est la coopérative ouvrière de production créée depuis l’année dernière en partenariat avec la Région, qui a financé la partie formation. Sur une trentaine de jeunes mis dans le parcours, il y en a huit qui sont aujourd’hui dans la structure, en phase de travailler sur des marchés.
La coopérative est basée à Saint-Pierre ; les jeunes sont dans les métiers du second œuvre (électricité, menuiserie, revêtement, étanchéité). Certains étaient avant dans l’économie informelle. Dans cette configuration, ils sont plus “visibles”, socialement et économiquement. Et surtout, ils vont pouvoir récolter le fruit de leur travail.

C’est vrai, mais le risque n’est-il pas à un moment de chercher à faire du profit pour en partager les fruits, plutôt que pour continuer à investir pour l’emploi et pour moderniser un secteur ou une branche d’activité ?

- Dans l’artisanat, ces valeurs sont nouvelles et ne sont pas vraiment partagées par la grande majorité des artisans. Mais c’est une voie porteuse d’avenir. J’ai visité à Paris la coopérative des Maçons parisiens. Une coopérative de 75 ans d’âge, 300 salariés. Aujourd’hui, leur concurrent principal, c’est Bouygues !
Cela veut dire que nous n’inventons pas la poudre, mais c’est dans cette voie qu’il faut aller. Quand on regarde le besoin en logements : M. Le Bloas lui-même a reconnu que le principal problème est dans l’appareil de production. Quand un appel d’offre est lancé, très peu d’entreprises répondent. Et quand des entreprises répondent, les appels d’offre restent infructueux, à cause de la fluctuation des prix sur le logement social.
Les grosses entreprises profitent de la défiscalisation pour aller sur le marché du logement privé. Et sur les marchés de réhabilitation, qui seraient plus accessibles aux petites entreprises, celles-ci ne sont pas organisées pour y accéder. C’est une particularité de La Réunion à laquelle il faut apporter des solutions adaptées.

Propos recueillis par P. David


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