Filière banane

Les planteurs martiniquais et guadeloupéens face à la mondialisation libérale

La principale production agricole menacée en Martinique et en Guadeloupe

2 janvier 2004

Principale exportation de Guadeloupe et Martinique, la production bananière risque d’être balayée par l’évolution du marché mondial. Un article paru chez notre confrère ’l’Humanité’ explique les raisons de cette situation dramatique pour les planteurs. Cette analyse est confirmée par les expertises présentées le lundi 22 décembre dernier à la Région sur l’impact de l’élargissement de l’Union européenne et de la mondialisation des marchés dans les Régions ultrapériphériques (voir en particulier les conclusions des experts sur la banane et la canne, publiées par ’Témoignages’ le lundi 29 décembre 2003).

Premier secteur productif de la Martinique et de la Guadeloupe, la banane "communautaire" voit, à terme rapproché, son avenir menacé par l’évolution du marché mondial, désormais dominé et orienté par ce qu’il est convenu d’appeler la "banane dollar", même si celle-ci est exploitée surtout en Amériques centrale et latine (où sont localisés les quatre plus gros pays exportateurs, représentant à eux seuls 70% des ventes mondiales).
Un retour en arrière s’impose pour comprendre cette spirale du déclin dont est victime désormais la principale exportation - en volume comme en valeur - des deux départements d’outre-mer de la Caraïbe.

Fruit le plus consommé

Rappelons d’abord que, premier fruit consommé dans le monde, la banane représente un marché colossal. Il est devenu l’enjeu d’un conflit opposant des multinationales américaines à une Union européenne minée par les divergences d’intérêt entre les nations membres. Deux produits sont à distinguer : les bananes plantain, qui se mangent cuites, essentiellement consommées dans les pays producteurs ; les bananes dessert, qui fournissent le gros des échanges commerciaux.
La production mondiale de bananes dessert est de 69,5 millions de tonnes en 2002. Les exportations ont connu une forte croissance depuis le début des années cinquante, avec une stabilisation aux alentours de 13 millions de tonnes au cours de la dernière décennie. En tête, l’Équateur, avec 3,6 millions de tonnes exportées en 2001 (près du tiers des exportations), suivi du Costa Rica (un peu moins de 20 %) et de la Colombie (14 %). Ce sont eux qui fournissent les bananes dollars, la filière étant dominée par les groupes américains Chiquita, Dole et Del Monte, qui concentrent deux tiers du commerce mondial à eux trois.
Sur la trentaine de pays importateurs, 65 à 70% des volumes alimentent les marchés des États-Unis et de l’Union européenne (4 millions de tonnes chacun). La concurrence accrue et la vulnérabilité des petits producteurs communautaires (Guadeloupe, Martinique, Canaries, Madère, les Açores, Algarve et Crète) comme des pays ACP (Jamaïque, Dominique et Sainte Lucie dans les Caraïbes, Cameroun et Côte d’Ivoire en Afrique) face aux trois géants américains ont conduit l’UE à adopter une Organisation commune des marchés de la banane (OCMB) en 1993. Dans ce cadre, les importations de bananes en Europe sont contingentées, un quota annuel de 854.000 tonnes étant réservé aux opérateurs communautaires (20% des achats).

Ouvriers surexploités

Dès sa mise en place, ce "verrou" déclenchait la fureur des trusts américains, brandissant les dogmes libéraux du GATT, puis de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui lui a succédé, pour crier à la tricherie et à l’abus de pouvoir. Quitte, pour sauver la face, à faire donner les gouvernements des pays où Chiquita, Dole et Del Monte imposent leur loi : le sommet de Seattle fut ainsi précédé d’une plainte contre l’UE déposée par l’Équateur, se présentant comme porte-drapeau des "petits", victimes de l’égoïsme européen ! Washington faisait aussitôt chorus, après avoir déjà imposé en 1999 des représailles tarifaires contre certains pays européens.
En avril 2001, un accord conclu entre le secrétaire américain au Commerce, Robert Zoellick, et le commissaire européen au Commerce international, Pascal Lamy, signait la condamnation de l’OCMB. En trois temps. De nouveaux quotas étaient mis en place en 2002, avec un recul des quotas ACP, un gel des quotas communautaires et une augmentation de ceux de la banane dollar.
En 2004, avec l’élargissement de l’UE, le nouvel accord bénéficiera exclusivement à la banane dollar. Son bas prix de revient la rend plus compétitive.
Mais cette compétitivité repose sur une surexploitation des ouvriers sous-payés des bananeraies, lesquels subissent aussi la toxicité des épandages d’insecticide et de pesticide par hélicoptère. Des réalités qui n’ont, semble-t-il, posé aucun problème moral au commissaire Lamy.
Alors, désormais, tout nouveau débouché européen (nouveaux pays intégrés ou incapacité des producteurs communautaires à assurer la demande suite à une catastrophe climatique) devra être servi par des bananes dollars.

Capitulation européenne

En janvier 2006, les importations de bananes sur le marché européen s’effectueront dans le cadre d’un système de marché unique, sans contingentement des apports, et avec une tarification unique (droits de douane) pour toutes les productions non communautaires.
On le voit, le "compromis" coprésenté par Robert Zoellick et Pascal Lamy est plus que déséquilibré et penche résolument d’un côté, celui de Washington. Au point que nombre de responsables des groupements de producteurs guadeloupéens et martiniquais accusent le commissaire européen d’avoir rendu armes et bagages pour capituler.
Quant aux pays ACP, c’est d’une liquidation pure et simple de ce secteur de production qu’ils se voient menacés à moyenne échéance.


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