Tribune libre

Les politiques doivent règlementer les banques

15 octobre 2008

"Subprimes", "hedges funds", produits dérivés, "investment banks" (en faillite), fonds souverains, CDOs, "credit crunch"... Depuis le 11 septembre, la crise bancaire nous assomme de ses mots aussi abscons qu’anxiogènes. Nous sommes "dans l’œil du cyclone" de la « plus grande crise bancaire de l’histoire de l’humanité », nous dit-on. Il faudra « des années » pour remettre le système sur ses pieds et effacer l’impact de cette crise sur l’économie. Tout cela est vrai, mais je vois aussi deux éléments qui aident à prendre les choses du bon côté. D’abord, ce que nous avons vécu vaut bien mieux que la situation qui prévalait juste auparavant : un système bancaire où l’on camouflait les pertes sous les tapis, où l’on ouvrait les parapluies, où l’on niait ses erreurs, où l’on cachait les cadavres dans les placards, où l’on mendiait de l’aide aux pouvoirs publics... Un tel système, s’il s’était perpétué, aurait conduit à faire apurer les milliards de pertes des banques, pendant des années, au compte-goutte, par les contribuables. C’est ce que le Japon a vécu dans les années 1990, et il en est résulté pour ce pays quinze ans de croissance nulle. Il valait mieux crever l’abcès, c’est ce que les autorités américaines ont commencé à faire. C’est aux banques et à leurs actionnaires - tous ceux qui ont commis l’erreur de spéculer de façon irresponsable sur l’immobilier - de supporter ces dizaines de milliards de pertes, pas au contribuable. Lorsque le Trésor Américain a laissé tomber Lehman Brothers, il a fait comprendre aux autres banques qu’il n’y aurait pas forcément de filet de sécurité sous leurs pieds. Merril Lynch l’a d’ailleurs très bien pigé : elle s’est aussitôt jetée dans les bras de Bank of America. Le rachat de l’assureur AIG n’est pas un "sauvetage", c’est une simple nationalisation : je prends 80% de ton capital, tu n’as rien en retour. En se débrouillant bien, la banque centrale américaine pourra même faire une plus-value sur cette opération. Quand au "fond de défaisance" géant que le Trésor américain prépare, c’est de l’oxygène pour les banques, mais elles afficheront des pertes au passage : car c’est à bas prix que ce fonds rachètera les actifs "toxiques" qui lui seront apportées. Certes, il y aura encore probablement dans les mois qui viennent dans l’affaire quelques banques écrasées, quelques nouvelles faillites. Mais ce n’est pas, en soi, le pire drame de nos sociétés. Le plus inquiétant, parce qu’imprévisible dans son ampleur, c’est l’impact de ce choc sur l’économie. Le système de financement de l’économie est affecté, cela ne peut être sans conséquences. Les autorités monétaires disposent certes d’un bon antidote à court terme - l’injection de liquidités - mais cette médication ne peut se substituer à la création d’un système bancaire aux fonds propres solides et doté d’une réglementation digne de ce nom. Tout l’enjeu actuel est donc à la fois de terminer la "purge" (cela peut prendre plus d’un an, et cela n’ira pas sans heurts) et de reconstituer un système financier recapitalisé le plus rapidement possible (cela peut prendre plusieurs années). Ce qui nous amène au deuxième élément qui peut aider à ne pas voir que les mauvais côtés de cette période étrange. De cette crise historique peut sortir une économie plus solide, moins dépendante de la finance et de ses excès. C’est maintenant aux politiques de jouer : à eux de bâtir une réglementation bancaire plus simple, plus transparente, et à veiller qu’on ne puisse pas la contourner par des tours de passe-passe comptables. L’idée que le marché peut se contrôler lui-même (via les agences de notation, par exemple), a vécu. Si la finance folle est mise au pas, si l’intérêt de l’action publique est redécouvert, cela ne peut pas être une mauvaise nouvelle. Tout dépendra évidemment de la capacité des politiques à réagir sans craindre de chiffonner les anciens crédos...

Noor-Olivier Bassand


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