Tony Manglou, un des pionniers du salon Fait-Main, se remémorait samedi, lors de l’inauguration chaleureusement officielle de la 60ème exposition Fait-Main, le contexte dans lequel était née la toute première édition en 1972. La société de consommation devenait alors menaçante pour la production artisanale, relayée par les produits de supérettes et autres commerces à grande échelle. Il devenait urgent de trouver une alternative pour pérenniser l’emploi et la tradition, celle de la créativité et du savoir-faire du peuple réunionnais.
Trente deux ans après, grâce à la foi, l’investissement et la générosité de ses organisateurs comme de ses participants, le Fait-Main a gagné en envergure, qualité et professionnalisme, pour devenir "un secteur économique qui s’affirme et se développe", constate Tony Manglou.
"L’homme doit développer sa créativité avec ses mains et doit pouvoir gagner sa vie avec ce qu’il produit", encourage-t-il enfin. Et ce n’est pas Dany Martin, qui succède à Emmanuel Lemagnen (dit "Tonton Manu", le bien-aimé) à la présidence du Fait-Main, qui le contredira. "Vivre de sa passion et en vivre n’est pas évident, et c’est pourquoi, nous avons besoins du soutien de nos élus comme de l’État", rappelle encore Dany en présence des personnalités officielles de la Région, du Département, du maire de Saint-Denis...
C’est avec beaucoup de satisfaction que Dany Martin a d’ailleurs annoncé la création du premier fichier des Métiers d’art, grâce au concours financier des collectivités régionale et départementale. "Mais l’artisanat passe aussi par la formation. La filière de l’apprentissage est très importante car beaucoup d’artisans attendent le soutien de personnes formées au savoir-faire local. La Réunion est en avance mais elle a besoin de nous, de vous, pour s’élever encore plus", motive la présidente qui en appelle à la participation de la Chambre de commerce et d’industrie, de l’État et des collectivités pour permettre la création d’un Institut régional des Métiers d’Art. "J’aime l’artisanat et j’y crois beaucoup", confie enfin cette militante passionnée qui promet enfin une programmation 2004 chargée.

Un point de vente permanent

De Raymond Lauret, représentant le président du Conseil régional, jusqu’à René-Paul Victoria, député-maire de Saint-Denis, en passant par Jocelyn Delavergne, président de la Chambre de métiers, et Daniel Tholozan, vice-président du Département, tous sont unanimes et reconnaissent les perspectives prometteuses en termes d’emploi du secteur artisanal, outil majeur pour la préservation de la tradition et la continuité du savoir-faire local.
À noter que la tradition est un point d’ancrage fort de cette manifestation, mais qui n’exclue cependant pas la créativité et la modernité. C’est pourquoi, le Département a lancé un grand jeu public afin de récompenser l’objet tendance 2005, afin de tendre une main, là encore, entre les amateurs et les artisans confirmés.
René-Paul Victoria a, quant à lui, annoncé l’ouverture, dans le courant du second semestre 2005, "d’un pôle permanent artisanal, un espace de choix pour les produits de notre identité régionale", qui devrait se situer dans la deuxième longère du bâtiment de l’ancienne gare routière, sur le front de mer de Saint-Denis. Ce projet répondrait enfin à la demande acharnée des organisateurs du Fait-Main, d’avoir un lieu de vie et de reconnaissance du travail des mains réunionnaises.
"Le Fait-Main s’inscrit dans un développement pérenne et durable et lorsqu’en trente ans on voit passer deux présidents, on constate que le développement durable a besoin de stabilité", poursuit Raymond Lauret. Il souligne à son tour la "très haute qualité artisanale qui place notre pays en tête du hit-parade des Métiers d’Art" et estime que les moyens financiers investis, aussi importants soient-ils, ne rivalisent en rien avec l’amour et la générosité dispensés par les artisans et les militants de ce grand projet d’avenir.

Estéfany

Mais non, il ne part pas "Tonton Manu"

Après 22 ans d’administration et 12 années de présidence, Emmanuel Lemagnen avoue qu’"il n’est pas simple de quitter une association que l’on aime beaucoup". Mais il ne raccroche pas les gants, l’infatigable militant, disons plutôt qu’il change de catégorie et qu’il va batailler dans la cour des grands. "Manu ne part pas", souligne justement Raymond Lauret, "dans la continuité de son investissement, il vise plus haut et donne une autre dimension à son travail, car les aides des pouvoirs publics ne sont pas pleinement utilisées".
L’élu régional rappelle d’ailleurs que si Emmanuel Lemagnen a été choisi pour participer aux missions de la collectivité, ce n’est pas tant pour ce qu’il fera, mais plus au regard de tout ce qu’il a pu faire et donner de lui pour le pays. “Manu”, quant à lui, toujours les yeux rougis par l’émotion, précise qu’"en dehors d’une incompatibilité avec son poste à la Région, il faut savoir s’en aller pour préparer la relève".
Après avoir félicité l’ensemble des partenaires et créateurs qui apportent leur soutien à l’artisanat, il note que la production réunionnaise se vend avant tout aux Réunionnais et en second lieu aux touristes. "Nous sommes le seul pays de la zone à ne pas avoir deux productions, ce qui prouve que nous n’avons pas fait fausse route dans notre schéma de développement et qu’il n’y a aucun décrochage culturel".

12 années de présidence, soit 12 cadeaux

En douze années de présidence soit 38 Fait-Main, Emmanuel Lemagnen en a mené des batailles pour la reconnaissance et la protection de l’artisanat local. De la protection des écailles de tortue en passant par le contrôle de l’artisanat malgache afin qu’il ne détrône pas le savoir-faire de la broderie locale, ou encore le soutien à la création novatrice : à chaque année, un nouveau combat et un présent offert par la présidente, Dany Martin, avec le soutien des nombreux artisans qu’il a si ardemment défendus.
Un bouquet de fleurs endémiques séchées pour rappeler ses débuts, une nappe de Madagascar pour se remémorer sa rencontre avec les officiels malgaches afin de limiter l’importation de leurs produits artisanaux, une roche luminaire qui a fait mouche au Carrousel du Louvre l’année dernière, une broderie de Cilaos, pour souligner les meilleurs ouvriers de France décorés à Paris... "Tonton Manu" a été gâté, mais il le mérite amplement.

Quelques échantillons du 60ème Fait-Main

Plus beau et plus riche d’année en année, le Fait-Main 2004 est un ravissement des yeux et une nouvelle surprise à chaque stand. Les artisans rivalisent d’ingéniosité et mettent à profit les dons de la nature réunionnaise avec une créativité et un savoir-faire à vous couper le souffle. On en ressort avec des couleurs et des idées plein la tête, avec des envies de se mettre à la tâche, en se disant : "mais pourquoi je n’y ai pas pensé" ? Le seul hic, c’est que la création parfois toute simple semble accessible à tous, mais il faut maîtriser le matériau et la technique : artisan, c’est un métier, cela ne s’invente pas !