Lettre de la Chambre d’Agriculture de La Réunion à Monsieur Christian Estrosi, Secrétaire d’Etat à l’Outre-mer

Objet : Loi Programme pour l’Outre-mer

14 février 2008

Les réactions à la promulgation de la proposition de la loi-programme sont nombreuses. Certains articles, et certaines absences d’articles soulèvent de nombreuses questions.
Parmi ces réactions, Jean-Yves Minatchy, président de la Chambre d’Agriculture s’inquiète de l’absence de l’agro-nutrition dans le projet de loi, par une lettre adressée au secrétaire d’Etat à l’outre-mer.

Monsieur,

En visite en Guyane cette semaine, le Président de la République a dévoilé les grandes lignes du projet de Loi Programme pour l’Outre-mer qui vise à libérer les énergies dans les régions d’Outre-mer. Bien que le contenu de la loi ne soit pas officiel, les agriculteurs constatent avec inquiétude que l’agro-nutrition ne fait plus partie des secteurs prioritaires retenues pour la mise en place des zones franches globales d’activités pour La Réunion.

Si cette exclusion était confirmée, elle constituerait les prémices d’un désengagement de l’Etat pour mener l’agriculture réunionnaise vers l’excellence, la création de valeur ajoutée sur le plan local, et même la conquête des marchés, notamment pour nos fruits. Ce rôle d’excellence de notre secteur d’activité est aujourd’hui affirmé, puisque l’agro-nutrition est aujourd’hui le seul pôle de compétitivité retenu.

Pour exemple, la filière fruits et légumes satisfait 80% de la consommation locale en produits frais. La Réunion est aussi le Département d’Outre-mer où la culture végétale est la plus diversifiée. La production sous abris augmente significativement (+ 60% entre 2002 et 2005) limitant ainsi les risques climatiques. Le secteur agricole est très proche des standards métropolitains. C’est aussi une filière intégrée, avec le développement de produits “péi”. Aujourd’hui, la transformation de fruits et légumes occupe 175 personnes et génère un chiffre d’affaires de 23 millions d’euros. Il existe actuellement de nombreux projets de valorisation des fruits tropicaux (jus de fruits) et d’exportation. A ce propos, le letchi et l’ananas ont récemment obtenu la certification “Label Rouge” qui offre des signes de garantie sur le marché européen.
Quant aux filières d’élevage, de transformation et de production de lait, elles ont été très tôt développées afin d’assurer l’autonomie alimentaire de La Réunion, mais aussi de lutter contre les carences alimentaires alors existantes. La filière a fait preuve de dynamisme, et aujourd’hui, elle a rattrapé les standards de production européens. Progressivement, de nouveaux produits arrivent sur le marché (comme par exemple la production industrielle de steak haché frais), et les gammes s’élargissent. Les filières élevage constituent une source de diversification importante et assurent une cohérence en termes d’aménagement du territoire.
Avec un peu moins de la valeur de la production agricole, l’élevage est surtout le fait de deux productions : la volaille et la viande porcine. La filière bovine, bien que plus modeste, a une place importante dans la filière viande. On constate globalement une production de viande depuis 1997 qui couvre 50% de la consommation locale.

La canne à sucre, deux siècles après son implantation, reste la principale source d’exportation de notre département dans une balance commerciale largement déficitaire. Le gouvernement peut-il faire une croix sur cette filière qui a un effet d’entraînement spectaculaire sur les autres activités de l’île (tourisme, industrie...) ?

L’agriculture réunionnaise a une place majeure dans l’économie de l’île, en termes de créations d’emplois directs et indirects, d’autonomie alimentaire, de production de richesse et d’énergies renouvelables. Elle représente à elle seule un tiers des entreprises réunionnaises, fait vivre plus de 15.000 familles et reste le socle du développement économique du département.

Tout ce développement se fait dans le respect des règles sociales au niveau européen qui conduisent à un coût de main d’œuvre qui est 7 à 8 fois supérieur aux pays ACP de la zone, à savoir Madagascar, Maurice ou encore l’Afrique du Sud. Dans ces conditions, il nous est impossible d’être compétitifs par rapport aux pays voisins. Pour exemple, le coût de production du piment à Madagascar est de 1 euro/kg, alors qu’il est de 8 euros/kg à La Réunion. Si l’agriculture locale de bénéficie pas des exonérations prévues par les zones franches globales, nous risquons d’assister à une régression de la production locale par rapport aux pays ACP avec l’entrée en vigueur des Accords de partenariat économique.

Si la loi-programme faisait l’impasse sur le secteur agricole, elle ruinerait les efforts déployés par notre profession et viendrait en contradiction avec les objectifs fixés dans le cadre des Assises de l’Agriculture en préparation actuellement, à savoir l’autosuffisance alimentaire et énergétique, le défi énergétique sur chaque territoire de France. L’Etat français ne peut pas faire le pari, dans un contexte mondial incertain (explosion du coût des matières premières, forte demande des pays émergeants : la Chine et l’Inde), de confier l’alimentation de sa population à des pays tiers, et aujourd’hui, comme plus que jamais, l’agriculture est redevenue un enjeu stratégique pour l’avenir d’un pays, et plus encore de La Réunion.

Sans remettre en cause la pertinence des secteurs retenus pour La Réunion, à savoir la recherche, l’artisanat, l’industrie ainsi que les NTIC, le secteur de l’agriculture mérite une attention particulière, compte tenu de ces spécificités, à savoir :

- Structures agricoles de petite taille et difficultés à réaliser des économies d’échelle,

- Eloignement du marché de l’Union Européenne,

- Grande dépendance de l’extérieur pour l’approvisionnement en intrants agricoles (engrais, produits phytosanitaires et vétérinaires, aliments du bétail...),

- Concurrence des pays d’Afrique du Sud et de l’Est aux potentialités agricoles élevées et coûts de production faibles.

Par ailleurs, cette décision est d’autant plus incompréhensible que lors de votre visite à La Réunion, vous aviez déclaré que l’agriculture serait intégrée dans la Zone franche globale d’activités.

Pour les agriculteurs, cette intégration passe par l’exonération totale de la taxe foncière non bâtie sur les terrains cultivés. Cet effort de l’Etat représenterait un effort financier de 4,5 millions d’euros.
Face à ce constat, la Chambre d’Agriculture demande que l’agro-nutrition réunionnaise, qui représente un secteur à enjeux importants, soit intégrée dans le projet de Loi-programme pour l’Outre-mer.

À cet effet, je sollicite votre haute bienveillance pour m’accorder une audience dans la semaine du 26 au 28 février 2008 à Paris, afin que nous puissions échanger sur le contenu de la loi-programme et la place de l’agriculture.

Je vous prie de croire, Monsieur le Secrétaire d’Etat, l’expression de ma très haute considération.

Le Président,
Jean-Yves Minatchy

LODEOM - Loi d’orientation pour le développement de l’Outre-mer

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Messages

  • Dans la nuit de dimanche à lundi (17/03/08), extraordinaire film de François Dupeyron sur les Gueules cassées de 14-18 ! Bizarre, les programmes n’en disent rien (seuls les quotidiens l’annonçaient) Alors que l’on voit ici ou là, tellement de programmes consternants ! Heureusement que le net m’a permis de retrouver le titre de ce film et le nom du réalisateur


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