OMC : Le manège des affameurs

26 août 2008

La baisse des droits de douane agricoles, au cœur des discussions de Genève, menace la souveraineté alimentaire des peuples et le développement durable dont la planète a besoin.

Faire échouer le cycle de Doha

Pascal Lamy et Peter Mandelson reprennent les arguments développés en leur temps par les économistes anglais Adam Smith et David Ricardo. Outre-Manche, ces deux-là étaient les contemporains de nos rois Louis XV et Louis XVI. Autant dire que leurs théories économiques datent un peu. La planète comptait moins d’un milliard d’habitants quand Adam Smith théorisait sur la capacité de « la main invisible du marché » à réguler toute l’économie au profit de tous. Un peu plus tard, fortune faite dans la spéculation sur les armes de guerre, Ricardo devint un économiste autoproclamé après avoir lu... Adam Smith. Il s’est ensuite rendu célèbre en conceptualisant la théorie des avantages comparatifs, fondée sur le pillage des matières premières les plus faciles à extraire, sur la culture des terres les plus fertiles, sur l’exploitation de la main-d’œuvre la plus habile des débuts de la société industrielle. Une telle orientation ne saurait convenir aujourd’hui pour gérer une planète qui va compter 9 milliards d’habitants dans moins de cinquante ans alors qu’elle est gravement menacée par le réchauffement climatique. C’est pourtant l’orientation défendue par Lamy, Mandelson et consorts.
Elle a été utilisée dans les précédents cycles de libéralisation du commerce. Pour l’Europe, cela s’est traduit par une vague sans précédent de délocalisations de productions industrielles et de services, notamment depuis la fin du cycle de l’Uruguay Round, en 1994. Avec une disqualification, une précarisation et un taux de chômage sans précédent pour une frange toujours plus importante des salariés des pays développés. Ces délocalisations ont également engendré une exploitation particulièrement brutale des nouvelles classes ouvrières et des nouvelles couches salariales des pays émergents. Avec, en plus, une externalisation des émissions de gaz à effet de serre imputable à la consommation des pays riches dans l’aire de production des pays en développement.

Bombes à retardement

Le 8 juillet, au Japon, les chefs des États membres du G8 ont planté chacun son arbuste après avoir promis de réduire de 50% d’ici à 2050 les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Mais ils n’ont pas pris le moindre engagement à court terme. Au contraire. Ils ont promis de tout faire pour donner un nouveau coup d’accélérateur à la libéralisation des échanges commerciaux à l’occasion de la réunion programmée, cette semaine, au siège de l’OMC. En affirmant, contre toute évidence, que c’est la meilleure manière d’augmenter la production agricole.
Or, un succès de la négociation de Genève sur les bases actuelles aboutirait à truffer la planète de bombes à retardement, destructrices pour la production alimentaire des prochaines décennies et au-delà. Car les principaux négociateurs genevois veulent faire reposer l’essentiel de la production agricole mondiale sur quelques pays bien pourvus en terres fertiles. En faisant reculer, via une concurrence exacerbée, la souveraineté alimentaire dans les nombreux pays moins bien servis par la nature. On prendra ainsi le risque d’affamer des populations entières, chaque fois qu’une pénurie de denrées ou une spéculation sur une matière première agricole fera flamber les cours. On risquera aussi d’accroître la concurrence entre la production de nourriture et d’agrocarburants quand « la main invisible du marché », pilotée par les prix, orientera le blé et le maïs vers les réservoirs des voitures plutôt que vers les assiettes des humains.

Prendre en compte d’autres critères

L’Union européenne compte aujourd’hui 27 pays membres et doit nourrir quotidiennement 500 millions de bouches. Elle est déjà déficitaire en céréales, en oléagineux, en viandes et en fruits et légumes. En réduisant de nouveau ses tarifs douaniers et ses soutiens internes, elle le sera davantage demain. Dans le même temps, chaque hectare de moins cultivé en Europe, en Afrique et dans d’autres contrées peu fertiles favorisera, par un système de vases communicants, l’accélération de la déforestation dans d’autres pays pour augmenter la production d’oléagineux, de céréales, de viande, d’huile ou d’agrocarburants pour l’exportation. Pourtant, hormis peut-être les planteurs d’arbres du G8, nul n’ignore aujourd’hui que les déforestations massives modifient le climat, participent au réchauffement de la planète et rendent les récoltes beaucoup plus aléatoires.
Pour toutes ces raisons, un échec du cycle de Doha est souhaitable et doit être suivi d’une réflexion sur la nécessaire réforme de cette institution qui devrait, pour le moins, prendre en compte des critères sociaux et environnementaux en matière de commerce international.

Gérard Le Puill

Mondialisation

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