Economie
Pardon ! symbole des problématiques de l’emploi à La Réunion
/ 10 février 2021
L’annonce publiée par Pardon ! samedi visant explicitement à recruter un responsable venant de France pose une nouvelle fois la problématique de l’accès à l’emploi à La Réunion pour les Réunionnais.
L’annonce publiée par Pardon ! samedi visant explicitement à recruter un responsable venant de France pose une nouvelle fois la problématique de l’accès à l’emploi à La Réunion pour les Réunionnais.
Une offre excluant les Réunionnais
Pardon ! dans son annonce de recherche de poste indique : « Si voyager sur une île perdue dans l’océan indien, à +10.000km de Paris, ne te fait pas peur… ». Le message est donc clair, le Réunionnais est à priori exclu et le responsable sera recruté depuis la France. Qu’il s’agisse d’un coup marketing ou d’une véritable volonté de recrutement extérieur, cette annonce a largement fait réagir. En effet, bien que l’entreprise soit dans son bon droit, n’est-il pas indécent de vouloir recruter en France alors qu’elle se situe exclusivement dans notre pays et que des Réunionnais, qui ne sont de fait pas visés par l’offre d’emploi sont à priori tout autant à même de répondre au profil recherché (responsable E-commerce et Marketing) ?
Des chiffres inquiétants
Cette annonce de Pardon ! n’est malheureusement qu’un exemple – certes caricatural – de la situation de l’emploi à La Réunion, où bien souvent les Réunionnais sont écartés du chemin de l’emploi du fait que des travailleurs venant de France leur sont préférés.
Pourtant, lorsque l’on prend en compte la situation des travailleurs de La Réunion, tout le monde sait qu’il existe de véritables problèmes.
Le chômage tout d’abord, qui touche officiellement 25% des Réunionnais. La réalité sociale est encore plus dure lorsque l’on sait qu’en réalité le taux d’emploi n’est que de 46% sur l’île. Parmi eux, les jeunes sont ainsi majoritaires à ne pas avoir d’emploi. Au-delà de ces chiffres alarmants, il faut également mettre en lien le fait que 39% des Réunionnais vivent en-dessous du seuil de pauvreté, et donc que parmi les emplois disponibles, nombreux sont ceux à être précaires. Une situation qui évidemment ne s’arrange pas avec la crise COVID que nous connaissons actuellement. Ces données étant posées, on constate effectivement une vraie problématique à l’accès des Réunionnais à l’emploi.
Elle est encore renforcée lorsque l’on constate qu’en 2016, l’INSEE relevait qu’en 2016, 24% des emplois étaient occupés par des non-natifs. Un nombre qui est certes à relativiser, mais qui est en augmentation par rapport à 1990, où ils n’étaient que 16%. De plus, on peut également voir que, plus on monte dans les catégories professionnelles, moins le nombre de natifs est important. Ils n’étaient ainsi que 47% parmi les cadres, dont à peine 34% parmi les hauts-responsables. Des chiffres certes en augmentation dans ces catégories, mais toujours largement insuffisants lorsque l’on prend en compte notre situation de pays situé dans l’Océan Indien et non pas de département rattaché géographiquement à la France comme peut l’être le Lot par exemple.
Si l’on prend en compte l’ensemble de ces chiffres, on peut constater que si le nombre de Réunionnais est en augmentation parmi le nombre de cadres, l’embauche de non-natifs s’est quant à elle diversifiée sur l’ensemble du marché de l’emploi. Une situation qui peut paraître étonnante lorsque l’on sait que la formation est de plus en plus importante et que nous formons donc des travailleurs pouvant occuper la grande majorité des emplois sur l’île.
Se posent ainsi plusieurs questions : la formation sur l’île est-elle favorisée ? Enfin, ces offres d’emplois ont-elles été présentées de façon à mettre sur un pied d’égalité les Réunionnais et les non-natifs qui les ont obtenus ?
Un constat sévère
Sur la formation, si l’on peut voir ces dernières années une diversification de l’offre, il n’empêche que celles provenant de l’extérieur et notamment des grandes villes de France sont toujours favorisées par rapport à celles de La Réunion, et cela à tous les niveaux, répondant au vieux réflexe colonial faisant de la France le centre du pouvoir et du savoir. Cette vision a également déjà entraîné ces dernières années le fait que des étudiants de France soient favorisés par rapport à des étudiants Réunionnais pour poursuivre des formations sélectives. Enfin, bien que beaucoup de formations soient disponibles à La Réunion, le départ reste parfois forcé faute d’organisme permettant leur poursuite sur place. Toutes ces raisons font que la formation locale est encore fortement dépréciée par rapport à celle venant de l’extérieur.
La deuxième question, qui est celle de la transparence des offres d’emplois se pose également. En plus de la problématique soulevée par Pardon ! qui est celle d’avoir des offres qui excluent dans l’annonce l’embauche de Réunionnais, se pose également le problème du fait que de nombreuses offres ne sont tout simplement pas publiques. De plus, couplé à cela existe également la question du réseautage. Si cela dans certains cas peut entre-autres s’expliquer par la volonté de protéger une garantie d’emploi pour ses proches, cela bloque de fait l’embauche de Réunionnais pouvant avoir des compétences égales dans de nombreux secteurs.
L’urgence d’une réponse politique
Répondre à l’ensemble des problématiques soulevées ne pourra pas se résoudre par de simples volontés individuelles. Il s’agit en effet d’un problème systémique, il faudra donc apporter une résolution politique, et tant que cela ne sera pas le cas les mêmes maux perdureront des années encore. Il s’agit donc de s’assurer de la valorisation des travailleurs formés à La Réunion, d’empêcher le recours à une main d’œuvre extérieure sauf s’il est démontré qu’aucune personne résidant à La Réunion n’est susceptible d’occuper ce poste. Enfin, il est nécessaire d’imposer la transparence totale sur les offres d’emploi avec leur publication systématique dans les services publics dédiés. Avec ces mesures nécessaires, et seulement avec elles nous pourrons enfin avancer vers l’objectif de l’emploi des Réunionnais à La Réunion.
Mathieu Raffini