Après la mobilisation des agents d’EDF avec le soutien des élus de la Région

Pourquoi il faut défendre le service public de l’électricité à La Réunion

10 avril 2004

Jeudi dernier, des milliers de salariés du secteur de l’énergie ont manifesté en France et à La Réunion pour la défense « d’un vrai service public de l’électricité ». En France, gaziers et électriciens sont au coude à coude pour rejeter le projet de loi sur le changement de statut d’EDF et de GDF, dont l’examen par le Conseil d’État a été repoussé du 8 au 22 avril.

À La Réunion, le service public de l’électricité est la principale “cible” du projet de refonte gouvernemental, en l’absence d’un service public du gaz. Ce service public de l’électricté a été introduit en 1975 avec la nationalisation des réseaux chichement installés depuis 1949 par l’entreprise privée Énergie Électrique de La Réunion (E.E.R).
Les Réunionnais qui ont connu le système de distribution de l’électricité d’avant 1975 se souviennent qu’ils payaient cher un service souvent défectueux et limité pour l’essentiel aux zones d’habitations situées sur le littoral. Les habitants des Hauts de l’île ont dû s’éclairer et se chauffer à la bougie ou à la lampe à pétrole jusqu’à l’orée des années 1980.
De nombreux - et parfois dramatiques - accidents domestiques restent attachés à cette page d’histoire de l’île, pas si éloignée. Encore aujourd’hui, les incendies de kaz dans les Hauts de l’île, de plus en plus rares heureusement, sont encore souvent le signe d’habitations laissées en marge de la couverture d’EDF, pourtant réalisée de nos jours à plus de 95%.
Aujourd’hui, la croissance continue de la consommation n’est plus liée à des besoins de couverture du réseau, mais à l’équipement des kaz et aux besoins de développement économique et industriel. Ces besoins ne peuvent que continuer à croître dans une île qui a encore d’importants retards d’équipement et dont la population va encore augmenter de 33% dans les 25 prochaines années.
Dans le même temps, il reste vrai qu’il faudra apprendre à consommer autrement et à faire davantage d’économies d’énergie. Mais il serait sans doute illusoire de compter sur des modifications d’ordre culturel pour rétablir une situation de plus en plus tendue entre production et consommation.

Sauvegarder la "péréquation tarifaire"

Défendre l’idée d’un vrai service public, cela signifie pour les usagers une "péréquation tarifaire" - dans le cas des DOM, elle est de l’ordre de 80 millions d’euros (525 millions de francs, dont 300 millions pour La Réunion). Pour les salariés, c’est synonyme de droits et d’"un statut de haut niveau". C’est aussi la garantie d’un effectif “protégé”, encore que celui de La Réunion soit plutôt faible, comparé aux autres systèmes insulaires par exemple (voir tableau) .
Depuis plusieurs années, la diminution des effectifs est évidente partout. L’ensemble des départements sont mis devant l’obligation de "faire des économies de 15 % en moyenne" ont dénoncé les syndicats dans la manifestation d’hier.
En dépit des grandes déclarations faites au lendemain de l’élection des 21 et 28 mars, les grévistes ont dénoncé hier le fait qu’aucun changement de cap ne s’est manifesté depuis les déclarations, fin janvier, du ministre des Finances d’alors, Francis Mer, indiquant que "toutes les entreprises publiques sont susceptibles d’être privatisées". Francis Mer évoquait alors la SNECMA, EDF, GDF et AREVA, le groupe nucléaire français. Le projet de budget de Bercy pour 2004 a inscrit quatre milliards d’euros au titre des privatisations.
Mais dans l’opinion, entre les coupures d’électricité en Italie et les grandes pannes américaines, les usagers ont pris conscience que le bilan des privatisations dans le monde est accablant. L’idée que la privatisation d’EDF (et GDF) conduira à payer plus cher l’électricité pour un service moins performant nourrit une résistance que les discours alambiqués du nouveau ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie ne suffiront sûrement pas à éteindre.

Clair comme du jus de chaussette

Mardi à l’Assemblée nationale, Nicolas Sarkozy s’est en effet livré à l’art difficile de noyer le poisson dans son bocal, déclarant d’une part qu’"EDF-GDF ne sera pas privatisé" et que "le statut des agents d’EDF et de GDF ne sera pas modifié", avant de “préciser” que le statut des deux entreprises"sera changé pour leur donner les moyens du développement dont elles ont besoin".
"Ouvrir le marché de l’énergie à la concurrence sans donner les moyens à EDF et à GDF d’agir, c’est irresponsable. Nous ferons donc le contraire", a déclaré le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, répondant aux interpellations des députés de l’opposition. C’est clair comme du jus de chaussette et c’est le contenu de cette déclaration que reprennent sans modération, depuis deux ou trois jours, les responsables locaux d’EDF - dont le directeur régional, M. Buzin, dans un monumental exemple de langue de bois-maison, hier matin sur RFO.
À l’inverse, l’idée lancée jeudi, depuis la Région Réunion au cours de la rencontre entre grévistes et élus, pour l’organisation d’ici quelques mois (d’ici juillet ?) des États Généraux de l’énergie - cette idée donne l’espoir de réunir enfin autour d’un projet concerté tous les acteurs réunionnais du secteur énergie.

Pascale David


D’autres moyens que le changement de statut...

Les partisans du changement de statut d’EDF répètent que l’ouverture de 70% du marché de l’électricité au 1er juillet prochain amène les autorités européennes à “imposer” un changement de statut.
C’est une contre-vérité, si l’on en croit le commissaire européen Mario Monti qui, dans un courrier du 29 janvier 2004 à Frédéric Imbrecht, secrétaire général de la CGT des Mines et de l’Énergie, donne une autre interprétation, fondée sur le droit européen : "D’après l’article 295 du traité CE, la Commission ne peut imposer de régime de propriété particulier et cela n’a pas été la ligne de conduite dans l’affaire EDF. Le gouvernement français aurait pu avoir recours à d’autres moyens que le changement de statut pour soumettre EDF à la législation sur le redressement et la liquidation judiciaire des entreprises."


"L’État procède pour EDF comme pour France Télécom"

La réaction d’Alain Gautheron, secrétaire général de la fédération CGT des postes et de télécommunications, recueillie par Pierre Agudo pour “L’Humanité”, 8 avril 2004 :
"Nicolas Sarkozy affirme qu’on ne privatisera pas EDF mais qu’on modifiera son statut. Chaque cas est particulier, mais ce que nous vivons à France Télécom témoigne du caractère manouvrier de ce type de démarche. Dans notre entreprise, l’État est toujours au-dessus de 50%, mais je crains que, dans cette période où la situation financière de l’État est difficile, le gouvernement cherche à passer en dessous des 50%.
Pour EDF comme pour France Télécom, Nicolas Sarkozy essaye de séparer dans l’esprit des gens l’avenir de l’entreprise de celui des salariés. Il fait le pari que les salariés seraient prêts à abandonner le statut de l’entreprise pour conserver leur statut, sauf que notre histoire nous rappelle qu’il y a un lien étroit entre les deux.
Dès que le capital privé entre dans l’entreprise, il ne reste pas sur un strapontin, il veut s’installer aux commandes, et donc tout ce qui relève du personnel le préoccupe.
L’exemple de France Télécom est significatif : depuis l’entrée du capital privé il y a eu des dizaines de milliers de suppressions d’emplois, c’est la course à la productivité, la souffrance au travail, le stress, l’humiliation. À tel point qu’une sénatrice communiste, après avoir interpellé un ministre au Sénat, a ouvert un site et a recueilli le témoignage de six cents salariés de France Télécom dénonçant leur souffrance au travail. On sait qu’avec l’ouverture du capital, très vite l’exigence de la rentabilité s’est traduite par une pression sur les garanties collectives remettant en cause le statut des personnels, leurs qualifications et leurs rémunérations au profit d’une individualisation à outrance."


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Messages

  • Bonjour,

    Voici l’avis de l’utilisateur industriel privé d’électricité que je suis.

    Que ce soit à la Réunion ou en métropole, il y a un constat :

    - les réseaux électriques Français sont "propres et nets" et de qualité ; allez aux US, ou regardez les reportages avec les nappes de câbles anarchiques, pour comprendre que, jamais, une entreprise privatisée sera à la hauteur.
    La liste d’autres exemples positifs est longue pour ceux qui sont du métier.

    - le statut de monopole oblige EDF à fournir son courant au moindre coût et aux conditions optimales pour ses clients (curieusement, il y a très peu de communication là-dessus).

    - depuis la "libéralisation" de certains secteurs et l’éligibilité de certaines industries, regardez si les coûts ont baissé ; à ma connaissance, c’est plutôt le contraire.

    - même si c’était la mode auprès de mes collègues de critiquer le travail des électriciens-gaziers, je ne peux que me féliciter de leur conscience professionnelle et de la qualité de leur travail, le tout étant directement lié à la qualité de l’engagement des cadres pour leurs équipes.

    Certes, tout n’est pas parfait, mais nous avons, en France et en Europe, suffisamment de circuits officiels, institutionnels ou non, afin de contribuer à améliorer ces choses.

    En revanche, je relève que ça devient de plus en plus crispé chez EDF (peaux de bananes entre cadres, par exemple) depuis qu’on tanne le personnel avec la privatisation.

    De son côté, Nicolas Sarkosy me paraît très courageux, mais il y a trop "d’amis" intéressés par des bénéfices juteux sans contrepartie d’investissements à long terme.

    Pour résumer :
    qu’on le veuille ou non, il existe des secteurs qui doivent relever de l’Etat républicain ou de l’association d’Etats qui partagent ses valeurs (comme l’Europe) :
    - santé
    - défense
    - énergie

    A contrario, imaginons ce qu’il adviendrait si ces secteurs étaient aux mains de fonds de pensions américains, motivés sans autre éthique que le profit immédiat ?
    Les salariés d’Arena connaissent déjà la réponse.


Témoignages - 80e année


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