Quand les patrons philosophent et se mêlent de politique...

2 septembre 2006

Le syndicat patronal, le MEDEF, organise lui aussi ses universités. Pendant 3 jours (les 29, 30 et août), les dirigeants d’entreprises se sont réunis pour palabrer à l’ombre des arbres centenaires du campus d’HEC (Hautes Ecoles Commerciales).

En d’autres temps, on aurait pu se dire que ce rassemblement nous préparait des plans et des stratégies de relance économiques, signes de bouleversement dans le paysage industriel... Comment “dégraisser” une entreprise (traduction = comment licencier le personnel en évitant de tomber sous le coup de la loi). Comment augmenter la productivité d’une entreprise (... en surexploitant ses salariés sans augmentation de salaire) ?. S’il en fut question, cela se passa dans les coulisses où les patrons pouvaient se passer ce genre de tuyaux.

Thème (sans rire) Concilier l’Inconciliable (sic)

Pourtant cette année, cette session a un thème assez étonnant : “Concilier l’Inconciliable” (sic). Et le texte de présentation de ces journées, que certains ont qualifié de sujet de Baccalauréat, vaut son pesant de détours. Il faut apprécier ce commencement qui enfonce les portes ouvertes : "Le monde contemporain est agité de paradoxes et de contradictions". Si un dirigeant ne s’en aperçoit pas, il n’est pas digne d’occuper un fauteuil directorial, car il est lui-même auteur de paradoxes et de contradictions. Mais la suite est encore plus éclairante : "Les démocraties ont vocation à être le théâtre d’affrontements et de prises de positions contradictoires. Mais les oppositions sont aujourd’hui devenues tellement marquées qu’elles gomment la lisibilité du monde. Les divergences ont pris le pas sur les convergences, à tel point qu’il devient difficile de discerner la voie vers le progrès". À lire ces quelques lignes, on en vient à se demander si le MEDEF est vraiment pour la démocratie et s’il ne promotionne pas un monde sans affrontements, ni prises de positions contradictoires... Le genre de pays de dictature où effectivement, les grandes multinationales font fortune sur le dos de salariés sans droits sociaux, mais bénéficiant de la protection des armées locales.

La suite de la présentation est de la même eau. "Partout, à l’échelle de la planète, les modèles s’affrontent. Compétitivité et productivité d’un côté, solidarité et éthique de l’autre... On oppose les dirigeants d’entreprises aux salariés, les industries nationales aux fonds de pensions étrangers, les entreprises aux ONG, le secteur privé au secteur public". La description que donne le MEDEF du monde est révélatrice d’une prise de conscience tardive de ce qu’en d’autres temps, un certain Karl Marx appelait "la lutte des classes". La navrante fausse naïveté fait semblant de découvrir que les dirigeants d’entreprise et les salariés n’ont pas les mêmes intérêts. C’est affligeant d’indigences. Mais ils ne s’arrêtent pas là. Pour eux, il y a d’autres oppositions qui semblent à leurs yeux inconciliables et qu’il faudrait concilier : "Sauver la planète et augmenter les richesses, reconstruire une identité nationale nouvelle, moderniser l’Europe et devenir cosmopolite, défendre les libertés, gérer les risques et garantir les sécurités, accommoder le social, l’économique et le politique...". Au passage, saluons le choix des mots (qui en dit beaucoup sur l’état d’esprit de ces dirigeants), dans leur volonté "d’accommoder" le social, terme qu’on emploie beaucoup en cuisine quand on veut “accommoder les restes”.

Un seul mot d’ordre : pouvoir licencier

Le MEDEF donc dans cette université d’été a voulu "concilier l’inconciliable (...) défi à relever pour retrouver le chemin de la croissance, du progrès et de la paix sociale". On entend déjà résonner les clairons chargés de rassembler sous la même bannière, que l’on soit patron ou salariés, riches ou pauvres, nantis ou chômeurs... Non pas les chômeurs, ceux-là peuvent rester sur les bas-côté de la croissance. "Faut-il prôner le renoncement ou l’invention de solutions nouvelles ? La simplification ou la complexité ? Que faut-il chercher : la synthèse, le compromis ou la confrontation ?". Après de telles questions, il fallait s’attendre à des contributions exemplaires...

La déception fut grande. Ce rassemblement ne fut l’occasion que de répéter les sempiternelles plaintes patronales. Plus de flexibilité, moins de charges... Et toujours des promesses (non tenues) d’embaucher en contrepartie si on accédait à ces revendications.

Le journal “La Croix” titrait justement : "MEDEF : licencier pour mieux embaucher". Avec ce paradoxe qui a fait long feu, à Jouy-en-Josas, lieu de cette université, on a entendu monter la longue plainte des patrons qui n’arrivent pas à licencier comme ils veulent (alors que depuis plusieurs années, de multiples "facilités" leur permettent de le faire...). Ils en veulent toujours plus. Ainsi, le CNE, qui étend à 2 ans la durée pendant laquelle une entreprise peut se séparer de son salarié sans justification, ne facilite-t-il pas assez le licenciement ? Pas du tout, répond un chef d’entreprise à la journaliste de “La Croix” : "ça coûte encore trop cher ", car le patron qui débauche un salarié en CNE doit acquitter une indemnité de licenciement de 10%, "un coût dissuasif pour une PME", selon lui. Et à force de se plaindre, cette vague de doléances n’a pas été vaine, puisque le Gouvernement leur a concédé encore des avantages.

Une valse à 4 temps bien orchestrée au bénéfice des seules entreprises

Dans un premier temps, le Premier ministre a annoncé des mesures d’aides aux déplacements des salariés - mesures qui ont soulevé des protestations bien orchestrées - mais qui sont, il faut le souligner, fa-cul-ta-ti-ves. C’est-à-dire que le chef d’entreprise n’est pas forcé de les appliquer. C’est selon son bon vouloir.

Deuxième temps, le Premier ministre annonce des exonérations de “charges” sociales (23 milliards d’euros d’exonérations de cotisations, 4,2 milliards pour la PPE sans contrepartie actée d’emplois ou de salaires). Avec des résultats à ce point contestables qu’un organisme aussi peu suspect d’antilibéralisme que la Cour des comptes s’en inquiète (comme nous l’avons déjà évoqué dans nos colonnes). Dans un récent rapport sur les exonérations, elle critique un dispositif au coût "très élevé", "incontrôlé", "à l’efficacité quantitative trop incertaine pour qu’on ne s’interroge pas" sur sa pérennité. Le bilan de 20 années de cette "médecine" peut en réalité se résumer ainsi : un chômage qui reste massif, une épidémie d’emplois précaires...

Et troisième temps, le Premier ministre exonère les petites entreprises des charges sur le SMIC. Dans un entretien à “L’Express” qui est paru le jeudi 31 août, le Premier ministre réaffirme la volonté du gouvernement "d’aller vers la suppression de toutes charges (sociales) au niveau du SMIC pour les entreprises de moins de 20 salariés". "C’est un moyen supplémentaire, après le CNE, après les baisses de charges qui ont été engagées, de favoriser les embauches dans les petites entreprises, où les gisements d’emplois sont les plus importants", explique-t-il.

Le gouvernement distribue donc des cadeaux aux entreprises... "(Celles) de moins de 20 salariés ne paieront plus de charges sociales au niveau du SMIC"... Mais il faut quand même rectifier. Pour reprendre une observation de Georges Marie Lepinay sur KOI, il ne s’agit pas de "charges", mais de cotisations sociales. L’ancien syndicaliste a raison de vouloir rectifier, car derrière l’utilisation des mots se cache souvent une falsification de la réalité et des sens donner aux mots pour mieux tromper.

Dépolitiser le SMIC et investir le politique

Avec la quatrième période, les membres du MEDEF se réjouissent de ces dernières décisions qui répondent à leurs vœux les plus "chers" : dépolitiser le SMIC, comme le souligne le journal “La Tribune”. Car, par la voix de sa Présidente Laurence Parisot, l’organisation patronale ne veut pas s’arrêter en si bon chemin. Ils veulent "traquer la démagogie dans la campagne des élections présidentielles et législatives". Alors que les syndicats des salariés ont toujours pris leur distance avec le débat politique, le MEDEF, lui, plonge dedans pour imposer ses vues.

Et pour clore cette université du MEDEF "en beauté", le Ministre Nicolas Sarkozy, et ci-devant prétendant au poste de Président de la République, est venu distiller ses propositions pré-électorales. Accusant les 35 heures de tous les maux, il a fustigé encore une fois ces salariés qui croient "qu’en travaillant moins, on pourrait gagner davantage". Dans l’art de travestir la réalité, ce ministre est passé maître. Car, sans vouloir défendre une loi dont l’application a révélé sa fragilité, il faut quand même rappeler que cette loi a été "naïvement" instituée pour... créer des emplois ; et elle en a créé, pas autant qu’on aurait voulu, mais elle en a créé. Nonobstant, Nicolas Sarkozy, sur la lancée, a proclamé : "Si je devais jouer un rôle dans cette élection (présidentielle), je me battrais pour que les gens travaillent davantage, parce qu’avec davantage de pouvoir d’achat, on a aussi davantage de croissance". Deux remarques : d’abord, l’équation plus de travail - plus de pouvoir d’achat n’est pas prouvée, et même elle est contredite par la réalité, car on sait aujourd’hui que les Français qui "travailleraient" ont une des meilleures productivité au monde, ce qui fait bien l’affaire des chefs d’entreprises qui, pour un minimum de salaires, ont plus de profits.

Si les hommes politiques (outre Nicolas Sarkozy, Ministre de l’Intérieur, José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne, François Bayrou, Président de l’UDF, Jean-Marie Bockel, Président de l’Association des maires de grandes villes de France, Thierry Breton, Ministre de l’Économie, Daniel Cohn-Bendit, Député européen (Verts), les anciens Ministres socialistes Dominique Strauss-Kahn et de Jack Lang, Jean-François Copé, Ministre délégué au Budget et Jean-Pierre Raffarin, ex-Premier ministre)... Si tous ces politiques se sont pressés à palabrer avec la fine fleur des chefs d’entreprise, ce n’est pas "gratuit". Cela préfigure encore plus d’interventionnisme de l’économique dans la sphère publique. Et c’est là le plus grand danger.

A.I.C.


“La Réunion, on y vient... et on y revient !”

Dans ce concert politico-économique, la branche MEDEF-Réunion avait décidé d’investir les lieux de l’université avec le slogan : “La Réunion, on y vient... et on y revient !”. 2.500 sacoches contenant la parfaite panoplie du touriste, T-shirts de promotion de l’île réalisés spécialement pour l’occasion, brochures touristiques et économiques sur La Réunion, reproduction de lithographie de case créole, des recettes de cuisine et un porte-cartes de visite ont été distribués. Nous ne savons pas si les 16 chefs d’entreprise qui avaient fait le voyage ont été récompensés de leurs efforts, mais réduire la "solidarité patronale" à des objectifs touristiques n’est vraiment pas à la hauteur des besoins économiques de l’île.
On avait même sollicité François Caillé, Président du MEDEF Réunion, pour qu’il intervienne sur le thème de “l’universel et le diversel”. Cela "peut sembler abscons", a pu dire un de nos confrères. Manque de chance pour l’orateur, il passait le même jour qu’un certain ministre qui fit les premières pages des journaux...


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