Pour mettre définitivement les Réunionnais à l’abri des conséquences de lointaines crises internationales comme la guerre en Ukraine

Sécurité alimentaire et valorisation de la canne à sucre complémentaires pour La Réunion

2 avril 2022, par Manuel Marchal

Pour que La Réunion soit autosuffisante sur le plan alimentaire, des voix demandent la suppression de la canne à sucre et son remplacement par des cultures vivrières. Si la canne à sucre était sacrifiée au profit de cultures vivrières, ces dernières seraient immanquablement mises en concurrence avec des importations moins chères à chaque fin de chaque période d’isolement. C’est dans les milliers d’hectares de terres en friches que réside la marge de manœuvre pour aller vers l’autosuffisance de La Réunion dans des produits alimentaires de première nécessité. Le co-développement avec Madagascar et la création d’une compagnie maritime réunionnaise pour aller chercher dans notre région notre approvisionnement complémentaire et donc le sécuriser mettront définitivement les Réunionnais à l’abri des conséquences de lointaines crises internationales tout en valorisant son or vert, la canne à sucre.

La guerre en Ukraine implique deux pays importants exportateurs de produits agricoles et de matières premières. Elle renchérit également le coût des importations en raison de la spéculation sur le transport maritime et des perturbations des flux commerciaux mondiaux. La Réunion est fortement dépendante aux importations pour l’alimentation. L’autonomie alimentaire revient donc dans le débat.
Ainsi, l’autosuffisance de La Réunion en riz est mise en avant pour satisfaire la consommation de l’aliment de base des Réunionnais en cas de rupture totale des approvisionnements. Mais si rupture il y a, cela ne concernera pas que le riz et autres produits alimentaires, mais la totalité de nos importations. Or, lorsque l’on parle de production locale, il ne faut pas perdre de vue qu’elle est fortement dépendante d’intrants qui sont importés, à commencer par le carburant pour faire fonctionner les tracteurs et les camionnettes qui alimentent les marchés où cette production est livrée. Ceci rappelle l’importance d’aller vers l’autonomie énergétique en sachant que plus de 80 % des sources d’énergie sont importées.

La production locale dépend fortement des importations

Parmi ces intrants figurent les engrais : calcium, potassium, nitrates… autant de matières premières qui ne sont pas disponibles à La Réunion mais dont l’usage raisonné permet d’augmenter les rendements. Hier, la SICALAIT organisait une opération de sensibilisation à ce sujet. Selon un de ses responsables, 30.000 tonnes d’engrais sont importées chaque année, pour 15 millions d’euros.
La guerre en Ukraine amplifie la hausse des prix causée par la spéculation, avec une facture qui risque d’être bientôt intenable.
Par ailleurs, l’alimentation des animaux d’élevage dépend fortement des importations. Là aussi, la facture va augmenter. Aller vers l’autosuffisance alimentaire suppose donc de consacrer d’importantes superficies à la culture de ces aliments pour bétail. Sachant d’une part qu’il semble illusoire de penser que tous les Réunionnais deviendraient végétariens, et que d’autre part, notre île ne peut compter que sur moins de 50.000 hectares de terres agricoles, la tentation est grande de dire qu’il suffirait de supprimer la canne à sucre pour avoir les superficies nécessaires pour produire tous les aliments pour le bétail et les humains.

La canne à sucre richesse à valoriser et base des autres productions

Or, la canne à sucre à La Réunion représente plus de 200 ans de connaissances et de savoir-faire que le monde entier nous envie. Ce n’est pas par hasard que Tereos, un des plus puissants groupes agroalimentaires européens, a choisi de racheter la totalité de l’industrie cannière. Tereos peut en effet tirer tous les bénéfices de la recherche scientifique réunionnaise dans ce domaine. De plus, la canne n’est pas que du sucre, c’est un or vert qui peut être la base de la production de centaines d’autres produits à forte valeur ajoutée dont des médicaments, de la colle industrielle ou une source de matière première pouvant remplacer les produits dérivés du pétrole comme les carburants ou le plastique. Cette liste n’est pas exhaustive.
La canne est la base de la diversification de l’agriculture réunionnaise. Elle offre en effet une recette qui n’est pas négligeable et qui permet à des exploitations cannières de faire pousser des cultures vivrières destinées à la consommation des Réunionnais. Par ailleurs, la paille de canne constitue une partie de l’alimentation pour bétail, ce qui permet de diminuer les importations. Sans ce pivot, tout peut s’écrouler.

Concurrence des importations pour des raisons de pouvoir d’achat

Il est à noter que La Réunion est une économie ouverte sur le monde. C’est une région de l’Union européenne, et l’UE applique les règles de l’Organisation mondiale du commerce qui tendent à faire tomber toutes les protections des productions locales face aux importations. L’Union européenne ouvre ses frontières à la totalité des importations en provenance des pays voisins de La Réunion, cela s’applique aussi pour notre île, région de l’Union européenne. Son statut de région ultrapériphérique peut permettre de négocier une période d’adaptation à cette ouverture, qui ne peut qu’être transitoire.
Près de la moitié de la population de La Réunion vit sous le seuil de pauvreté. Alors que le SMIC et les retraites et les prestations sociales sont les mêmes qu’en France, le coût de la vie est nettement supérieur. C’est ce que rappelle la surrémunération de 53 % versée par l’État à ses agents titulaires, appelée « prime de vie chère ». Pour la majorité des Réunionnais, le prix est donc le premier critère de choix d’un produit, et sur ce plan, les importations l’emportent souvent. C’est ce qui explique le succès de la carotte d’Australie, de l’ail de Chine, des oranges d’Afrique du Sud ou de la viande importée.

Crise de surproduction locale à la fin de chaque crise

Si la canne à sucre était sacrifiée au profit de cultures vivrières, ces cultures seraient immanquablement mises en concurrence avec des importations moins chères à chaque fin de crise. Et cela d’autant plus que ces importations constituent une source de profit plus importante pour les intermédiaires, car elles viennent de pays où le coût de production et les conditions sociales sont bien moindres qu’à La Réunion.
D’où une crise de surproduction locale, avec la ruine des agriculteurs concernés et le risque d’un retour à la friche des superficies enlevées à la canne à sucre. Le seul moyen d’éviter la catastrophe serait une subvention massive de ces productions, mais les pouvoirs publics en auraient-ils les moyens financiers ?

Valoriser les terres en friches, co-développement avec Madagascar et compagnie maritime régionale

C’est dans les 6000 hectares de terres en friches identifiés par la SAFER en 2013 que réside la marge de manœuvre pour aller vers l’autosuffisance de La Réunion dans des produits alimentaires de première nécessité.
Tout ce qui ne pourra pas être produit sur ces terres en friches devra être importé, même en temps de crise. Cela suppose de sécuriser l’approvisionnement de La Réunion en raccourcissant le trajet de ces produits. Actuellement, ces importations viennent principalement d’Europe et d’Amérique pour l’aliment pour bétail. Cela met La Réunion sous la dépendance de la spéculation sur le transport maritime en temps de crise internationale, qui augmente considérablement le prix pratiqué par les majors du fret maritime.
Le co-développement avec Madagascar pour que ce pays devienne un exportateur de riz et d’aliment pour bétail, la recherche de sources plus proches pour fournir d’autres intrants pour l’agriculture réunionnaise, et la création d’une compagnie maritime régionale pour que les Réunionnais puissent aller chercher dans la région leur approvisionnement sont des pistes sérieuses pour que La Réunion sorte renforcée de la déstabilisation du commerce international liée à la guerre en Ukraine.

M.M.

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