Air France et EDF “dénationalisés”

Un avenir en pointillé pour La Réunion

22 décembre 2004

Les dirigeants des deux groupes précisent leurs objectifs pour les années à venir. Des politiques qui peuvent remettre en cause les services effectués dans le domaine des liaisons aériennes comme celui de la distribution d’énergie à La Réunion.

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Après la disparition d’Air Bourbon on peut penser que l’événement le plus important pour La Réunion dans ses liaisons aériennes est l’arrivée depuis la mi-décembre des Boeing 747-400 d’Air France sur la ligne Paris-Gillot. Les évolutions les plus marquantes à attendre sont sans doute dans une série de faits qui ont eu lieu au cours des dernières semaines.

Air France veut réduire ses coûts

Nous pourrions signaler, à titre d’anecdotes, l’élection de Jean-Cyrill Spinetta, le PDG d’Air France comme “personnalité de l’année” par la Chambre de commerce franco-américaine. Plus une autre distinction décernée par les journalistes spécialisés.
Le fait est que dans une conjoncture morose marquée par la forte hausse du pétrole, le groupe Air France-KLM a dégagé des résultats en forte hausse au deuxième trimestre et assure pouvoir continuer sur cette lancée. Cela explique sans doute les distinctions dont fait l’objet M. Spinetta.
Depuis la mise en route, en mai dernier, de l’entité Air France-KLM, tout en jouant de la synergie créée par la fusion des deux compagnies, son PDG a mené une politique volontariste de réduction des coûts. "Air France-KLM confirme sur ce deuxième trimestre 2004-05 sa capacité à maîtriser ses coûts opérationnels, dans un environnement marqué par la forte hausse du prix du kérosène (...) le groupe devrait continuer de bénéficier de plans d’économies mis en place et des synergies dégagées, notamment sur le dernier trimestre de l’exercice", estime un des responsables du groupe, Aurel Leven, dans une note de recherche. Les prévisions établies il y a quelques mois déjà tablent sur 400 millions d’euros d’économie en 2005-2006 et 600 millions en 2006-2007.
C’est au moment même où le groupe présentait ses meilleurs résultats possibles que l’État français a décidé de céder une partie de sa participation dans le capital d’Air France-KLM. Sa participation qui était de 44,2 % a été ramenée à un peu moins de 20 %.
Du coup, comme l’écrit un journal métropolitain, la compagnie va perdre le “France” de son nom. Cette “dénationalisation” libérera la compagnie des obligations de services publics (tarifs spéciaux pour les enfants, transport du courrier, maintien d’une fréquence régulière des vols, ...) qu’elle remplissait de manière quasi-exclusive outre-mer. Le gouvernement a semble-t-il pris les devants en lançant un appel d’offres. Enfin, poursuivant son objectif de réduction de coûts, la compagnie va nécessairement réévaluer sa politique outre-mer. Alors que l’opinion publique pense le contraire, Air-France répète que ses liaisons ultra-marines sont déficitaires. On la voit mal continuer de laisser les choses en l’état.

EDF veut faire des économies

Les évolutions d’une autre société anciennement nationalisée intéressent au plus haut niveau les Réunionnais.
Devant les cadres dirigeants réunis mardi 14 décembre, le nouveau PDG d’EDF a défini la politique qui sera mise en œuvre par l’entreprise pour 2005-2007. Depuis cette année Électricité de France n’est plus une entreprise publique mais est dôtée d’un statut de société anonyme. "Il nous faut trouver 30 milliards d’euros dans les trois ans à venir", a dit le dirigeant du groupe électrique qui envisage d’introduire le titre en Bourse, d’augmenter les tarifs et de baisser les charges salariales pour faire des économies. Toute la stratégie mise en œuvre vise à faire du groupe une des trois premières entreprises distributrices d’énergie en Europe en 2007.
Encore une fois on ne manquera pas de reposer à l’occasion la question de savoir si la politique de l’entreprise aura des répercussions à La Réunion et lesquelles.
L’évolution d’une logique de société nationalisée vers celle d’une entreprise privée aura-t-elle pour conséquence une hausse des prix et des incertitudes sur le service public lui-même ? La Réunion continuera-t-elle à bénéficier du système de péréquation tarifaire qui lui permet de payer l’électricité au même prix qu’en Métropole malgré un prix de production supérieure ? L’accès à l’énergie sera-t-elle garantie à tous, à commencer pour les Réunionnais faisant partie du deuxième monde et qui n’ont pas les moyens de tout payer ?
En mai dernier, à quelques semaines de la restructuration d’Électricité de France, la direction d’EDF avait souhaité rencontrer les élus des DOM, de la Corse et de Saint-Pierre et Miquelon. Le conseiller régional Philippe Berne était revenu sceptique quant aux intentions de la société notamment sur le système de péréquation tarifaire, laissé dans le flou.
À la fin août, Frédéric Bussin, direction régionale d’EDF, a voulu rassurer l’opinion publique réunionnaise en expliquant que le mécanisme dit de péréquation tarifaire, qui s’applique en France continentale, en Corse et dans les DOM ne sera pas remis en cause. L’article 1er de la loi du 9 août 2004 indique en effet : "dans le cadre de leurs activités, en particulier de gestionnaires de réseaux, Électricité de France et Gaz de France contribuent à la cohésion sociale, notamment au travers de la péréquation nationale des tarifs de vente de l’électricité aux consommateurs domestiques, de l’harmonisation de ces tarifs pour le gaz et de la péréquation des tarifs d’utilisation des réseaux publics de distribution". La péréquation tarifaire est financée par un fonds de compensation abondé par tous les abonnés à l’électricité. C’est grâce également à ce fonds qu’EDF a les moyens d’acheter de l’électricité produite par des collectivités ou des privés à partir des énergies renouvelables. Des achats à un prix supérieur du kilowattheure vendu et qui permettent de développer les énergies renouvelables (bagasse, solaire, éolien). Sur ce point, assurait le directeur d’EDF, rien ne sera changé dans les conditions actuelles.
Mais cela sera-t-il désormais compatible avec la nouvelle philosophie de la société dont l’objectif est de faire des économies et avec la volonté de "faire converger les tarifs vers les prix du marché", comme l’a indiqué, jeudi dernier, le directeur général commercial Jean-Pierre Benqué. Ce dernier a précisé qu’une telle démarche aura pour conséquence de faire passer "la part énergie du tarif de 28 euros par mégawatt heure (MWh) à 35 euros/MWh, pour intégrer les investissements futurs". L’augmentation serait de 25%.
Enfin, dans la perspective d’une baisse des charges salariales, EDF envisage de supprimer 15.000 emplois d’ici fin 2007. Un objectif que les syndicats et les travailleurs d’EDF ne manqueront pas de combattre.
Tant sur le front des liaisons aériennes que sur celui de la vente d’électricité, il faut s’attendre dans les mois qui viennent à de nouvelles évolutions.

J. M.


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