Une filière canne-sucre qui croit en son avenir

3 avril 2007

De gauche à droite, Jean-François Moser, Directeur général de l’usine de Bois Rouge, Xavier Thiéblin, Président du syndicat des fabricants de sucre de La Réunion, Bernard Pétin, Président de la sucrière de La Réunion et Florent Thibault, Délégué général du syndicat des fabricants de sucre de La Réunion.
(photo M.D.)

La Convention canne court sur la période janvier 2006-décembre 2014, tout comme l’entrée en vigueur de la nouvelle Organisation Communautaire de Marché du Sucre. Ces deux textes, on le sait, proposent un prix d’achat de la canne inchangé et garanti jusqu’à la fin 2014. En outre, les planteurs sont accompagnés pour améliorer leurs productions. Du fait que la récolte se produit à partir de juillet 2015, les Industriels du Sucre de La Réunion estiment disposer d’une vision forte de la filière jusqu’à ce moment-là.
C’est ce que Xavier Thiéblin, le Président du Syndicat des Fabricants de Sucre de La Réunion, a rappelé, hier, lors d’une conférence de presse donnée au CERF (Centre d’Essai de Recherche et de Formation) à Saint-Denis. Il a indiqué que l’avenir de la filière canne-sucre dépendait de l’évolution de la Politique Agricole Commune (PAC). Il s’est alors fait didactique en rappelant que la PAC s’appuie sur 2 grands principes : l’indépendance alimentaire et une préoccupation plus grande des enjeux environnementaux (aspects sociaux ou de paysages). A cet égard, Mariann Fischer-Boel, la Commissaire européenne à l’Agriculture et au Développement rural, a fait un certain nombre de communications pour l’avenir de son secteur en 2015. Elle a notamment indiqué qu’elle souhaitait maintenir l’activité agricole sur tout le territoire européen, donc à La Réunion également.
Philippe Soubestre, le Président du Syndicat National des Fabricants de Sucre (SNFS), est également persuadé du soutien de l’Europe à l’agriculture après les années 2014 et 2015. Selon lui, le soutien des DOM de la part de l’UE ne fait pas de doute.
De ces 2 témoignages, Xavier Thiéblin déduit : « Quand je pense à l’horizon 2020, j’ai deux certitudes. Tout d’abord, l’Europe continuera à vouloir promouvoir l’agriculture pour des raisons géopolitiques. Deuxièmement, la filière canne-sucre peut tirer son épingle du jeu en se préparant pendant les 9 années à venir, notamment au niveau de la productivité ».
Poursuivant sur le second point, puisqu’il est directement de son ressort, il souhaite améliorer les rendements. Pour ce faire, 2 points sont fondamentaux. Premièrement, il a cité le foncier (voir encadré). Le second point réside dans les plantations, avec la plantation de souches plus productives, ou encore la mise en place de la mécanisation. A ce titre, il a souligné que les efforts en termes de productivité paient puisque la mécanisation des transports atteint 100% et 15% pour la coupe. Néanmoins, sur ce dernier point, les Industriels du Sucre veulent aller beaucoup plus loin. Ils souhaitent atteindre le potentiel de mécanisation maximal qui se monte, sur l’île, à 40% dans un avenir proche et 60% dans un horizon plus lointain. Enfin, les planteurs ont la possibilité de se constituer en Coopérative d’Utilisation de Matériel Agricole (CUMA) afin de diviser les coûts d’un matériel agricole dispendieux.

Un objectif d’ici à 2020 : 2,5 millions de tonnes de cannes

La dernière campagne de canne a atteint 1 million 943.000 tonnes. Afin d’atteindre le but fixé pour 2020, trois grandes mesures sont mises en œuvre. Premièrement, le “pôle canne” a été proposé comme le lieu physique où planteurs et techniciens se retrouvent de façon à pouvoir se concerter avec 2 missions : offrir un guichet unique et se rapprocher ainsi du producteur ; proposer du conseil technique. Les Industriels du Sucre de La Réunion ont en prévision 6 “pôles canne”. Quatre sont déjà livrés, à Beaufonds, Bois Rouge, Casernes et Tamarins. Un cinquième, au Gôle, sera ouvert en juin 2007. Enfin, un sixième est en préparation à Langevin.
Le second point qui devrait permettre d’atteindre les objectifs fixés en 2020 réside dans les replantations. A cet égard, la Convention canne a prévu des aides pour 3 ans (de 2006 à 2008). A la fin mars 2007, la demande d’aide à la replantation s’élève à 1.732 hectares là où, en 2005, elle atteignait 500 hectares. Sur ces 1.732 hectares, 90% sont effectivement en cours de replantation. 46% des replantations perçoivent une prime de 2.000 euros par hectare, car elles sont l’objet de travaux d’amélioration agricole (meilleure irrigation ou meilleure desserte). Quant au reste, ceux qui concernent de la replantation simple, les planteurs reçoivent alors 1.000 euros nets à l’hectare.
Enfin, la troisième mesure consiste à proposer des primes pour les planteurs en zone difficile, « où la mécanisation est impossible ou non rentable du fait notamment de la pente ». Les Industriels du Sucre accordent 1 million d’euros pour chaque année. Ce dispositif a concerné 7.600 hectares et environ 40% des livreurs.
Xavier Thiéblin termine, optimiste : « Tout ça nous permet de dire que la confiance est retrouvée et que les objectifs à 2020 sont résolument crédibles ». Interrogé sur le coût social en termes d’emplois, des efforts de productivité, ce dernier nous a répondu en 2 points. Tout d’abord, il a indiqué que si ces progrès n’étaient pas faits maintenant, c’est l’avenir même de la filière canne qui était en danger. D’autre part, il a rappelé la difficulté à trouver des coupeurs de canne à La Réunion.

Matthieu Damian


Conserver la Surface Agricole Utile (SAU) et atteindre 30.000 hectares de canne dans les prochaines années

Jean-François Moser, Directeur général de l’usine de Bois Rouge, a rappelé que l’objectif des Industriels du Sucre est de disposer de 30.000 hectares pour la culture de la canne à sucre. C’est une prescription d’aménagement qui est inscrite dans le Schéma d’Aménagement Régional (SAR) de 1995. En 2007, La Réunion compte 26.000 hectares. Selon Jean-François Moser, l’objectif du SAR a permis de limiter l’hémorragie et de restreindre l’étalement urbain. En outre, il se réjouit de constater 2 choses. Premièrement, au niveau de l’aménagement du territoire, il y a une prise de conscience politique, que ce soit au niveau du Conseil régional, du Conseil général, des maires ou des Communautés d’agglomérations. Deuxièmement, ces derniers savent maintenant qu’un tel objectif est atteignable. D’ailleurs, pour ce qui concerne le renouvellement du SAR en 2007, les Industriels du Sucre ont réitéré cet objectif de 30.000 hectares de canne à conserver pour la vingtaine d’années à venir. A cet égard, Jean-François Moser a rappelé l’effet stabilisateur de la canne. C’est grâce à ses profits que les 2 autres filières agricoles de La Réunion (élevage et maraîchage) ont pu grandir.
Il a abordé 2 autres thèmes dans la même lignée. Tout d’abord, avec 1 million d’habitants en 2025, la ville réunionnaise est appelée à se densifier. Pour Jean-François Moser, un tel objectif répond à un objectif : « Il y a de la place pour tout le monde ». Selon lui, avec la densification de la ville, les Réunionnais jouent gagnants sur le thème des transports mais aussi des énergies.
Le second point réside dans la chasse aux terres en friche. Pour ce faire, les Industriels du Sucre ont 2 dispositifs : la carotte et le bâton. Pour ce qui est de l’aspect répressif, la procédure des terres en friche encourage un agriculteur sur sa parcelle à remettre sa terre à tout agriculteur souhaitant la mettre en valeur. Grâce à un nouveau procédé de droit qui accélère les procédures, on a tout à fait la possibilité de dire à quelqu’un qui laisse en friche un terrain agricole de lui dire de mettre en fermage cette parcelle. C’est ce qui s’est passé à Saint-Paul, en accord avec la loi d’orientation agricole de janvier 2006. Pour ce faire, les organismes concernés (la Direction de l’Agriculture et de la Forêt (DAF), le Centre National pour l’Aménagement des Structures des Exploitations Agricoles (CNASEA), la Société d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural (SAFER), la Chambre d’Agriculture) coordonnent leur intervention auprès des propriétaires avant d’enclencher la procédure réglementaire. Cela a permis la remise en valeur agricole de 80% des 550 hectares non cultivés de Saint-Paul. La carotte réside dans la location de cette terre qui profite à celui qui, jusque-là, laissait son terrain en friche.
Interrogés sur les moyens de passer de 26.000 hectares à 30.000 hectares, Jean-François Moser et Xavier Thiéblin ont répondu que La Réunion disposait de 45.000 hectares d’espace agricole. Pour atteindre l’objectif fixé, il faut réveiller le capital dormant. Sur la seule commune de Saint-Benoît, une étude a montré que l’on atteignait 1.000 hectares de terre à utiliser. Les services de la DAF ont élargi cette enquête au reste de La Réunion afin de mettre en évidence les terres en friche dans chaque commune. Cette étude permet même de connaître la fertilité approximative de chaque parcelle.

M. D.


Commentaires

La filière canne-sucre a compris que les 7 années qui viennent sont les dernières d’un régime qui leur est largement favorable. A côté, Maurice n’a pas eu la chance d’appartenir à l’Union européenne, et la situation est difficile, sur place, pour le secteur du sucre. C’est pourquoi, on ne peut que louer les efforts mis en place afin de faire en sorte que la filière canne soit pérennisée à La Réunion au-delà de l’horizon 2015.
Xavier Thiéblin nous a donc répondu qu’il n’y avait pas assez de coupeurs de canne dans l’île. Avec un taux de chômage aussi élevé, n’est-ce pas dû au double fait suivant : d’une part, les coupeurs ne sont pas assez rémunérés, d’autre part, ils n’ont souvent aucune couverture sociale, étant payés au noir ? En outre, les personnes qui seront tout de même mises sur le carreau auront-elles droit à un suivi ou seront-elles comme les planteurs de géranium autrefois laissés à l’abandon ? Les Industriels du Sucre ont-ils prévu une prise en charges de ce personnel ?
Enfin, si l’objectif de densification des villes de Jean-François Moser est louable, il s’oppose au rêve de logement pavillonnaire défendu par une grande part de Réunionnais : avoir une maison à soi plutôt qu’habiter en immeuble. « Il y a de la place pour tous », dit une publicité récente cofinancée par les Industriels du Sucre, mais ils ne disent pas comment.

M. D.


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