Le scandale de l’élection à la C.C.I.R.

Une institution discréditée

22 novembre 2004

Une campagne marquée par une très forte politisation, le recours massif à la fraude, le refus - malgré l’ampleur du scandale - d’intenter un recours en annulation sont des éléments qui sont en train de faire perdre à la Chambre de Commerce et d’Industrie de La Réunion (CCIR) le peu de crédit qui lui restait. La direction qui sera élue le 15 décembre passera, à tort ou à raison, pour être la principale instigatrice des fraudes.
La morale, l’honnêteté intellectuelle et le souci de défendre l’institution auraient voulu que les nouveaux élus refusent de cautionner de telles élections et les pratiques qui les ont accompagnées. Parmi eux, peu ont eu le courage de le faire jusqu’à présent.

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Désormais, le scandale de l’élection du 3 novembre dernier à la CCIR ne fait plus de doute. Après une campagne marquée par une très forte politisation, le recours à une fraude massive, multiforme, ouverte et cynique rend les résultats contestables.
Les faits sont bruts et terribles : par rapport au dernier scrutin, la participation a doublé ; mais, en même temps, près de 27% des enveloppes ont été annulées et n’ont pas été comptabilisées, alors que le corps électoral compte un peu plus de 20.000 électeurs. Ces votes irréguliers - dont l’enquête en cours devra déterminer d’où ils viennent - ne constituent qu’une partie de l’iceberg de la fraude.

Des pressions, des intimidations

La constitution de la liste électorale a été une première source d’irrégularités, comme à l’époque des fraudes massives des années 60/70. Des électeurs qui ne devraient pas se trouver sur cette liste y sont inscrits. D’autres ont bénéficié de double voire de triple inscriptions.
Des maires ont invité des artisans de leur commune relevant de la Chambre de Métiers à s’inscrire comme électeurs à la Chambre de Commerce. Un examen et une comparaison entre les listes électorales de l’avant-dernier scrutin et celles utilisées récemment permettraient de déceler où ces pratiques ont été mises en œuvre.
Des pressions, des intimidations ont été exercées sur un électorat fragile. Tel responsable d’une grande société de BTP sous-traitant avec des petites entreprises n’a pas hésité, pour cette élection, à faire jouer le rapport de force issu de la vie économique. Des maires soutenant la candidature d’Éric Magamootoo ont insisté auprès des commerçants de leur ville pour qu’ils votent dans le “bon” sens. Des votes ont été achetés.
Certains responsables de listes se sont entendus pour “panacher” les listes comme le veut la loi. Ils ont alors appliqué le principe du “donnant-donnant” : on rayait tel nom sur telle liste dans tel collège pour permettre l’élection de tel candidat dans tel autre collège. Au cours de ces tractations certains ont été trompés puisque éliminés à leur insu. C’est ainsi que, s’estimant trahi, le SYCOR, branche commerce de la CGPME, a décidé de se retirer de cette confédération syndicale au motif que Éric Magamootoo l’aurait traîtreusement sacrifié au profit d’autres alliés.
On a eu droit à des marchandages sordides. Ce jeu a été possible dès lors que les têtes de file disposaient en mains propres des “votes” de plusieurs électeurs, c’est-à-dire qu’ils avaient récolté un maximum d’enveloppes pour voter.

Un mort a “voté” dans un collège où le résultat a été acquis à une voix

À partir de listes électorales irrégulières, la fraude a été organisée en faisant voter ceux qui ne pouvaient le faire. Le nom d’une personne décédée ayant voté le 3 novembre a été rendue public. Ce mort a “voté” dans un collège où le résultat proclamé a été acquis avec une voix de différence.
Dans la plupart des collèges, les scores ont été serrés. Dans quel sens la fraude a-t-elle joué ?
Car la fraude a bien eu lieu. Elle a joué au-delà des 3.000 enveloppes retirées et dont les votes ont été annulés. Nul ne peut se prévaloir de l’annulation de ces enveloppes pour affirmer que le scrutin a été purgé de toute fraude et serait ainsi devenu régulier. Bien au contraire, la présence massive de telles enveloppes démontre que l’on était prêt à la fraude la plus grossière pour fausser les résultats de l’élection.
Quand il y a un crime, pour trouver le criminel, on dit toujours qu’il faut rechercher à qui profite le crime. Quand il y a eu fraude et fraude avérée, il convient de rechercher à qui a-t-elle profité ?

La future direction sera soupçonnée

Qu’elle le veuille ou non, la future direction de la CCIR, celle qui sera élue le 15 décembre, sera soupçonnée d’être la principale instigatrice des fraudes parce qu’étant la principale bénéficiaire de ce scrutin. Et si celui qui est présenté comme le vainqueur d’un tel scrutin devenait président, le soupçon sera encore plus lourd, tant l’intéressé donne de lui -jour après jour- l’image d’une personne de parvenir à ses fins.
Le communiqué publié vendredi soir par le SYCOR (voir “Témoignages” de samedi) constitue, à cet égard, un témoignage accablant. Le président du Syndicat des commerçants de La Réunion dénonce chez Éric Magamootoo, une volonté d’ériger "sans honte du ridicule, la trahison, les mensonges et l’ostracisme en “stratégie politique”" ainsi que l’utilisation de tous les moyens - "manquements, trahisons, parjures, mensonges" - pour satisfaire son ambition personnelle.
Avant le scrutin et dès la proclamation des résultats, des responsables syndicaux et des élus ont réagi devant le scandale. Avant que la campagne ne s’achève, le président du MEDEF, celui du SABR et Pascal Thiaw Kine, président de la CGPME, ont mis publiquement en cause les conditions du scrutin. M. Pascal Thiaw Kine, pour rester fidèle à lui-même et à sa démarche syndicale, a tenté d’obtenir mandat de sa confédération pour intenter une action en annulation des élections dont il était pourtant sorti victorieux.
Selon M. Thiaw Kine, l’intérêt général commandait de procéder à de nouvelles élections sinon, "le discrédit" serait jeté "sur les nouveaux élus par le lourd climat de suspicion portant sur la régularité du scrutin". La nouvelle assemblée se retrouverait décrédibilisée "avant même son installation."
Ayant été entendu et suivi par 9 de ses collègues mais désavoué par 12, Pascal Thiaw Kine a démissionné de son poste de président de la CGPME. Le syndicat perd ainsi une pièce importante de son dispositif car son président était connu pour être le principal inspirateur sinon l’unique auteur de toutes les proposition de la CGPME. Chacun sait qu’il est le rédacteur du programme électoral de son syndicat à l’occasion de la récente consultation.

Il y a des victoires qui sont des défaites

La perte de crédit de la CCIR, du fait de toutes ces fraudes, est désormais chose acquise. Ceux et celles qui, dans un tel contexte, vont continuer à se battre pour obtenir qui un poste de président, qui un mandat de vice-président ou une quelconque fonction au sein de la Chambre auront à porter le poids sinon la responsabilité des fraudes. Ils sont apparemment, à ce jour, encore nombreux. Car, comment ne pas contester une élection que tout le monde sait irrégulière ! Détenant les preuves de la fraude, le préfet a demandé au procureur de la République d’ouvrir une instruction sur, notamment, l’utilisation d’enveloppes irrégulières.
L’ampleur avérée de la fraude suffira-t-il pour que l’on remette la balle au centre ?
"On veut voler notre victoire", s’écrie Éric Magamootoo. Mais, il y a des victoires qui sont des défaites. L’homme d’abord ne sort pas grandi d’un tel épisode. L’institution elle-même vient de subir le plus mauvais coup qu’on a pu lui porter jusqu’à présent.

J. M.


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