’À propos du différend franco-comorien sur Mayotte au lendemain de la consultation populaire du 29 mars 2009 relative à la départementalisation de l’« île hippocampe »’ — 2 —

La conception comorienne de l’émancipation des populations coloniales

30 juin 2009

Après voir expliqué ’la conception française de l’émancipation des populations coloniales’ telle qu’exprimée dans le litige franco-comorien relatif à l’île de Mayotte, le Professeur Oraison donne un coup de projecteur sur la manière dont cette situation est vue depuis Moroni, selon la conception comorienne de l’émancipation des populations coloniales.

Dès la Déclaration d’indépendance votée par la Chambre des Députés de Moroni le 6 juillet 1975, les Comores invoquent la violation du principe de la libre disposition des peuples inscrit dans la Charte de l’ONU et la violation de la règle du respect de l’intangibilité des frontières coloniales.

a - La violation par la France du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes

La majorité anti-colonialiste des Nations unies a forgé les instruments légitimant l’émancipation des peuples coloniaux. Elle a précisé le principe du droit des peuples « à disposer d’eux-mêmes » dans la Résolution 1514, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale de l’ONU le 14 décembre 1960, et plus exactement dans son article 2, ainsi rédigé : « Tous les peuples ont le droit de libre détermination. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel ». Dans cette conception, seul est nécessaire l’accord des populations intéressées à l’exclusion de toute autre instance et notamment à l’exclusion du parlement du pays colonisateur. Depuis l’adoption de la Résolution 1514, le principe du droit des peuples a été rappelé par la Cour internationale de Justice, notamment dans un avis du 21 juin 1971 à propos de la Namibie : « L’évolution ultérieure du droit international à l’égard des territoires non autonomes, tel qu’il est consacré par la Charte des Nations unies, a fait de l’autodétermination un principe applicable à tous ces territoires … Du fait de cette évolution, il n’y a guère de doute que “la mission sacrée de civilisation” avait pour objectif ultime l’autodétermination et l’indépendance des peuples en cause ».

Dans la mesure où une disposition constitutionnelle destinée à faciliter l’accession d’un territoire français à la pleine souveraineté a été utilisée pour permettre à Mayotte de rester française, on peut éprouver un malaise à la lecture de la décision du 30 décembre 1975. Le malaise est d’autant plus grand que l’interprétation donnée de l’article 53 de la Loi fondamentale de la Ve République par le Conseil constitutionnel méconnaît également le principe de l’intangibilité des frontières coloniales.

b - La violation par la France du principe de l’intangibilité des frontières coloniales

Ce principe a permis dès 1810 l’émancipation des colonies espagnoles d’Amérique latine dans le respect des limites administratives tracées par le Royaume d’Espagne. Son application emportait transformation des limites administratives établies par l’Espagne en frontières internationales au profit des nouveaux États indépendants hispano-américains. Par la suite, le principe de l’intangibilité des frontières coloniales est devenu une règle coutumière internationale universelle, désormais codifiée en ces termes par l’article 6 de la Résolution 1514 : « Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations unies ». Depuis, la jurisprudence internationale reconnaît pleinement ce principe. Dans l’arrêt rendu le 11 septembre 1992 dans l’affaire du Différend frontalier, terrestre, insulaire et maritime opposant El Salvador au Honduras, la Cour de La Haye se prononce en ce sens : « Le principe de l’intangibilité des frontières coloniales est un principe rétroactif qui transforme en frontières internationales des limites administratives conçues à l’origine à de tout autres fins ».

La balkanisation des Comores en 1975 surprend dès lors que la France a toujours respecté l’unité de l’archipel jusqu’au scrutin du 22 décembre 1974. Certes, Mayotte est française depuis le traité de cession du 25 avril 1841, soit près d’un demi-siècle avant les autres Comores. Mais par la suite, cette unité est établie par la France et confirmée par plusieurs décrets. Lors du référendum national constituant du 28 septembre 1958, les Comores expriment leur volonté de rester françaises, puis confirment le 11 décembre suivant le statut de TOM dont l’unité est réaffirmée par la France jusqu’à la veille de son accession à l’indépendance. Le secrétaire d’État aux DOM-TOM déclare ainsi le 26 août 1974 que le choix de la France s’est porté sur une consultation globale aux Comores pour trois raisons : « La première juridique car aux termes du droit international, un territoire conserve les frontières qu’il avait en tant que colonie. En deuxième lieu, on ne peut concevoir une pluralité de statuts pour les différentes îles de l’archipel. Enfin, il n’est pas dans la vocation de la France de dresser les Comoriens les uns contre les autres ». Olivier Stirn pouvait ainsi conclure : « La France se refuse à diviser les Comores qui ont le même peuplement, la même religion islamique, les mêmes intérêts économiques ».

Ce n’est qu’à la suite du scrutin du 22 décembre 1974 que la balkanisation de l’archipel est décidée avec la loi du 3 juillet 1975 au mépris des « règles du droit public international ». Les Comores ripostent en se proclamant souveraines le 6 juillet 1975 à l’initiative d’Ahmed Abdallah. C’est par ailleurs sur la base d’une coutume liant tous les États — dont la France — que les Nations unies considèrent les Comores comme une entité unique. L’admission en leur sein le 12 novembre 1975 d’un État souverain composé de quatre îles confirme cette approche globaliste. L’admission est votée à l’unanimité par l’Assemblée générale, la France ne participant pas au vote. La sécession des Comores étant acquise avec le scrutin du 22 décembre 1974, le Gouvernement de Moroni considère la loi du 31 décembre 1975 qui fait un sort particulier à Mayotte comme une ingérence de la France dans les affaires intérieures comoriennes.

Par la suite, la France ne peut empêcher le vote d’une résolution adoptée le 21 octobre 1976 par 102 voix contre 1 — celle de France — dans laquelle l’Assemblée générale « condamne les référendums du 8 février et du 11 avril 1976 organisés dans l’île comorienne de Mayotte par le Gouvernement français et les considère comme nuls et non avenus » ainsi que « toutes autres consultations qui pourraient être organisées ultérieurement en territoire comorien de Mayotte par la France » Il s’agit là de la part de l’ONU d’une condamnation par anticipation de la consultation populaire par laquelle la population de Mayotte a approuvé le statut de DOM le 29 mars 2009.

Depuis 1975, les Nations unies condamnent la violation par la France du principe de l’intégrité territoriale des entités coloniales. Ainsi, par 87 voix contre 2 — France et Monaco — et 38 abstentions, la dernière résolution adoptée par l’Assemblée générale le 28 novembre 1994 « réaffirme la souveraineté de la République fédérale islamique des Comores sur Mayotte ». Certes, le cas mahorais n’est plus abordé à l’ONU depuis 1995. Mais c’est à la demande des Comores qui ont voulu ainsi témoigner d’un geste d’apaisement à l’égard de la France. Il reste que la querelle territoriale franco-comorienne continue d’envenimer les relations entre les deux États concernés. Que faire alors pour la résoudre ?

(à suivre)

André Oraison, Professeur de droit public à l’Université de La Réunion (Université Française et Européenne de l’Océan Indien)


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