Naufrage aux Comores

Le témoignage d’un rescapé

28 septembre 2006

Lorsque la grosse vague a frappé, j’ai quitté ma cabine, pour voir ce qui se passait. Le bateau avait déjà chaviré, et j’ai vu des gens se jeter à l’eau. Sans réfléchir j’ai plongé ; sept minutes après, il a sombré complètement.

Assis à même le sol dans une petite maison face à l’une des étroites, sombres et sinueuses ruelles de la médina anjouanaise, Mguéréza ne finit pas de raconter sa mésaventure. Sa femme écoute d’une oreille distraite ce lancinant récit le ponctuant de temps à autre d’un ouf d’essoufflement à force de pleurs et de prières.
Le Ferry Al Mubarak a quitté le port de Majunga le 1er septembre à 18h sans encombre, et il a navigué pendant quelques jours tranquillement. C’est le mercredi 6 septembre vers 23 heures que le temps a commencé à ce gâter et la mer a commencé à s’agiter mais pas trop fort. Vers 5 heures du matin, la mer s’est mise complètement en colère et une vague énorme a heurté le bateau à 8 heures.
C’est là que Mguéréza a quitté sa cabine pour s’enquérir de la situation lorsque tout ce qui était devant a été projeté violement vers l’arrière.
Les matelots ont bien essayé de reprendre le contrôle du bateau, mais une impressionnante quantité d’eau a pénétré à l’intérieur montrant la vanité d’une telle opération. Il s’est jeté à l’eau pour rejoindre les autres car tous ceux qui étaient à l’arrière y étaient déjà, certains volontairement, mais la plupart projetés par le choc et le torrent d’eau.
Dans cette effrayante panique, Mguéréza n’a pas pensé au gilet de sauvetage qui était pourtant à sa portée. Sept minutes après la vague assassine, le bateau a fini de sombrer dans les profondeurs des eaux indocéaniques très loin, au large de Mayotte.

Des radeaux de fortune

En homme de la mer, notre homme aidé de certains des matelots, a fabriqué des radeaux de fortune en arrimant des planches à l’aide des cordes et des filets d’oignons. Ils ont hissé ceux qu’ils ont pu dessus et tout le monde a tenté de rejoindre les canots jetés à l’avant du navire. Ils n’y arriveront pas tous malheureusement.
Dans l’une des deux embarcations où Mguéréza a pris place, 26 personnes avaient trouvé refuge. Ils ont déchiré des matelas pour éponger l’eau que le vent et les vagues ne cessaient de déverser.

À chaque fois le vent nous éloignait des côtes mahoraises

Le dimanche 10 septembre : terre en vue, c’était les côtes mahoraises.
Cependant, tout de suite après, le vent les a poussés vers le large. Lundi, en même temps que se poursuivait l’interminable travail d’évacuation de l’eau, certains ont entrepris de ramer avec les mains, tandis que des volontaires ont plongé pour pousser la bombarde. Cette tentative n’a rien donné tant la pression du vent était soutenue. Mguéréza a même tenté d’amarrer le canot, mais il n’a pu atteindre le fond qui dépassait les 15 mètres alors que Mayotte était encore en vue.
"Fatigué, affamé, assoiffé, et surtout désespéré de voir la côte s’éloigner de nouveau, j’ai rassemblé ce qui me restait d’énergie pour aller chercher de l’aide à la nage à 11 heures avec un gilet de sauvetage".
Il lui a fallu trois heures pour atteindre la terre ferme et une heure pour trouver de l’aide. Les gendarmes l’ont longuement interrogé pour s’assurer qu’il n’a pas débarqué d’un "kwassa kwassa", ces navettes illégales qui relient Mayotte et Anjouan.
C’est après qu’ils ont appelé par radios les hélicoptères et les gardes-côtes pour repêcher les occupants de deux bombardes. Ils assurent que la marine française a pu recueillir certains de ses compagnons qui étaient dans les radeaux.
Ce que regrette, Mguéréza cinq jours après avoir retrouvé sa famille, c’est la démission des autorités comorienne et anjouanaise en particulier : "Alors qu’à Mayotte nous avons reçu le soutien et la visite du Maire et du Préfet qui ont pris en charge notre rapatriement, à Anjouan je n’ai vu aucune autorité ni à l’arrivée ni à la maison pour s’enquérir de notre état ou de nos besoins".
Il s’est rappelé d’un de ses compagnons à la Croix-Rouge de Mayotte qui pleurait son sort d’avoir perdu les marchandises qu’il a achetées avec un crédit de MECC (Mutuelle d’Epargne et de Crédit des Comores)
S’il accepte que les armateurs aient une responsabilité dans les drames en mer, il condamne d’avantage la défaillance des gouvernants. Il n’hésite pas à dire que s’ils avaient échoué à la même distance au large de Moroni ou de Mutsamudu, personne n’aurait été sauvé.
Le navire Al Mubarak avait une longueur de 35 mètres sur 8 mètres de large et pesait 400 tonnes. Il avait quitté Madagascar pour l’île d’Anjouan avec à son bord plus de soixante-dix personnes. Il a coulé à 65 noeuds nautiques des côtes mahoraises, quarante-trois personnes (43) ont survécu au naufrage dont Mguéréza et ses amis Gillot et Magaba.

De notre correspondant,
M. Aliloifa


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