Regard de Soeuf Elbadawi sur la capitale Comorienne

Moroni a le blues, à elle de choisir son destin

17 août 2007, par Edith Poulbassia

Soeuf Elbdawi est journaliste à Kashkazi aux Comores et à Africultures à Paris, mais aussi écrivain, comédien, ancien collaborateur de RFI. Il a participé au Festival du Film d’Afrique et des îles en 2005 et 2006 au Port, au festival du théâtre au Grand Marché... Dans Moroni Bleues chap.II (le chap I n’existe pas), il critique une capitale comorienne encore sous le poids du communautarisme. Les familles de souche méprisant les nouveaux arrivants qui participent pourtant à la construction de la cité, à la sueur de leur front, tels les dockers. « Une suite à Moroni Blues », publiée le mois dernier, reprend les réactions suscitées par ce premier livre. Histoire d’alimenter le débat sur Moroni la capitale ou Moroni la médina. Aider cette cité à assumer son identité.

En janvier dernier, Soeuf Elbadawi publiait Moroni Blues chap.II. Un livre qui avait suscité une vive polémique à Moroni, et même aux Comores, car l’auteur avait osé remettre en question la logique de clan qui règne encore à Moroni, et qui freine selon lui la construction d’une nouvelle citoyenneté ouverte, non pas fondée sur l’appartenance au village, à la souche, mais sur le brassage. Sans détour, Soeuf Elbadwi y exposait sa vision de la capitale comorienne. « Ici, écrivait-il, se dresse le portrait brut-express d’une cité insulaire “mal-fagotée (...) qui se refuse à grandir” », Moroni est pour le journaliste et écrivain, « une ville qui mue à la vitesse d’un mourant qui s’ignore ». Bref, pour Soeuf Elbadawi, Moroni a le blues et il décide de l’écrit, à travers des poèmes, des articles de presse, des entretiens et des rappels historiques, tout ceci illustré par des images des rues de la médina, du port, des dockers, du marché... De cette ville de son enfance qu’il adore mais qu’il aimerait tant voir s’épanouir. Car l’ouverture est à portée de main.

Refus du repli identitaire

Ce discours de refus du repli identitaire ne va pas plaire à tout le monde. Des habitants qui se disent appartenir aux familles de souche de Moroni y voit une attaque contre la tradition. Lors des présentations de Moroni Blues chap. II dans les conférences et débats, “fatwas et quolibets” se font entendre, les avis vont jusqu’à s’exprimer sur internet. Soeuf Elbadawi semble avoir mis le doigt là où ça fait mal, et les réactions vont (pour certaines malgré elles) contribuer à créer et alimenter le débat. Un débat qu’un « tract nauséabond dans la capitale » a voulu tuer dans l’oeuf. Car, enfin, de quel droit Soeuf Elbadawi prend-il la parole ? Dans un pays où « la parole se transmet ainsi par filiation au même titre que le sang ou la noblesse ». Loin de dissuader l’écrivain de poursuivre sa réflexion, l’accueil réservé à Moroni Blues chap.II l’a conduit à publier “Une suite à Moroni Blues”, le mois dernier.

Pour le développement des Comores

Un court recueil d’articles au préalable parus dans le journal Kashkazi, et des réactions d’internautes relevés sur le forum Habari. Rémi Carayol et Kamal’Eddine Saindou, également journalistes à Kashkasi, en sont les co-auteurs. « Au-delà de l’appréciation que l’on peut avoir de l’ouvrage (Moroni Blues chap. II), la rédaction de Kashkasi a été interloqué par ces réactions visant à tuer toute tentative de débat. Simple paresse intellectuelle ou refus d’un échange d’idées enraciné dans une structure sociale qui aliène aujourd’hui la critique sociale ? », s’interrogent les journalistes. La deuxième réponse semble plus appropriée. C’est du moins ce qu’exprime Rémi Carayol et Kamal’Eddine Saindou dans l’article intitulé « De l’impossible débat et du blues à Moroni ». Ce qui s’est exprimé vis-à-vis de Moroni Bleues, c’est le refus de l’autocritique lié au repli sur soi. La colonisation a joué un rôle dans cet enclavement, et la mondialisation est vécue comme une mise en danger de la spécificité culturelle, écrivent-ils. « Tant que le pays ne fera pas le bilan de trente années d’échec politique, il ne peut construire un vrai projet de développement ».

Les internautes s’emparent du débat

Du côté des internautes, les réactions sont vivent. Certes, ils ne sont pas tous d’accord avec Soeuf Elbadawi, regrette parfois « une vision manichéenne » de l’auteur de Moroni Bleues, opposant Moroniens de souche et Moroniens « pièces rapportées ». Mais sont unanimes en ce qui concerne la nécessité de réfléchir à un projet pour Moroni et plus largement les Comores. « Chez le Comorien, force est de constater que c’est le “villagisme” qui prime sur le patriotisme et l’on se demande pourquoi nous sommes victimes de la misère depuis la nuit des temps », écrit un internaute. « Moroni ou pas Moroni, nous sommes mal barrés après trente et un ans d’indépendance et nous risquons de ramer encore pour trois cents ans, si on ne fait pas gaffe », affirme un autre. Soeuf Elbadawi atteint ainsi l’objectif de lancer le débat sur l’identité comorienne. En écrivant “une suite à Moroni Blues”, c’est une nouvelle façon de nourrir ce débat amorcé.

Une nouvelle citoyenneté pour les quatre îles

La réflexion que Soeuf Elbadawi a entreprise dans Moroni Blues, c’est une réflexion sur notre rapport à l’Autre. Les Comores, comme d’autres pays y sont confrontés, mais pour l’Archipel c’est ce qui conditionne en partie son avenir. « Un des problèmes des Comores se trouve aujourd’hui dans notre incapacité à redéfinir une forme de citoyenneté commune aux quatre îles, écrit-il. Nous sommes embarqués depuis trente ans dans des formes d’appartenance identitaire, où le rejet de l’autre - cet Autre qui est pourtant notre semblable - devient systématique. On est Mahorais et pas Comoriens, Anjouanais et pas Grand-Comorien, Moronien et pas Foumbounien. Alors qu’au fond il y aurait plus d’éléments qui rassemblent ces identités dans un même cercle de vie que d’oppositions réellement objectives ». Plus loin, il revient sur cette problématique de l’Autre. « Même notre cousin Mahorais - pour revenir à notre situation locale - se refuse à admettre son double insulaire dans la même cour, sans recourir à l’invective et au viol de nos imaginaires. Il réinvente son histoire pour satisfaire à son désir d’identité française, à son désir d’être différent, en allant jusqu’à effacer les traces de ce qui le lie à ceux qu’ils nomment désormais “clandestins”, c’est-à-dire aux Comoriens comme lui ».

Edith Poulbassia


Moroni, une cité venue d’ailleurs

Pour bien rappeler aux Moroniens qui se revendiquent de souche, l’origine des premières familles, Soeuf Elbadawi a repris un texte de Damir Be Ali, anthropologue et historien sur la fabuleuse épopée des gens de Undroni.
La cité a été construite par des gens venus d’ailleurs. Après la destruction de la ville de Mazwini au XVème siècle, une famille avait deux soeurs stériles. Un astrologue conseilla à cette famille de partir avec un coq et partout ou il chantera la famille pourrait s’installer. Cette famille sera à l’origine de toutes les branches des familles de Moroni. Elle est donc venue d’ailleurs et s’est développée avec des apports successifs.


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