Social

Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT : « La richesse produite doit revenir aux salariés et retraités »

Manifestation aujourd’hui d’une ampleur prévue inégalée depuis 1995

13 mai 2003

À la veille des nombreuses marches pour la retraite prévues aujourd’hui en France, le secrétaire général de la CGT a fait le point sur la mobilisation dans un entretien paru hier dans les colonnes du ’Parisien’. Nous reproduisons cet entetien ci-après. Il présente également plusieurs propositions syndicales pour que la réforme des retraites ne renforce pas les injustices.

• Trouvez-vous que le gouvernement et notamment Jean-Pierre Raffarin justifient de façon convaincante leur projet de réforme des retraites ?
Bernard Thibault - Qu’a dit le Premier ministre ? Vous devriez perdre 20% de votre retraite. Grâce à nous, vous ne perdrez que 15%... Vous parlez d’une grande victoire !
La démonstration de Jean-Pierre Raffarin s’inscrit bien dans une perspective de baisse conséquente du niveau des retraites, malgré les garanties que prétend apporter le gouvernement. Y compris pour les smicards ! De ce fait, présenter cette réforme comme permettant de sauver nos régimes et d’assurer un haut niveau de retraite est un beau mensonge.

• Quel niveau de mobilisation attendez-vous pour demain ?
Je pense qu’on aura une très forte mobilisation - dans le secteur privé comme dans le public - qui sera supérieure, et de loin, aux précédentes. Les salariés commencent à comprendre ce qui les attend à travers le projet de réforme que le gouvernement vient de dévoiler. Il n’a plus rien à voir avec la prétendue équité dont on nous a rebattu les oreilles ces dernières semaines.
La réforme telle qu’elle se présente met sur les rails une baisse conséquente du niveau des pensions. Elle condamne à terme le droit à partir à 60 ans à taux plein. Enfin, avec l’instauration de l’épargne retraite via des fonds de pension, le projet gouvernemental vise à rendre la retraite de plus en plus inégalitaire.
La réforme Raffarin-Fillon constitue bien une modification en profondeur de notre système, ce n’est pas une consolidation comme l’affirme le président de la République.

• La journée d’action du 13 mai est-elle une réponse appropriée ?
Il faut être lucide. Pour l’heure, il nous faut expliquer à grande échelle ce que la réforme contient vraiment. Nous ne nous laisserons pas piéger comme en 1993 (NDLR - réforme Balladur). C’est pourquoi la CGT diffuse à plus 2 millions et demi d’exemplaires un document de quatre pages très clair sur ce sujet. Informés, les salariés se mobiliseront de manière croissante.
Après la journée du 13 mai, nous remobiliserons le dimanche 25 mai avec la FSU et l’UNSA. Au programme, une grande manifestation nationale à Paris qui permettra à un maximum de personnes, y compris en famille, de faire entendre leur voix. Si d’aventure le Conseil des ministres du 28 mai ne prenait pas en compte ces avertissements, c’est qu’il choisirait l’épreuve de force en juin.

• Mais pourquoi ne pas essayer d’étendre le mot d’ordre de grève dès le 14 mai dans ce cas-là ?
L’ensemble du syndicalisme français joue gros dans cette affaire. Aussi bien dans les formes d’action qu’il propose que dans son positionnement vis-à-vis du projet gouvernemental. Il ne sert absolument à rien de se raconter des histoires.
Si, comme le souhaite la CGT, on veut empêcher ce projet de loi de passer, il faut d’abord élargir la mobilisation. Ce n’est pas, comme certains se l’imaginent, en déléguant à quelques secteurs professionnels la responsabilité de défendre l’intérêt général, que nous y parviendrons.

• Comment pouvez-vous souhaiter l’échec de la réforme tout en insistant sur la nécessité de réformer notre système de retraites ?
Nous ne souhaitons pas uniquement faire échec à cette réforme. Nous sommes en effet convaincus qu’il faut améliorer un système qui va être confronté à une augmentation importante du nombre de retraités alors que celui des actifs ne devrait pas s’accroître dans les mêmes proportions.

• Concrètement, quelles sont vos contre-propositions ?
Le gouvernement et le MEDEF affirment qu’on ne peut pas dépenser plus pour les retraites. Nous pensons, au contraire, qu’il faut accroître les recettes pour les financer. La richesse produite dans ce pays ne doit pas être prioritairement accaparée par les actionnaires, elle doit revenir aux salariés et retraités. Il faut donc négocier un autre type de répartition dans lequel les entreprises pourraient être mises davantage à contribution.
Pour atteindre un tel objectif, il faut qu’en Europe, on arrête de rechercher la compétitivité économique en ne jouant que sur le curseur social. Ce n’est pas un hasard si les Italiens, les Allemands, les Autrichiens, les Anglais entendent le même discours que nous sur les retraites. On nous propose de revenir à des niveaux de pension d’il y a plus de cinquante ans, où est le modèle social européen ?

• Quelles vont être les conséquences de cette réforme sur l’emploi ?
Avec l’allongement de la durée de cotisation, une partie des salariés va devoir travailler plus longtemps. De même, les retraités du bas de l’échelle, qui seront de plus en plus nombreux à n’avoir pas assez pour vivre, vont devoir trouver du travail pour compléter leur pension. Je pense aux smicards mais aussi à tous les salariés précaires, peu qualifiés ou qui ont eu des périodes de chômage. Ce sera autant d’emplois en moins pour les jeunes. C’est en ce sens que le système va devenir de moins en moins solidaire et de plus en plus inégalitaire.

Un sentiment partagé : l’inquiétude
Un sondage paru hier dans "le Parisien" confirme les principaux enseignements de celui publié par "Libération" (voir en page 3) : un large soutien au mouvement de mobilisation pour la défense des retraites.

« Mécontentement plus fort qu’en 1995 C’est la grande surprise de ce sondage. Deux Français sur trois affirment soutenir ou avoir de la sympathie pour la manifestation qui aura lieu demain. Un pourcentage beaucoup plus élevé qu’en novembre 1995 (54% à l’époque), lors des grandes grèves provoquées par le plan Juppé. Le gouvernement, qui pensait avoir tiré les leçons de cet épisode, en ne s’attaquant pas directement aux régimes spéciaux de la fonction publique et en jouant le jeu de la concertation, ne restera probablement pas insensible à ce résultat. « Ce sondage prouve que nous entrons dans une nouvelle phase de la réforme Fillon car le débat devient vraiment public », souligne Stéphane Rozes, directeur de CSA-Opinion. Dans le détail, l’étude révèle que ce soutien est plus fort chez les sympathisants de gauche (à 80%) que de droite, mais même ces derniers se prononcent largement (à 45%) en faveur de la mobilisation.

Les cadres, les moins inquiets de tous les groupes sociaux sont plutôt inquiets des conséquences de la réforme sur leur retraite. Y compris les chefs de petites entreprises, les commerçants et les professions indépendantes. Les personnes peu ou pas diplômées sont les plus préoccupées. Tout comme les employés et les ouvriers. En revanche, les cadres (37% affirment ne pas être inquiets) sont relativement plus sereins en raison de leur capacité financière à arrondir leur future retraite grâce à de l’épargne individuelle. Une forme de capitalisation que le gouvernement est décidé à aider fiscalement.

Convaincus que les pensions vont baisser tous les Français se sont saisis de leur calculette et ont une idée plus ou moins précise du sort qui les attend en matière de niveau de leur retraite. Ils sont une majorité (58%) à estimer qu’ils percevront au maximum 70% du montant de leur dernier salaire, ce qui équivaut, dans la plupart des cas, à une diminution de la retraite à laquelle ils auraient droit aujourd’hui, avant la réforme. Ils sont plus nombreux dans le secteur privé que dans le public à tabler sur une pension inférieure à 50% à leur dernier salaire. Une attitude fréquente chez les cadres moyens ».


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