Décentralisation

Dans un climat d’inquiétude généralisée

Le Sénat se penche sur la question des "responsabilités locales"

28 octobre 2003

Le projet de loi sur les ’responsabilités locales’ est à l’ordre du jour du Sénat. Ce débat, prévu pour durer au moins jusqu’au 5 novembre, porte sur le volet des transferts de compétences. Si la Commission des lois de la Haute assemblée a modifié le texte gouvernementale, les élus, conseillers municipaux, généraux ou régionaux, font tous preuve d’une grande inquiétude, en ce qui concerne le volet financier du transfert.

La Commission des lois du Sénat a adopté 219 amendements au projet de loi sur les "responsabilités locales", qui définit les compétences transférées aux collectivités dans le cadre de la décentralisation, a indiqué son rapporteur, l’UMP Jean-Pierre Schosteck (Hauts-de-Seine). La Commission, qui avait entendu à ce sujet le 14 octobre dernier le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, « souscrit à la démarche et aux objectifs du projet de loi » mais a souhaité y apporter des modifications visant à « clarifier les compétences » et à « simplifier les règles qui régissent leur mise en œuvre », a rapporté M. Schosteck. C’est ainsi que, tout en reconnaissant à la Région un « rôle de chef de file » en matière d’interventions économiques, la Commission propose que les Départements puissent continuer à accorder des aides aux PME, au commerce et à l’artisanat. Elle préconise également de « confier l’inventaire général du patrimoine culturel au Département plutôt qu’à la Région », et « le classement des équipements et organismes de tourisme » à la Région plutôt qu’au Département.
S’agissant du domaine de l’éducation, la Commission entérine le transfert aux Régions des techniciens et ouvriers de l’Éducation nationale (TOS) mais entend supprimer « la prise en charge par les Départements et les Régions des rémunérations des assistants d’éducation ». À l’inverse, elle juge que la responsabilité de la médecine scolaire, dont les personnels ne relèvent pas de l’Éducation nationale, devrait être confiée au Département.
Quant au logement étudiant, qui pourrait représenter « des charges considérables », la Commission souhaite que la responsabilité n’en soit transférée aux communes et intercommunalités que dans la mesure où celles-ci en feraient la demande. Le rapporteur a enfin dénoncé « les contraintes excessives » qui continuent à peser sur les collectivités, tenues de consulter comités et commissions, « sources de pertes de temps et de dépenses inutiles ». Les Commissions locales d’amélioration de l’habitat et les Conseils scientifiques régionaux de l’inventaire du patrimoine culturel seraient ainsi supprimés tandis que la création de Centres d’action sociale deviendrait facultative, dans la mesure où les communes et intercommunalités seraient disposées à en exercer les attributions.

Inquiétudes...

Le débat commence aujourd’hui, malgré la demande des sénateurs socialistes : ils avaient écrit au Premier ministre et au président du Sénat pour leur demander le report de ce débat. Claude Estier, président du groupe socialiste au Sénat, a fait valoir « l’inquiétude de très nombreux élus locaux » quant aux « conséquences financières » des dispositions inscrites dans ce projet de loi, tel qu’il a été adopté le 1er octobre en Conseil des ministres. Il précisait : « si les élus locaux sont inquiets, c’est parce qu’ils craignent d’être investis de nouvelles compétences sans avoir les moyens de les exercer, sauf à augmenter très fortement leurs impôts locaux ».
Cette suspension de l’examen du projet de loi devait durer jusqu’à ce que le gouvernement ait fourni au Sénat « les informations financières précises concernant les transferts de charges, les impôts locaux, les dotations de l’État et la péréquation que les membres du Parlement sont en droit d’obtenir ». Claude Estier énumère « les précisions et les garanties financières » qui lui paraissent « indispensables : modalités précises de financement des transferts de compétences proposés, intentions du gouvernement en matière de fiscalité locale et quant à la faisabilité de la seule piste évoquée concernant la taxe intérieure sur les produits pétroliers, modalités futures de la péréquation -désormais inscrite dans la Constitution- au moment où il apparaît impossible d’alourdir les charges d’un nombre important de collectivités locales sans accroître leurs moyens par une péréquation efficace et juste ».
Le président du Sénat, Christian Poncelet, s’était félicité de l’annonce par le gouvernement d’un transfert de 13 milliards d’euros en faveur des collectivités territoriales en contrepartie des transferts de compétences prévus par la loi de décentralisation. « Ces transferts de compétences seront financés intégralement en privilégiant les ressources provenant d’impôts transférés aux collectivités locales. Ils représenteront de 11 à 13 milliards d’euros (dont 6 à 8 pour les départements, et 3 à 5 pour les régions) et concerneront plus de 130.000 fonctionnaires ».

... Et mécontentements

Pour l’Association des petites villes de France (APVF), « la décentralisation a rarement touché la commune depuis vingt ans. Par contre, telle qu’elle est conçue aujourd’hui par le gouvernement, cette réforme va transférer des charges lourdes aux Départements et aux Régions. Or les moyens que le gouvernement mettra à leur disposition ne compenseront pas tous ces transferts. Nous craignons donc que, pour faire face à leurs obligations, Régions et Départements se dégagent des concours qu’ils apportent aux communes, notamment en matière d’équipement ».
L’association des communautés de France -dont le président est le maire UDF de Rodez- a exprimé plusieurs « motifs de frustration et de déception » : tout d’abord, le projet a privilégié les Régions et les Départements et n’a pas pris les intercommunalités comme « cœur de cible : c’est une erreur de tir ». Il regrette aussi que le texte n’ait pas retenu une forme de subsidiarité la plus efficace à ses yeux, à savoir « l’appel à compétences ». L’association regrette également le caractère « trop limitatif » des cas des transferts de pouvoirs de police des maires aux présidents de communautés et voudrait « l’amélioration » de ce projet de loi, notamment en matière de logement social, d’enseignement artistique, « de gestion de façon unifiée du personnel », de simplification des règles du droit de l’intercommunalité et « de mécanismes de solidarité prévus entre communautés (de communes, d’agglomération et urbaines) ». Enfin, elle souhaiterait que soit expérimentée une dotation générale de fonctionnement territoriale, afin de parvenir à une « juste répartition entre communes et communautés de communes ».

Les compétences transférables
Voici, selon les services du Premier ministre, une synthèse des transferts de compétences prévus par le projet de loi sur les responsabilités locales.

- Transferts en matière économique et sociale
Il transfère aux Régions les aides économiques individuelles aux entreprises que gérait l’État ainsi que les crédits de formation professionnelle. Les Départements se voient reconnaître compétence en matière de gestion et de pilotage du RMI, ainsi que pour la gestion de plusieurs fonds sociaux comme le fonds de solidarité logement. La compétence du Conseil général est par ailleurs renforcée dans le domaine des personnes âgées avec une responsabilité unique du président du Conseil général dans l’adoption du schéma gérontologique.

- Transferts en matière de transports
L’essentiel du réseau routier national est transféré aux Départements, l’État ne conservant que la responsabilité des grands itinéraires nationaux. À l’exception des plus grands d’entre eux, les ports et aéroports sont transférés aux collectivités locales.

- Transferts en matière de logement social
Ce domaine est pour l’essentiel dévolu à la compétence des Départements. Le projet de loi précise notamment que les aides à la pierre pourront être déléguées par les préfets, aux Départements ou aux groupements de communes.

- Transferts en matière de santé publique
Il reviendra aux Régions d’établir des programmes régionaux de santé publique en complément des plans de l’État, et de participer au financement des investissements hospitaliers.

- Transferts en matière d’éducation nationale
Concernant les personnels techniques, ouvriers et de service de l’Éducation nationale, leur gestion est transférée aux collectivités locales. Outre la responsabilité de construire et de gérer collèges et lycées, qui leur est reconnue depuis 1983, les collectivités locales se voient également reconnaître compétence en matière de gestion des personnels d’entretien. Le personnel pédagogique (enseignants, surveillants) reste en revanche de l’entière responsabilité de l’État.

- Transferts en matière de gestion du patrimoine culturel
L’inventaire du patrimoine culturel est confié aux Régions ou, à défaut, aux Départements. La propriété de certains monuments historiques pourra être transférée aux collectivités locales. La gestion des crédits destinés à aider les travaux sur des monuments privés pourra également être confiée à titre expérimental aux Régions qui en feront la demande ou, à défaut, aux Départements.
Une loi examinée en 2003 pour être applicable en 2005
Beaucoup de précipitation
Les transferts de compétences seront reportés à 2005 mais la loi est examinée en 2003. Pourquoi tant de précipitation ?

Le Premier ministre a confirmé que le texte de son projet de loi de décentralisation renvoyait au 1er janvier 2005 les transferts de compétences aux collectivités locales, alors que la version initiale de ce texte prévoyait ces transferts pour début 2004. Mais si les transferts de compétences sont retardés d’un an, le projet de loi qui les précise est soumis dès aujourd’hui au Parlement. Raison invoquée par l’hôte de Matignon : « Pour ne pas faire des transferts dans la précipitation, sans pouvoir rassurer sur les financements qui vont avec, j’ai décidé de renvoyer l’entrée en vigueur des transferts au 1er janvier 2005 ».

Et de se réfugier derrière la loi de finances pour 2005, (alors qu’on discute fermement de celle de 2004). Ce projet de loi de finances sera soumis au Parlement à l’automne 2004. Il devrait « garantir noir sur blanc que les ressources transférées aux collectivités correspondent bien au coût des compétences déléguées. Les transferts de compétences n’entreront en vigueur que sous réserve que la loi de finances pour 2005 en ait correctement tiré les conséquences ».

Mais avec un déficit public qui restera important en 2005, avec la suite des baisses d’impôts, on peut s’attendre à ce que ce transfert financier soit très très faible...


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