Droit de grève à vendre 1.000 euros

Droit de grève : Un “deal” sans précédent

25 février 2008

Promets-moi que tu ne feras pas grève pas et je te donnerai 1.000 euros. Mais si tu ne respectes pas le ’deal’, alors tu devras me rembourser. Les négociations salariales prennent une tournure singulière au sein de l’entreprise GT Logistics, à Tarnos, en Aquitaine. Son PDG espère étouffer les débrayages du personnel en achetant leur droit de grève.

La CFDT-Transports d’Aquitaine explique que cette proposition intervient à un moment où le personnel proteste contre le blocage des négociations salariales annuelles par la Direction. Pour "amadouer" les 94 salariés de l’entreprise, le PDG leur promet une fin de mois moins exsangue par le biais d’un « contrat de garantie de permanence de service » doté d’une avance de 1.000 euros.

« Récompenser » le personnel qui ne fera pas grève

Une enveloppe alléchante pour des salariés français dont le pouvoir d’achat est en berne. Selon la Direction, 60 d’entre eux sembleraient prêts à signer le fameux contrat, inédit du genre, qui obligerait les salariés à « maintenir une garantie de prestation », comme l’explique le PDG de GT Logistics, Eric Sarrat. C’est sans détour que ce dernier confie vouloir « récompenser » le personnel qui s’engagera à assurer la continuité de sa mission au sein de l’entreprise, faisant ainsi fi des désaccords de fonds avec la Direction s’agissant des négociations salariales. Arguant l’impératif économique, la Direction de l’entreprise, qui a réalisé en 2007 un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros et renégocie actuellement le contrat avec son client Turboméca, réfute toute tentative de rachat de droit de grève estimant que les salariés restent libres de tout mouvement. Liberté conditionnelle pourtant, car en cas de grève, les salariés devront alors rembourser l’avance de 1.000 euros !
Considérant ce contrat illicite, la CFDT a décidé de porter le dossier devant les tribunaux. Elle juge les méthodes de la Direction relevant d’une autre époque. « On se croirait revenu au temps du Comité des forges où les patrons achetaient la paix sociale avec les bonnes œuvres de leurs épouses et cassaient les grèves », défend le syndicat sur un tract distribué la semaine dernière devant les portes de l’entreprise par une quarantaine de travailleurs. Il appartient désormais à la justice de trancher : un patron peut-il mettre en place de la sorte le service minimum au sein de son entreprise ? Peut-il contourner les négociations salariales annuelles ? Peut-il surtout s’attaquer à un droit de grève inscrit à la Constitution ? Peut-il, enfin, contre toute moralité, acheter et priver des travailleurs d’un droit fondamental sachant que ces derniers souffrent d’une insuffisance notoire de revenus ?

Stéphanie Longeras


Réactions syndicales locales

• Ivan Hoareau, Secrétaire général de la CGTR

« Inadmissible »

Cette proposition du PDG de GT Logistics n’est que le résultat de la politique conduite par le gouvernement actuel et par laquelle le Président de la République incite clairement les patrons à agir en force avec leurs salariés. « C’est une remise en cause ouverte du droit de grève sur les bas salaires », commente encore Ivan Hoareau, qui qualifie de « cynique » cette « forme publique », rappelant que les attaques au droit de grève sont courantes, mais habituellement plus insidieuses. Intimidation, achats des délégués syndicaux, menaces de licenciements... « il existe déjà d’autres moyens d’entraver la grève ». On franchit ici un cap dans la remise en cause des droits des travailleurs. La CGT devrait elle aussi renvoyer ce dossier devant la justice.

• Jean-Pierre Rivière, Secrétaire général de la CFDT

« Scandaleux »

« On est dans un monde où tout peut s’acheter, même la Constitution », analyse Jean-Pierre Rivière, qui s’indigne sans pour autant s’étonner. « Apparemment, le droit syndical n’est pas accepté dans cette entreprise. Même si c’est scandaleux, les camarades ne sont pas étonnés ». Il serait, selon lui, « inconcevable » que le rachat de droit de grève soit légalement approuvé. « Je ne pense pas que les tribunaux statueront favorablement sur cette mesure. Les patrons ont toujours eu cette tentation d’agir sur le droit de grève, mais on résistera ». Et l’argument économique avancé par le PDG de GT Logistics n’est pas, selon lui, recevable. « Le droit de grève n’a jamais fait fermer une entreprise, c’est le patron. S’il y avait plus de dialogue social, on pourrait éviter les grèves, notamment à La Réunion où il fait particulièrement défaut compte tenu du tissu économique et de la petite taille des entreprises. Le dialogue social, ça se construit, mais le patron manque souvent de volonté ».

Propos recueillis par SL


Commentaire

Grande braderie du Code du travail : Tout doit disparaître !

On tire à boulets rouges sur le Code du travail soi-disant trop complexe et contraignant pour les chefs d’entreprise, mais dans les faits, plutôt que de le simplifier, on l’opacifie pour mieux mettre à mal les droits des salariés. On simplifie aussi le contrat de travail, développe le CDD, négocie les clauses de licenciement avant sa signature. On maintient les salaires au plus bas pour permettre aux entreprises de rivaliser avec le faible coût de la main d’œuvre étrangère, mais on détaxe les heures supplémentaires et remet en cause les 35 heures. On insécurise, on précarise, on “tempartiellise” l’emploi : il faut bien partager le travail puisque les exonérations de charges sociales ne permettent pas au patronat d’en créer suffisamment. On négocie le service minimum, fiche les salariés rétifs qui s’indignent d’un emploi mal payé, mal considéré, éprouvant. On sacralise la croissance, prône le tout-économique, diabolise les chômeurs, dégomme les précaires, expulse ces travailleurs immigrés qui se font spoliés depuis des années, asservis par la peur d’être dénoncés. On va vendre ses RTT et, bientôt, on échangera son dimanche d’astreinte contre un carnet de tickets repas. A ce jeu de dupes, les travailleurs s’essoufflent. Troubles musculo-squelletiques et stress sont en constante augmentation.
Entre pressions politiques et craintes des salariés de contester, entre rachat des uns et manque de courage ou résignation des autres, les syndicats tentent la résistance en ordre dispersé. Le marché du travail emprunte à toute vitesse un virage mafieux, à l’image d’un modèle de société à la dérive où l’argument économique écrase les valeurs et droits humains fondamentaux. Alors, si les syndicats s’indignent sans pour autant se surprendre de cette proposition de rachat du droit de grève, le pire qu’il puisse arriver aux Français serait d’être blindés face à de telles attaques, car ils y deviendraient alors indifférents. Il faut continuer à se surprendre et surtout à s’indigner pour rester debout pour que les acquis arrachés par les luttes d’hier soient encore ceux d’aujourd’hui et plus encore ceux de demain.

SL


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