Retraites

L’indemnité des fonctionnaires d’outre-mer serait « injustifiée »

Rapport de la Cour des comptes

17 avril 2003

Partiellement dévoilé mardi par le journal "Les Échos", le rapport de la Cour des comptes intitulé "Les pensions des fonctionnaires civils de l’État" a été largement repris par l’ensemble de la presse et ne sera officiellement publié qu’aujourd’hui. C’est la suite logique du travail que la cour des comptes a entrepris depuis 1999 sur la gestion de l’État. "Libération" souligne : « C’est un des mérites de la Cour de démontrer à quel point la retraite des fonctionnaires est, contrairement aux apparences, inégalitaire. Ce que reconnaît Jean-Christophe Le Duigou (CGT) : "Il y a autant de différences à l’intérieur du secteur public, et d’injustices, qu’entre les grandes entreprises et les PME dans le privé" ».

« La liste est longue »

Le régime des retraites dans la fonction publique est véritablement analysé dans ses moindres détails. La Cour recense pour la première fois, l’ensemble des dispositions spécifiques dont bénéficient les agents de l’État.
Elle dit elle-même : « La liste est longue » de ces dispositions jugées « abusives », « irrégulières », « discrétionnaires ». La Cour démonte les processus qui ont conduit à la mise en place de « quasi-régimes particuliers », des « régimes de faveur » dont bénéficient certains fonctionnaires. Elle aborde également l’indemnité des fonctionnaires d’outre-mer, qui serait « injustifiée » (voir encadré).

« Tradition d’opacité »

Le rapport explique que « le régime des fonctionnaires de l’État abrite un certain nombre de dispositions tirées d’une histoire ancienne, bien antérieures le plus souvent à la Seconde guerre mondiale, dont la justification s’est étiolée avec le temps (…) et, néanmoins, jamais remises en cause », ou de « l’interprétation coutumière extensive des textes existants », (comme le code des pensions), le tout hérité d’une « longue tradition d’opacité ».
Bref, un mélange de textes ayant donné naissance à un « ensemble stratifié, figé, fréquemment contourné dans les faits » qui est, selon la Cour, « à l’origine de différences de traitement peu justifiables ».

Les mères de famille

La Cour dénonce les systèmes qui permettent à certains fonctionnaires de partir à la retraite dès cinquante-cinq ans, voire cinquante ans. Elle dénonce les systèmes qui font que des fonctionnaires, mères de trois enfants, peuvent bénéficier d’une retraite anticipée et qui peuvent « liquider leur pension après quinze années de service ».
Le rapport propose même de « s’interroger sur les justifications et le bien-fondé même » de cet avantage.
Comme le souligne "Le Monde", « cette mesure a-t-elle encore un sens, à une époque où les départs interviennent, en pratique, à un âge "où les difficultés de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle sont les moins grandes ?" ».
La Cour ne manque pas d’appeler « d’urgence » à un « réexamen » de toutes les autres « bonifications pour enfant ».

Les revalorisations indiciaires

Le rapport recense aussi « l’octroi injustifié de revalorisations indiciaires et statutaires », et remet encore en cause les modes de revalorisation des pensions.
"Libération" explique que ce rapport dénonce « la possibilité pour certaines catégories d’intégrer des primes au calcul de leur retraite, et ce très souvent sans fondement légal. Comme par hasard, dans deux secteurs "choyés" : les Finances (Douanes, mais aussi Monnaie) et la police ».
Le journal poursuit : « Pour ces derniers, cette pratique permet de majorer les pensions de 19% en moyenne. Mais d’autres départements ont aussi leurs niches : c’est le cas des Affaires étrangères, dont les agents en poste à l’extérieur ont droit, depuis 1853, à une bonification d’une année, pour trois passées à l’étranger (coût : 185 millions d’euros par an) ».

Les promotions en fin de carrière

Le rapport dénonce la pratique qu’il juge « fréquente » et qui consiste à opérer des promotions en fin de carrière pour accroître les droits, la pension des agents étant calculée sur le traitement indiciaire des six derniers mois. Le rapport met en cause les dérives « à l’origine de véritables carrières de retraités », « permises par cet article du code des pensions qui veut que les fonctionnaires pensionnés bénéficient des revalorisations indiciaires accordées aux actifs », souligne "Le Monde".
Le rapport parle aussi des stratégies de carrière des fonctionnaires en soulignant qu’une très forte proportion de fonctionnaires opère en faveur « d’un choix de vie » par rapport à des « considérations d’ordre exclusivement financier, qui auraient pu les conduire à prolonger leur activité au-delà de 60 ans pour atteindre l’échelon sommital de leur corps », pour reprendre les propos du "Monde". "Libération" donne la parole au syndicaliste Jean-Christophe Le Duigou, qui explique : « on touche à la limite de l’exercice : nombre de fonctionnaires atteignent l’avant-dernier échelon à 45-48 ans et n’ont plus ensuite de promotion jusqu’à la retraite. Ceci explique cela ».

"Coût exorbitant"

Comme l’écrit Lætitia Van Eeckhout, dans "Le Monde" en date du 15 avril, « le résultat promettait d’être corrosif, il l’est ». Toute la presse souligne que ce rapport "tombe mal", juste au moment où le gouvernement va révéler le contenu de la réforme qu’il envisage à ce sujet. Nul doute que ce rapport « ne manquera pas de mettre sous pression syndicats et gouvernement ».
À quelques jours de nouvelles rencontres avec les partenaires sociaux, le document pourrait pourtant embarrasser le gouvernement, car s’il apporte apparemment de l’eau à son moulin, il pourrait aussi être perçu comme une provocation par les syndicats. Le rapport de la Cour suggère donc que, « dans le respect de l’identité profonde de ce régime », il faudrait « engager une entreprise très profonde de modernisation ». Il parle du coût exorbitant généré par ces systèmes. « La somme nécessaire au financement des départs à la retraite des fonctionnaires est évaluée à 18,7 milliards d’euros constants (valeur 2000) en 2020, et à 35,2 milliards d’euros en 2040 », analyse "Le Monde".

Outre-mer : la Cour se prononce pour la suppression de l’indemnité
Le journal "Les Échos" explique que « parmi les multiples niches dont bénéficient les retraités de la fonction publique, la Cour des comptes en pointe une aussi onéreuse qu’insolite : une indemnité versée depuis 1952 aux fonctionnaires retraités résidant outre-mer. Majorant la pension de 35% à La Réunion et Mayotte jusqu’à 75% en Nouvelle-Calédonie, Polynésie et Wallis-et-Futuna, cet avantage n’est généralement soumis ni à la CSG, ni à l’IR. Il coûte pas moins de 158,8 millions d’euros. Pour la Cour, "il importe de mettre fin à l’attribution de cette indemnité injustifiée, d’un montant exorbitant et sans le moindre équivalent dans les autres régimes de retraite" ».

Les élus épinglés

Les parlementaires issus de la fonction publique ne sont pas les moins bien lotis : ils peuvent prétendre à la retraite à 50 ans, et la cumuler avec leurs indemnités d’élus. Car depuis 1875, les fonctionnaires élus au Parlement peuvent en effet liquider leur pension à 50 ans, en la cumulant avec leur rémunération de parlementaire.
Ce régime particulier a même été étendu depuis 1979 aux députés européens. La cour invite « expressément l’État à réexaminer cette disposition particulière ».

Questions
• Comme le soulignait l’éditorialiste Philippe Reinhard dans "Le Télégramme" à propos du rapport de la Cour des comptes sur les retraites dans la fonction publique, « reste à savoir si les Français, d’accord pour la réforme du moment qu’elle s’applique aux autres, accepteront une potion forcément amère ». La réponse est capitale, non seulement pour les fonctionnaires, mais aussi pour le gouvernement, pour « l’avenir de la droite » comme le précisait un chroniqueur politique. En 1995, Alain Juppé avait, lui aussi, essuyé le mécontentement populaire. Avec les conséquences que l’on connaît.

• Comment comprendre la sortie de ce document ? Est-ce une coïncidence de calendrier ? Est-ce une tentative de déstabilisation du gouvernement ? Est-ce un nouveau "passage en force" de celui-ci ? La parution de ce document va-t-il être un "tremplin" pour le Premier ministre ? Ou le coup de grâce fatal ?

• Comment vont réagir les syndicats ? Vont-ils continuer à affronter le projet de réforme de façon unitaire ou vont-ils opter pour des stratégies de défense des acquis, de façon sectorielle ?

• Que va faire le gouvernement ? Faire face aux "risques sociaux" pour reprendre sa terminologie ? Va-t-il aller jusqu’au bout de sa logique ou va-t-il opter pour des changements moins "fondamentaux" ?


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