Social

La décentralisation inquiète

Journée d’action des fonctionnaires en France, jeudi

1er avril 2003

À l’appel de six organisations syndicales, les agents de l’État observeront une journée d’action jeudi prochain en France. Quatre préoccupations majeures dominent : l’emploi, les salaires, la retraite et l’avenir du service public avec la relance de la décentralisation.

La relance de la décentralisation - telle que la prévoit le gouvernement - va-t-elle devenir une pomme de discorde entre l’État et ses agents ? C’est le 28 février dernier, à l’occasion de la clôture des Assises nationales des libertés locales, que l’opposition gouvernement-fonctionnaires a commencé réellement à prendre corps.
Ce jour-là, le Premier ministre annonçait que « plus de 150.000 fonctionnaires devraient à terme rejoindre la fonction publique territoriale ». La mesure entrera en vigueur dès le 1er janvier 2004. L’Éducation nationale, où 110.000 agents non enseignants devront passer de la fonction publique d’État au service des collectivités territoriales, serait principalement concernée. Le 18 mars dernier, des syndicats d’enseignants appelaient à la grève pour protester contre la mise en œuvre de cette disposition. Car les fonctionnaires concernés y sont hostiles.

Des problèmes posés aux collectivités

D’ailleurs, le transfert de 150.000 fonctionnaires va poser des problèmes aux collectivités territoriales appelées à les recevoir.
Les Conseils généraux devront accueillir les techniciens, ouvriers sociaux et de santé (TOSS) des collèges, les personnes rattachées à la santé scolaire et des fonctionnaires de la Direction départementale de l’équipement (DDE). Les Conseils régionaux, eux, hériteront des TOSS des lycées, des conseillers d’orientation et des chargés de mission affectés aujourd’hui aux services économiques déconcentrés de l’État. Selon certaines prévisions, c’est à un quasi-doublement des effectifs que devront faire face certaines régions.
Or, le transfert de personnels de l’État vers les collectivités locales ne se fera pas à « doses homéopathiques » comme cela avait été le cas lors des précédentes vagues de décentralisation. Il va donc d’autant plus poser des problèmes de management et d’organisation du travail pour les Départements et les Régions.
Ces dernières auront à modifier leur politique de "ressources humaines". En raison des compétences qui leur étaient dévolues jusqu’à présent, les Régions emploient majoritairement des cadres A. Elles auront désormais à gérer une masse plus importante de personnels techniques.
Par ailleurs, Conseils généraux comme Conseils régionaux auront à incorporer de nouvelles filières, de nouveaux métiers, de nouvelles pratiques et de nouveaux statuts. Or, la plupart des Conseils généraux viennent tout juste de parvenir à harmoniser les régimes statutaires des précédents transferts de fonctionnaires de Préfecture, des Affaires sanitaires et sociales (DASS) et de l’Équipement (DDE).

Des moyens financiers et humains

Mais justement, au nom de l’expérience acquise, certaines collectivités estiment être en mesure de pouvoir accueillir convenablement les nouveaux arrivants. Toutefois, une bonne intégration sera possible à condition de disposer des moyens financiers et humains nécessaires, notamment en termes d’encadrement.
Ces moyens seront importants pour aider au règlement de la question de la gestion et de l’aménagement du temps de travail. Le personnel de l’Éducation nationale bénéficie généralement des congés scolaires. Quel sera son nouveau régime ? Quel sera son temps de travail ?
Chez les intéressés, c’est l’angoisse. Tous craignent de perdre des avantages acquis et de devoir changer de métier.
En cas de modification des missions des agents transférés, les syndicats estiment qu’il sera nécessaire de mettre en place des formations adéquates pour une adaptation à l’emploi ou pour une formation plus lourde si nécessaire.
Afin de tenter d’effacer les inquiétudes, le gouvernement essaie de mettre en place une série de procédures. Avant la fin du mois de mai, il réunira les Conseils supérieurs des trois fonctions publiques (État, collectivités locales, collectivités hospitalières) pour préparer les évolutions futures.
Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) a été sollicité afin de préparer le passage du service de l’État à la fonction publique territoriale. Le Centre mettra aussi en œuvre dans les collectivités une bourse de l’emploi, qui permettra aux collectivités et aux fonctionnaires de catégorie A et B en recherche d’emploi de connaître les disponibilités existantes.
Le CNFPT développera aussi des modules de formation destinés aux fonctionnaires de l’État en instance de transfert.

L’inquiétude persiste

Malgré toute cette préparation et tout le dispositif envisagé, les fonctionnaires concernés et leurs organisations syndicales restent inquiets.
La vague « réformatrice » gouvernementale alimente les mécontentements et les inquiétudes. « Nous dénonçons à la fois le budget qui nous est alloué et les objectifs de décentralisation du ministère, explique un responsable du SNES en France. Le budget va par exemple entraîner la suppression de 5.600 surveillants au plan national dès la rentrée. Nous nous opposons également à la décentralisation de toute une partie du personnel, qui risque de perdre son statut de fonctionnaire de l’éducation nationale, et notamment les 100.000 ATOS, pour devenir fonctionnaires territoriaux ». « Ce projet va de plus donner aux élus régionaux et aux entreprises le pouvoir, extrêmement dangereux, de décider l’ouverture ou la fermeture des filières de formation professionnelle », ajoute le responsable du SNES en France.
« En cassant notre statut commun, nous allons perdre l’unicité de l’acte éducatif, qui va au-delà de l’enseignement et que nous revendiquons. Il y aura forcément des différences de service proposées entre les régions pauvres et les régions riches, car la péréquation ne se fera pas. Nous craignons également que la décentralisation soit la porte ouverte à la privatisation des cantines, le plus grand restaurant de France », dit un dirigeant de l’académie d’Aix-Marseille de la FSU.
Les organisations syndicales de fonctionnaires craignent en effet que le gouvernement trouve avec la décentralisation le moyen de se séparer de nombre d’agents de la fonction publique, de réformer l’offre de services publics et de faire peser sur les collectivités territoriales des dépenses assumées aujourd’hui par l’État.
C’est pourquoi, la question de l’avenir du service public à travers la relance de la décentralisation sera une des revendications portées par la journée d’action de jeudi.

Paul Vergès : l’enseignement est un service public
Le transfert d’une partie du personnel de l’Éducation nationale vers les collectivités est un sujet d’inquiétude à La Réunion aussi. Les organisations syndicales locales ont, à plusieurs reprises, donné leur sentiment sur le sujet.
Le 26 février dernier, invité des "Matinales" sur Radio-Réunion, Paul Vergès était interpellé par un auditeur sur « la position du Conseil régional concernant l’éventuel transfert de personnels de la fonction publique d’État, de l’Éducation nationale dans les collectivités ».

Le président du Conseil régional exposait le point de vue suivant : « L’enseignement, l’Éducation nationale, est un service public et c’est un des éléments essentiels de l’intégration et de la cohésion d’une société. Sur ce plan, La Réunion effectivement doit être intégrée à ce fonctionnement et cela interdit toute décentralisation du personnel, des programmes pédagogiques, etc...
Nous voyons aussi l’évolution depuis 50 ans : c’est l’Éducation nationale, la préparation des jeunes à la formation qui a constitué le plus fort ascenseur social dans l’île. Si nous avons des Réunionnais à certains postes, c’est qu’ils ont été formés par l’Éducation nationale.
Enfin, dans le cadre des décentralisations de compétences, les assemblées locales devraient pouvoir être entendues sur un certain nombre de données, que ce soit par exemple dans le secondaire les filières pour les lycées. La Région pourrait être consultée et donner son avis là-dessus. Donc, il n’y a pas de confusion à avoir et pas de procès d’intention, car la position de la Région sur ce plan là est extrêmement claire »
.


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