Changements climatiques

Les agriculteurs français devront s’adapter

Un article du "Monde"

25 avril 2003

’Le Monde’ continue à informer régulièrement ses lecteurs des conséquences possibles du réchauffement climatique, notamment pour l’agriculture française. Après un premier article (voir ’Témoignages’ du lundi 7 avril), le quotidien parisien a consacré un deuxième sur le même sujet dans son édition datée du 19 avril. ’Le Monde’ y fait largement état des études menées par l’Institut national de recherche agronomique (INRA) sur les effets, positifs ou non, qu’une hausse des températures pourrait avoir demain sur les cultures. Nous reproduisons ci-dessous cet article accompagné de plusieurs encadrés.

« Les scénarios du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) prévoient que la température du globe pourrait augmenter de 1,4 à 5,8 degrés d’ici à la fin du XXIème siècle. En France, cette hausse pourrait atteindre 2 à 3 degrés, selon Météo France. Des chiffres qui conduisent nombre d’organismes de recherche à s’interroger sur l’avenir. En particulier, l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), qui, au sein de la mission "Changement climatique et effet de serre", créée en 2002, étudie les répercussions de ces éventuelles modifications sur l’agriculture française sous la direction de Bernard Seguin, directeur de recherches à l’INRA-Avignon. « Le changement en France est déjà perceptible depuis quinze ans », avance-t-il. « Nous sommes déjà passés à un autre régime concernant la vigne et la date de floraison des arbres fruitiers », explique-t-il. La date des vendanges a ainsi été avancée de plus de trois semaines en cinquante ans à Châteauneuf-du-Pape, et, suivant les lieux et les espèces, la floraison a lieu de cinq à quinze jours plus tôt.

« Nous ne savons pas encore avec certitude s’il s’agit de fluctuations de températures normales ou de signes avant-coureurs du réchauffement climatique, mais nous devons nous mobiliser pour les vingt prochaines années, car, s’il y a une augmentation supplémentaire de la température de 1 degré d’ici à 2020, cela commencera à marquer les paysages », prévient Bernard Seguin.
Prendre les devants est donc indispensable, quand on sait qu’il faut environ cinquante ans pour obtenir une forêt de production et vingt ans pour un arbre fruitier. Pour tenter de prévoir l’évolution des pratiques culturales qu’il faudra mettre en place en fonction de l’augmentation du taux de CO2 (un des principaux gaz à effet de serre), le meilleur moyen est encore d’utiliser des modèles de culture. Les chercheurs de l’INRA ont commencé à travailler sur des modèles - "Ceres" ou "ARC-wheat" - développés aux États-Unis et en Grande-Bretagne à partir des années 1980. Puis ils ont mis au point leur propre modèle (STICS), en liaison avec d’autres organismes de recherche français (CEMAGREF, CIRAD, IRD et instituts techniques agricoles).

Un réveil plus précoce

Ces modèles, qui reproduisent des processus de croissance généraux adaptés à des plantes spécifiques, tels le blé, le maïs, la tomate, le lin, la banane, la salade ou les arbres fruitiers, ont été testés pour différents scénarios de réchauffement. Et, pour affiner les simulations en introduisant aussi les aspects agricoles, les chercheurs « ont collaboré avec des laboratoires de modélisation du climat de la région parisienne, comme le LSCE à Saclay, afin de coupler climat et agriculture ».
Que nous apprennent ces simulations ? Que, si le niveau du gaz carbonique (CO2) dans l’atmosphère double d’ici à 2070/2100, la température, bien sûr, montera, ce qui aura pour effet d’augmenter la photosynthèse de 30% à 40% et la biomasse de 20% à 30%. En effet, la hausse de la température entraîne un réveil plus précoce des cultures et des plantes.
Pour les cultures cycliques annuelles, cette accélération se traduit par un cycle plus court, excepté pour la prairie et la forêt. Pour elles, le début de la saison de végétation est aussi avancé, mais sa phase finale est retardée, ce qui a pour effet d’augmenter la durée de végétation. De plus, l’augmentation du CO2 a un effet positif sur la rétention de l’eau et contribue à terme à fermer les stomates, ce qui réduit fortement la transpiration des plantes.
Au total, et sous réserve qu’il y ait des changements radicaux de la pluviosité, « les conséquences d’un changement des conditions climatiques telles qu’annoncées devraient être plutôt positives pour notre agriculture », avance M. Seguin.

Aujourd’hui, les rendements des céréales comme le blé et le maïs varient entre -10% et +10%, suivant les régions, cette valeur atteignant 0% à +10% pour les grandes régions céréalières de la région parisienne. Mais, selon une simulation plus précise réalisée sur la culture du blé dans le Sud-Est du pays, il apparaît qu’un réchauffement moyen de 2 degrés provoquerait un doublement de la teneur en CO2 actuelle et entraînerait un raccourcissement du cycle de la culture d’environ trois semaines. Ce phénomène n’a pas réellement d’impact sur le rendement, mais il provoquerait, par contre, une baisse de la teneur en protéines, et donc une baisse de qualité. « Un changement climatique nécessitera donc une adaptation des variétés cultivées et des calendriers de fertilisation », précise Nadine Brisson, de l’INRA-Avignon.

Adapter les méthodes

Une grande interrogation demeure, cependant, sur les effets du réchauffement sur l’eau et la pluviosité. Si la hausse des températures risque de se traduire par davantage de pluies en hiver et plus de sécheresse en été, il faudra peut-être songer à utiliser l’irrigation. D’autre part, certaines températures sont trop élevées dans le Sud et sont limites pour la culture du maïs. Enfin, on ne tient pas compte des effets induits par les ravageurs, qui pourraient être stimulés par le changement climatique.
D’autres cultures, comme la prairie et la forêt, devraient aussi être stimulées par ces modifications climatiques. La productivité de la prairie pourrait augmenter, par exemple, de 30% dans le Massif central. Celle de la forêt aussi, sous réserve de conditions hydriques appropriées. D’une manière générale, les agronomes constatent que la première moitié du XXème siècle a été marquée par une augmentation de 30% de la productivité du bois. Mais ils ne savent pas s’il faut attribuer cette situation au réchauffement ou à la pollution atmosphérique : l’augmentation de la productivité pourrait être due à l’azote transporté par les pluies.
Faut-il s’en inquiéter ? A priori, « l’adaptation ne sera pas forcément catastrophique, sauf événements extrêmes - fortes chaleurs, sécheresses marquées, plus grande pluviosité, fortes tempêtes -, sur lesquels », avertit Bernard Seguin, « on a très peu d’informations fiables ». Il sera donc vraisemblablement nécessaire d’adapter alors les méthodes culturales. « Mais, pour ce qui concerne les terroirs, on s’interroge », car leurs productions sont liées à des conditions particulières de sol, de pluviosité et de températures.
Que se passerait-t-il, en effet, si, par exemple, les conditions climatiques qui "font" les vins de Bordeaux changeaient d’une manière importante ?

Des effets déjà visibles
Dans une étude publiée en janvier par "Nature", une équipe de chercheurs américains et costaricains a montré que nombre d’animaux et de plantes avaient déjà commencé à s’adapter à la hausse, pourtant encore faible (0,6 degré au cours des cent dernières années), de la température.

L’analyse de 143 rapports relatifs à la vie de 1.473 espèces indique en effet que la ponte des oiseaux, l’apparition des fleurs et la sortie d’hibernation des mammifères est plus précoce qu’auparavant. Ainsi, l’hirondelle canadienne et américaine, qui niche dans les arbres, a avancé de neuf jours en moyenne sa date de ponte en quarante ans. La marmotte du Colorado termine sa période d’hibernation trois semaines plus tôt que pendant les années 1970. Et un certain nombre d’espèces - des papillons jusqu’aux invertébrés marins - ont déplacé leur territoire plus au Nord. Autre phénomène : en Alaska, la croissance des sapins blancs a été ralentie ces dernières années. Logique, disent les chercheurs, « puisque les modèles relatifs au changement climatique laissent à penser que les pôles se réchaufferont plus rapidement que l’équateur ».

Le houx apprécie le redoux
Avec ses feuilles persistantes en hiver, le houx semble être un symbole parfait de la résistance au froid. Jusqu’à un certain point. Car c’est précisément le froid hivernal qui limite son extension vers le Nord. En collaboration avec l’Inventaire forestier national, qui, tous les dix ans, effectue un échantillonnage de placettes forestières sur tout le territoire français, les chercheurs de l’INRA ont mis en évidence une extension rapide du houx dans le Nord des Ardennes. Ils ont aussi observé la progression des espèces de plaine dans l’étage montagnard des Vosges. Ces déplacements sont probablement une des manifestations de l’impact du réchauffement climatique sur la répartition des espèces végétales en France.

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