Climat

« On peut redouter des Niños plus forts »

Colloque de scientifiques à Toulouse

9 octobre 2003

Des spécialistes du phénomène climatique ’El Niño’ étaient réunis en colloque à Toulouse. Interview dans ’Libération’ de son organisateur, l’océanographe Joël Picaut.

Alerte aux Niños ! C’est le message d’une centaine de scientifiques spécialistes d’El Niño. Réunis fin septembre à Toulouse, à l’invitation du Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiale (LEGOS), ils s’inquiètent d’une relation possible entre le réchauffement climatique général et l’intensité des futurs épisodes El Niño, phénomène qui apparaît lorsque le Pacifique tropical voit ses eaux chaudes de surface basculer d’Ouest en Est, bouleversant la météo à l’échelle de la planète. Bilan du colloque par son organisateur, Joël Picaut, océanographe à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

• Êtes-vous parvenus à déterminer si les épisodes El Niño sont plus fréquents et plus forts avec le réchauffement climatique du XXème siècle ?
- C’est une question qui nous inquiète beaucoup. Les Niños de la fin du siècle, en particulier en 1982-1983 et en 1997-1998, ont été très violents et dévastateurs pour les hommes -sécheresses et incendies majeurs à l’Ouest (Indonésie, Australie), inondations, dégâts agricoles et destructions d’infrastructures en Amérique et en Afrique. Les spécialistes estiment qu’on peut attribuer plusieurs dizaines de milliers de morts et des dizaines de milliards d’euros de dégâts matériels à ces épisodes. En outre, entre 1991 et 1995, une série de Niños de faible intensité se sont succédé de manière assez étrange. Quant à celui de 1997-1998, malgré la mise en place d’un vaste réseau d’observations (bouées fixes tout le long du Pacifique tropical, satellites, bouées dérivantes...), il n’a pas été prévu avec assez de précision quant à son intensité par nos modèles.
Or, nous sommes devant deux hypothèses pour expliquer cette succession exceptionnelle, à l’échelle du siècle, de Niños aussi intenses. La première est plutôt rassurante, car elle repose sur l’existence d’oscillations naturelles et lentes de l’atmosphère ou de l’océan Pacifique, d’une à trois décennies. Elles auraient provoqué depuis une vingtaine d’années un réchauffement du Pacifique tropical et, ce faisant, un renforcement des Niños. La situation pourrait donc s’améliorer naturellement. L’autre, plus inquiétante, suppose que c’est le réchauffement climatique général depuis un demi siècle qui en serait la cause. Comme ce réchauffement ne peut que s’accentuer à l’avenir, surtout avec le refus des États-Unis de ratifier l’accord de Kyoto, cette seconde hypothèse fait craindre la répétition accrue de tels épisodes. Notre colloque a permis de progresser, mais n’a malheureusement pas pu trancher la question.

• Qu’est-ce qui vous manque pour répondre à cette interrogation ?
- D’abord une meilleure connaissance du passé, afin de vérifier les hypothèses sur les oscillations naturelles du Pacifique. Les mesures régulières effectuées par navire n’ont que cinquante ans et l’observation globale par satellite vingt ans au mieux. Pour reconstituer l’histoire des Niños passés, il faut rechercher leurs traces dans les coraux, les sédiments océanographiques et lacustres, les glaciers tropicaux, la végétation... Nous avons réuni des spécialistes de toutes ces techniques, et même un collègue de l’IRD qui a fait un gros travail avec les sources historiques depuis la colonisation du Pérou, il y a cinq siècles. Il y a de plus en plus de données ponctuelles, mais le manque d’une synthèse générale interdit encore d’en tirer la véritable histoire des Niños. Lorsque toutes ces équipes auront mis en commun toutes leurs données, cela deviendra possible, ce qui permettra de tester l’hypothèse des variations lentes. Et même d’en comprendre les mécanismes. Quant à l’avenir, la tendance des modèles numériques actuels, c’est de prévoir des Niños plus forts et plus fréquents, bien qu’il faille rester prudent. Ces simulations sont encore trop grossières pour reproduire vraiment les mécanismes d’un Niño.

• Quand serez-vous capables de prévoir l’intensité d’un Niño six mois à l’avance ?
- On peut déjà correctement prévoir l’arrivée d’un Niño ; le véritable enjeu toutefois, c’est d’en prévoir l’intensité. Dans un Niño, il y a "l’effet mémoire" à moyen terme de l’océan. Le déplacement des masses d’eau qui font un Niño se mesure sur un an. Cette lenteur permet de s’affranchir du chaos atmosphérique à court terme et rend la prévision possible. On peut aujourd’hui prévoir l’arrivée d’un Niño sept ou huit fois sur dix. En revanche, l’intensité est très difficile à prévoir car elle dépend des variations décennales mais aussi de coups de vents peu prévisibles. En outre, si le réchauffement climatique s’accentue, le système océan/atmosphère du Pacifique va évoluer continûment. Si la cause des Niños plus forts provient de ce réchauffement, la prévision sera encore plus délicate à réaliser.


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