Cinéma

Plaidoyer pour la « maîtrise de l’image »

Roger Kahane, réalisateur, président du jury du festival Écran Jeunes

6 octobre 2003

Au début des années 80, la série ’Papa poule’, avec Sadi Rebbot, qui traitait le thème de la famille recomposée, sujet tabou à l’époque, c’était lui. ’Je suis vivant et je vous aime’, c’était lui aussi. Il a aussi assuré la réalisation d’une douzaine d’épisode de la série télévisée ’L’instit’ avec Gérard Klein. Juste avant de venir dans l’île pour présider le jury du festival Écran Jeunes, à Saint-Pierre, il a terminé deux épisodes d’une série que l’on verra bientôt sur nos petits écrans, ’Le tuteur’ avec Roland Magdane. Rencontre avec un réalisateur qui a souvent travaillé sur le thème de l’enfant en leur accordant le bénéfice de leur spontanéité dans le jeu…

• L’enfant et le cinéma, vaste programme !
Roger Kahane - Il y a l’enfant dans le film et l’enfant devant l’écran. Ce sont deux questions bien distinctes. Cela dit, qu’il y ait un enfant dans un film, dans une fiction, cela créée un réflexe d’identification de la part du jeune spectateur qui ne reste pas indifférent. C’est quelque chose que l’on retrouvait aussi dans la littérature. Quand on lisait "Sans famille", on avait envie de pleurer. Cosette dans "Les Misérables", on est tous avec elle. Mais cela dit, il y a quelque chose de curieux. On sait bien par exemple qu’aujourd’hui, les enfants manient l’ordinateur mieux que leurs parents. Et d’une certaine manière, ils "parlent" mieux le cinéma que leurs parents. Ils déchiffrent les images avec une virtuosité dont les adultes ne font pas toujours preuve. Mais en même temps, ils peuvent être la proie des images.
C’est pour cela qu’il est intéressant d’avoir un tel festival qui s’adresse au jeune public avec des films qui ne sont pas "formatés" ou faits exprès. Au contraire, ce sont des films qui peuvent parfois déranger, amener à se poser des questions. Et cela me parait être une bonne approche entre le jeune public et le cinéma.

• On parle souvent de la spontanéité des enfants. Sont-ils faciles à diriger pour un réalisateur ?
- J’ai une vieille pratique de ce genre de situation. Il y a assez longtemps, avec la scénariste Danielle Collenberg, on avait envie de raconter ce qui se passe avec un père qui s’occupe de ses enfants. On a alors inversé toutes les données et cela a donné une série qui a eu beaucoup de succès à l’époque, qui s’appelait "Papa poule", où l’on voyait un père célibataire qui se débrouillait avec ses enfants contre vents et marées sous le regard un peu narquois de ses anciennes femmes et de tout le monde en général. Maintenant, ce genre de situation, un père qui s’occupe de ses enfants, est entré dans les mœurs. Mais à l’époque, ce n’était pas courant.
C’est comme ça que j’ai eu le plaisir de diriger des enfants, de m’appuyer sur leur goût du jeu, de la spontanéité, sur les drôles d’idées qui surgissent comme ça, en permanence. Il faut être d’une grande disponibilité pour les accueillir, pour que les partenaires adultes ne soient pas déroutés de voir tout à coup un enfant faire quelque chose qui n’était pas tout à fait prévu. Je porte donc le regard d’un réalisateur qui n’est pas le même que pour les acteurs professionnels. Je ne fais pas de différence entre adulte et enfant, mais entre un professionnel et un enfant qui, par définition n’est pas un professionnel.

• Lorsque, comme lors du festival Écran Jeunes, vous vous retrouvez avec des enfants dans une salle, à regarder un film, qu’il soit de vous ou d’un autre réalisateur, comment réagissez vous ?
- Mais les films, il faut surtout les voir avec les enfants ! L’autre jour, j’ai vu à la télévision, chez moi, le film sur Astérix. Bon, j’ai trouvé ça très moyen. C’est idiot… Il ne faut pas regarder ça chez soi, comme ça…

• Sans doute l’avez-vous regardé avec l’œil du professionnel ?
- Non, mais c’est imbécile de regarder ça, tout seul. Il faut le regarder dans une salle, avec plein de gens qui communiquent leur bonheur, leur joie devant chaque gag, sans esprit d’analyse. Les enfants, par exemple, sont complètement mus par leur émotivité. Pour ma part, j’aime bien rire ou pleurer, ce qui est un peu à contre-courant, car actuellement il y a tout un cinéma qui s’en prend aux neurones et qui moi, me laisse assez froid. Mais le film qui nous fait peur, nous fait vibrer, nous fait ressentir des choses, nous fait découvrir en nous des attitudes et des émotions que l’on na pas forcément dans la vie courante, c’est une gymnastique des sentiments et les enfants, pour ça, ils sont géniaux ! Durant ce festival, j’ai vu un film espagnol, très bon d’ailleurs, et à un moment très dramatique, où les trois-quarts de la salle étaient saisis, il y avait un petit quart de la salle qui s’enfuyait par le rire et qui, d’une certaine façon, se protégeait.
Ce n’était pas du tout une façon de ne pas être sensible, mais plutôt, au contraire, de lutter contre la sensibilité. Après, même si on n’a pas envie de les embêter, de savoir ce qu’ils ont pensé du film, on sent très bien qu’ils l’ont déjà digéré.

• Vous parlez de « maîtriser l’image comme on maîtrise l’écrit » , c’est à dire de voir ce qu’il y a derrière ce qu’on nous montre et que l’on veut nous faire voir…
- On peut prendre les choses au premier degré. Mais ce qu’il ne faut pas, c’est être désarmé devant l’image. Cela ne fait pas de mal de savoir un peu de grammaire pour avoir ensuite le plaisir de lire. Ce qui ne veut pas dire qu’en lisant un roman, on se dit tiens là il y a un complément, tiens là il y a un adjectif. De même, il est bon de savoir que les images reconstituent un récit. Par exemple, avec ma monteuse, on se disait que le film que je viens de faire, une fois monté, il y aura exactement 1.050 plans. Il y a donc 1.050 bouts de récits qui sont comme des mots dans une phrase et que l’on voit dans leur unité ensuite. Mais c’est intéressant de savoir que le son est disjoint de l’image, que la musique est rajoutée après.
Je pense que si dès la période scolaire on apprenait aux enfants à mieux maîtriser le récit cinématographique, on ferait quelque chose de bien. Cela aurait même des retombées sur l’information. J’ai été stupéfait de voir, par exemple, ces fameuses images du couple Ceausescu, la plupart des gens prenaient cela pour argent comptant. Quand il y a un reportage et que l’on voit quelque chose, je me dis que l’on voit ces images parce qu’il y a un caméraman qui a capté ces images, qu’il y a une autre personne qui a trouvé ces images intéressantes. Mais on sait aussi que quelques fois, il y a des manipulations volontaires. Mais très souvent, ces manipulations ne sont mêmes pas volontaires, il y a plutôt une orientation que l’on veut donner.
On voit un enfant qui pleure au milieu de décombres. Peut-être cet enfant pleure-t-il parce qu’on a dit à sa mère, "écartez-vous madame, on veut voir votre enfant tout seul". Ou peut-être pleure-t-il parce qu’il est orphelin. L’image en soi a moins de sens qu’on veut bien le dire parfois. Et parfois, elle a un sens exclusif, comme l’image de cette petite fille qui court en flammes. Là, il n’y a pas de tricherie possible. C’est pourquoi il est important, à mon sens, que l’on apprenne aux gens à décrypter les images.

Le 9ème festival est mort…
…vive le 10ème festival !

Des applaudissements. Un public de jeunes et quelques moins jeunes qui sortent de la salle, le visage irradié d’un large sourire… Et pourtant, c’était la dernière séquence, c’était la dernière séance. Et le rideau sur l’écran de la 9ème édition du festival Écran Jeunes est tombé.

À l’heure du premier bilan à chaud, Guy Lapierre, président de l’association Écran Jeunes affiche une satisfaction certaine. Et il y a de quoi : pour sa 9ème édition, le festival a franchi la barre plus que symbolique des 10.000 spectateurs. Pour certains films, on a refusé du monde. C’est le cas par exemple pour "L’enfant qui voulait être un ours", film d’animation franco-danois, qui avait pour toile de fond le problème de l’identité. Ce fut aussi le cas pour "El Bola", film espagnol qui traitait de l’enfance maltraitée. Ou encore pour le film australien "Le chemin de la liberté", qui raconte l’histoire vraie de trois petites filles aborigènes, enlevées par des Britanniques qui veulent les élever et les faire grandir dans la culture anglo-saxonne, les trois sœurs se sauvent et retournent dans leur tribu en suivant la grande barrière construite pour lutter contre l’invasion destructrice des lapins…

Une programmation inspirée du cinéma du monde. Des affiches où les enfants sont rois. Et en toile de fond (sans jeux de mots !) un objectif avoué : donner envie aux jeunes spectateurs d’aller au cinéma, mais surtout de découvrir un cinéma différent.

Avec plus de 10.000 spectateurs, l’objectif est largement atteint. Comme le souligne Roger Kahane, président du Grand jury (voir notre interview), c’est aussi l’occasion pour les enfants d’apprendre à décrypter les images, pour ne pas être de simples consommateurs…

Pour Guy Lapierre, à peine le rideau est-il tombé sur cette 9ème édition que se prépare déjà le 10ème anniversaire auquel il conviendra de donner un éclat particulier comme il sied à ce genre de circonstance. Parmi les projets, il y a l’agrandissement du cercle du jury "jeune", auquel le président Lapierre souhaite ajouter pour l’année prochaine un jeune québécois, un jeune grec et un jeune malgache qui viendraient grossir les rangs d’un jury composé cette année de jeunes réunionnais, mais aussi de jeunes venu de Laon (France), de Maurice et des Seychelles.

Le 10ème anniversaire sera marqué par la participation d’un plus grand nombre d’invités, et par une programmation qui représentera le cinéma de six ou sept pays. Côté réalisateur, on devrait avoir l’an prochain une nouvelle tête d’affiche, tandis que pour les acteurs, ce sont surtout les jeunes qui seront mis à l’honneur avec notamment Mabo Kouyaté, que l’on a pu voir récemment dans "Moi César 10 ans et demi, 1,39m". Un film de Richard Berry, avec aussi Jules Sitruk, Maria de Medeiros, Jean-Philippe Ecoffey et Joséphine Berry.

An plis ke sa
Le palmarès de la 9ème édition

Prix du public : "Les chemins de la liberté".

Prix du jury jeune public : "El Bola".

Prix du Grand Jury : "Le chemin de la liberté".

Mention spéciale : "L’enfant qui voulait être un ours".


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