France

Un acteur des combats pour la dignité humaine

Décès de Léon Schwartzenberg

16 octobre 2003

Léon Schwartzenberg est mort mardi matin à Villejuif dans le service de cancérologie de l’hôpital Paul-Brousse qui longtemps avait été le sien et qui l’avait fait connaître du grand public. Il avait choisi d’y retourner, comme un symbole, pour y livrer son dernier combat : celui d’un homme affrontant à son tour, simplement sa dernière heure.
La disparition de Léon Schwartzenberg affecte tous ses amis, en France et dans le monde. Ils sont nombreux. Ceux bien sûr, qui ont connu le professeur en blouse blanche au regard bleu d’une infinie douceur, qui n’oublieront jamais comment il les aida à affronter la maladie, à la vaincre. Ceux qui gardent plutôt de lui l’image du résistant, ou de l’infatigable combattant des causes justes, des "sans" -sans-papiers, sans-toit, sans-emploi-, le souvenir de sa silhouette à la fois frêle et carrée, bras dessus, bras dessous avec Jacques Gaillot et Albert Jacquard, aux premiers rangs face aux pelotons de policiers dans les manifs du petit matin, le souvenir de l’homme des coups de gueule à la télé, emporté, séducteur, du poète aussi et du mélomane qui plaçait Beethoven au firmament de l’émotion.

Force de conviction

La mémoire enfin d’avoir fréquenté, croisé la route, d’un penseur, d’un moraliste, le pacifiste antinucléaire signataire de l’Appel des cent, l’auteur de plusieurs ouvrages qui posent, bien avant d’autres, la question de la mort dans notre société, de la lutte contre la souffrance, et de l’accompagnement des mourants : "Changer la mort à quatre mains" avec Pierre Viansson-Ponté en 1977, "Requiem pour la vie" en 1985, "Face à la détresse" en 1994. Dans ce dernier ouvrage, il évoque notamment ses années de jeunesse, le traumatisme moral que suscita l’interdiction qui lui fut faite de poursuivre à Toulouse, où il s’était réfugié en 1942, ses études de médecine pour cause de numerus clausus antisémite.
Il était juif et ses deux frères cadets, compagnons de Résistance, Raymond et Jacques déportés et morts au camp de Mauthausen, n’en réchappèrent pas. C’est une expérience insondable.
Probablement ce drame a-t-il renforcé la force de conviction de Schwartzenberg, cette fureur tranquille qu’il mettait à défendre ses engagements et ses choix. Évoquant l’évolution de la médecine, dans son dernier livre, il dénonçait -sans craindre une fois encore de se faire des ennemis- le poids gagné par l’argent dans la profession, il s’indignait des pratiques commerciales où trempaient parfois quelques-uns de ses confrères, sans parler des laboratoires pharmaceutiques qu’il vilipendait pour leur obsession financière. Des adversaires il en eut. Il ne les craignait pas. L’ordre des médecins d’Île-de-France le poursuivit et le condamna à un an d’interdiction d’exercice, pour avoir révélé en 1987, dans la presse, l’aide qu’il avait apportée à un malade incurable. Cette décision fut finalement cassée par le Conseil d’État. Il n’empêche : Schwartzenberg ne changea pas d’un pouce son comportement, continuant partout où il le jugeait nécessaire, jusqu’au Comité d’éthique dont il fut membre, de plaider son idéal de la dignité humaine : il n’était d’ailleurs pas pour que la loi prévoie tout, encore moins pour les recettes toutes faites.

Des combats citoyens

Ce savant qui en 1958, avec son maître Lucien Mathé, réalisa la première greffe mondiale de moelle osseuse qui permit de sauver la vie de savants yougoslaves irradiés, était donc en même temps et indissolublement l’homme des combats citoyens. Il était membre fondateur des Amis de "l’Humanité". Écrivait dans ses colonnes, y signant des "points de vue" : sur la médecine chinoise, sur "l’affaire" de Saint-Bernard, sur l’euthanasie. Il écrivit ainsi en 1986 une lettre à Alain Clavaud, militant cégétiste licencié pour avoir témoigné de la condition insupportable du travail de nuit chez Dunlop, en lui confiant sa « solidarité » et sa « révolte ».
Il s’essaya aussi à la politique. Fidèle à lui-même, mais de façon plus chaotique : ce monde-là ne lui fit pas de cadeau. Par exemple, Michel Rocard qui le démissionna en juillet 1988 neuf jours après lui avoir ouvert la porte de son gouvernement comme représentant de la société civile et ministre délégué à la Santé, pour cause de déclarations intempestives sur le dépistage du SIDA et la lutte contre la toxicomanie. Élu député européen, apparenté sur la liste conduite par Laurent Fabius en 1989, il est remercié en 1994 sans une indication. Entre-temps il s’aligne aux côtés de Bernard Tapie en 1992 sur la liste Énergie Sud, contraint d’abandonner son mandat pour dépassement de frais de campagne. Schwartzenberg, on peut le dire, avait une vision assez lointaine, élastique de l’engagement dans un parti, mais absolument pas de la noblesse ni de la nécessité du combat politique.


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