Environnement

Un « impact direct sur la santé »

Les effets du réchauffement climatique en France et Outre-mer étudiés par le C.N.R.S.

24 décembre 2003

Un chercheur du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Jean-Pierre Besancenot, vient de publier une étude sur les « incidences possibles du réchauffement climatique sur la santé en France métropolitaine et dans les DOM-TOM au 21ème siècle ». Cette étude confirme que le réchauffement de la planète va se poursuivre au cours des années à venir. Et que celui-ci aura des conséquences importantes dans tous les domaines de notre vie quotidienne, en particulier sur notre état de santé.
Cela confirme également que cette donnée est à prendre en compte parmi les priorités dans les choix socio-politiques. C’est indispensable si l’on veut à la fois prévenir les effets de ce phénomène majeur dans l’Histoire de l’humanité et combattre ses causes au niveau des activités humaines (émission de gaz à effet de serre).
Cette préoccupation a guidé la démarche des acteurs réunionnais du développement durable, qui ont élaboré l’Agenda 21 de La Réunion. Et comme le souligne le chercheur, « il est souhaitable que soient prises d’ores et déjà toutes les précautions nécessaires pour que, si la dégradation annoncée se produit, ses conséquences sanitaires puissent être minimisées. Car, si l’avenir ne se prévoit pas, il se prépare ».

Dans l’hypothèse d’un doublement de la teneur de l’atmosphère en équivalents CO2 (gaz carbonique), entraînant un renforcement notable de l’effet de serre, la France métropolitaine pourrait connaître vers le milieu de ce siècle un réchauffement moyen de l’ordre de 2 degrés. Celui-ci sera plus marqué en été qu’en hiver, plus accusé dans les Midis (méditerranéen et aquitain) que dans le Nord, sans doute aussi plus prononcé dans les régions teintées de continentalité qu’en bord de mer ou dans le proche arrière-pays. Un réchauffement de cette ampleur réagirait inévitablement sur toutes les autres variables caractérisant l’état de l’atmosphère.
C’est ainsi que les modèles théoriques du climat futur simulent un accroissement - évalué aux alentours de 20% - des précipitations de saison froide. Mais cette pluvio-nivosité hivernale accrue serait plus que compensée, avec un décalage éventuel de quelques décennies, par une accentuation de l’intensité et de la durée des épisodes secs estivaux, ce qui se traduirait jusqu’en automne par une diminution (de 5 à 10%) des réserves en eau du sol. (…)
La santé humaine étant à de multiples égards sous la dépendance - tantôt directe et tantôt indirecte - du contexte climatique, la tentation est grande d’établir un inventaire des conséquences sanitaires les plus plausibles d’un tel réchauffement, à moyen ou à long terme.

Un considérable "bruit de fond"

Tenter de prévoir l’impact de l’évolution du climat sur la santé passe nécessairement par un certain nombre de spéculations. Certes, on commence à connaître suffisamment les effets sanitaires du climat actuel pour pressentir quelques-unes des conséquences probables d’un changement climatique. Mais la grande difficulté de l’entreprise vient du fait que le réchauffement d’ensemble susceptible de se produire durant ce siècle ne peut en aucun cas être dissocié d’un considérable "bruit de fond" constitué par la variabilité naturelle du climat, que l’on a connue de tout temps et à laquelle il se surimposera.
Dès lors, il paraît raisonnable d’admettre que les saisons "normales" du milieu du 21ème siècle reproduiront sensiblement le schéma observé aujourd’hui durant les saisons qui enregistrent des températures anormalement élevées : les conséquences sur la santé peuvent alors être évaluées avec une relative vraisemblance et avec un degré assez élevé de précision.
Mais les paroxysmes thermiques (saisons exceptionnellement chaudes) réaliseront un tableau dont on ne connaît pas d’équivalent actuel, si bien que les référentiels doivent être cherchés ailleurs que sur le territoire français, par exemple aux Etats-Unis. Ce qui accroît singulièrement la marge d’incertitude des extrapolations, quelles que soient les précautions prises. Or, c’est dans ce dernier cas que l’on aurait le plus besoin de scénarios précis...
(…) Le cas des DOM-TOM sera, par la force des choses, envisagé séparément. Il le sera en outre brièvement, faute d’investigations climatopathologiques poussées. (voir encadré)

Le climat comme facteur causal, précipitant ou déclenchant

Il ne fait guère de doute qu’un réchauffement moyen de 2 degrés soit suffisant pour exercer, dans le domaine des maladies non transmissibles, un impact direct, du fait des perturbations que l’état de l’atmosphère introduit dans le fonctionnement de l’organisme humain. Le climat peut alors intervenir comme authentique facteur causal de la maladie, voire du décès (en cas de surexposition à des conditions très agressives : on pense au coup de chaleur ou à la déshydratation aiguë).
Mais il doit le plus souvent se comporter en facteur précipitant, voire en simple facteur déclenchant (sur un "terrain" déjà fortement prédisposé : tel doit être le cas habituel dans les accidents cardiovasculaires ou cérébrovasculaires).

Action par effet cumulatif : le cas de cancers cutanés

L’action du climat peut aussi s’exercer par effet cumulatif. Il est, par exemple, permis de craindre qu’une succession d’étés généreusement ensoleillés n’entraîne, chez les sujets à peau claire, une franche augmentation de l’incidence des différents types histologiques de cancers cutanés (épithéliomas baso-cellulaires et spino-cellulaires, qui sont les plus fréquents mais les moins graves, ou mélanomes plus rares mais d’une malignité souvent redoutable).
L’hypothèse paraît d’autant plus plausible que deux autres facteurs joueraient dans le même sens : d’une part un comportement plus héliotropique de la population, qui s’expose de plus en plus inconsidérément au soleil ; d’autre part un rayonnement ultraviolet plus agressif, du fait de la déplétion de la couche d’ozone stratosphérique, qui filtre moins efficacement la radiation émise par le soleil. (…)

Sujets les plus sensibles au changement climatique

Bien évidemment, les effets liés à l’augmentation de la charge thermique seront davantage ressentis par les sujets qui sont déjà sensibles pour d’autres raisons, en particulier les personnes âgées, voire très âgées, les malades chroniques et, dans une moindre mesure, les nourrissons ou les jeunes enfants. Le vieillissement d’ensemble de la population française, annoncé
par toutes les projections démographiques pour le 21ème siècle, ne ferait assurément que renforcer la vulnérabilité aux aléas climatiques. (…)

Effet sur la mortalité en été

Il faut s’attendre à ce que les nouvelles dispositions thermiques régnant au 21ème siècle déterminent une assez franche surmortalité de saison chaude. Seraient sans doute spécialement touchées les couches les plus âgées de la population, les catégories sociales les moins favorisées (dépourvues de toute installation de conditionnement d’air et souffrant souvent de polypathologies intriquées), ainsi que les femmes (lesquelles, au-delà de la soixantaine, présentent plus fréquemment que les hommes des troubles de la sudation et régulent moins efficacement leur température interne). (…)

Les pathologies les plus susceptibles d’augmenter la mortalité en cas de réchauffement

Quelles sont les pathologies les plus susceptibles de contribuer à un excès de mortalité en présence d’un réchauffement d’ensemble du climat ? Nous avons déjà mentionné les maladies cardiovasculaires et cérébrovasculaires, dont tout porte à croire quelles pèseront du poids le plus lourd, et peut-être les secondes plus encore que les premières. Mais la liste ne s’arrête pas là. Citons :
• les impacts sur l’appareil respiratoire
• la bronchite aiguë et la bronchiolite
• les maladies chroniques obstructives et les pneumonies
• l’asthme. (…)

Effet de l’accroissement en divers polluants photochimiques

Ajoutons, pour en terminer avec les maladies des voies respiratoires inférieures, que les plus vives craintes sont permises quant à une possible recrudescence estivale des crises d’asthme, mais aussi des bronchiolites, du fait de l’accroissement difficilement évitable de la teneur de l’air en oxydes d’azote, en ozone et en autres polluants photochimiques qui génèrent un brouillard photo-oxydant particulièrement irritant et toxique. De surcroît, et à l’encontre d’une idée longtemps répandue, plusieurs études récentes révèlent que la qualité de l’air extérieur a un retentissement immédiat sur la qualité de l’air des locaux, où nous passons en moyenne 80 à 90 % de notre temps. En particulier, une forte concentration "extérieure" en ozone s’accompagne presque toujours d’un pic de pollution encore plus saillant dans les bureaux ou les habitations.

Autres types de pathologies susceptibles de s’accroître

Trois derniers exemples nous aideront à nous faire une idée de l’extrême diversité des conséquences sanitaires possibles du réchauffement attendu dans un proche avenir :

- Les lithiases. La chaleur estivale et les fréquentes déshydratations qui s’ensuivent risquent de déterminer une augmentation substantielle de la prévalence des lithiases (calculs) urinaires.

- Élévation du taux de prématurité. En relevant discrètement la température centrale de la mère et du fœtus au-delà des 37 °C qui signent la "bonne santé", l’accentuation de la chaleur estivale aurait une forte probabilité d’entraîner une élévation sensible du taux de prématurité et une augmentation corrélative du taux de mortalité périnatale. C’est en tout cas ce que l’on observe aujourd’hui en situation caniculaire, où les accouchements avant terme se multiplient.

- Impacts psychiques. La pathologie somatique n’est pas seule à être affectée par l’élévation des températures. Au-delà d’un seuil qui reste difficile à fixer, mais qui doit s’apprécier davantage en écart à la normale qu’en valeur absolue, il est régulièrement constaté que la chaleur ambiante engendre des comportements irascibles, avec manifestations d’autoagressivité aussi bien que d’hétéroagressivité, et amène souvent (mais pas toujours) une recrudescence des admissions en urgence dans les hôpitaux psychiatriques ou dans les secteurs psychiatriques des hôpitaux généraux.
Le phénomène a une forte probabilité d’aller en s’amplifiant dans le futur, même si l’on est encore incapable de faire la part de ce qui, dans l’agressivité constatée, peut être rapporté à la chaleur proprement dite et de ce qui doit être imputé à d’autres facteurs, comme le bruit, l’activité physique, l’importance des contacts interpersonnels (plus il fait chaud, plus on passe de temps en plein air, donc souvent en société...) et des boissons alcoolisées ingurgitées.

Effets indirects sur la santé

Nous avons surtout, jusqu’ici, évoqué des effets directs du réchauffement du climat sur la santé. On ne peut cependant exclure des effets plus subtils, qui passeraient par le truchement de cofacteurs, eux aussi influencés par l’évolution du climat.
Nous nous limiterons à deux exemples, assez inattendus, mais dont les conséquences risquent d’être lourdes :

- le premier concerne la recrudescence des intoxications, par mauvaise conservation des denrées alimentaires - et tout spécialement des aliments d’origine animale. De vives inquiétudes sont permises quant à la prolifération des gastro-entérites, dont certaines peuvent être mortelles, notamment chez les nourrissons. Les seules parades envisageables passent par le renforcement des mesures d’hygiène lors du conditionnement, puis de la conservation des aliments (continuité des " chaînes du froid ") et par l’éducation des consommateurs ;

- le second exemple fait plus directement intervenir l’action humaine. En effet le réchauffement du climat devrait susciter un considérable engouement pour la climatisation de sécurité ou de confort des habitations, des locaux professionnels, des moyens de transport et des hôpitaux. Or, depuis 1970, l’attention du corps médical est régulièrement attirée sur les risques de contamination possible des systèmes de climatisation et/ou d’humidification par des micro-organismes variés, pouvant être à l’origine d’une symptomatologie clinique polymorphe. (…) Cette fois, la prévention doit avant tout être demandée à la technologie. Si l’on veut réduire les risques de contamination, il convient en premier lieu de perfectionner les dispositifs de filtration de l’air, en second lieu d’éviter la présence d’eau stagnante dans les circuits, enfin de codifier strictement la maintenance des installations, car la plupart des incidents ou des accidents pourraient être évités au prix d’une grande vigilance.
Nous ne nous attarderons pas, parce qu’il en est longuement question ailleurs, sur d’autres conséquences indirectes du réchauffement, comme une diminution de la production agricole, notamment céréalière, d’où résulterait un renchérissement de la nourriture - donc, au fur et à mesure que le climat évoluerait, un risque accru de sous-nutrition ou de malnutrition dans les catégories sociales les plus démunies. Les DOM-TOM en pâtiraient certainement beaucoup plus que la métropole.

Le cas des Départements et Territoires d’Outre-Mer
Parmi les Départements et Territoires d’Outre-Mer, nous n’évoquerons que ceux qui sont situés en zone intertropicale. Leur statut en fait des sortes d’hybrides d’une métropole riche et de continents ou d’archipels pauvres, ce qui a de multiples répercussions sur la santé. Même s’il doit être moindre qu’aux latitudes moyennes, le relèvement thermique annoncé pour le 21ème siècle y fait craindre une forte recrudescence des accidents de surcharge calorique, à l’effort encore plus qu’au repos, spécialement lorsque l’élimination de la chaleur accumulée dans le corps se trouve entravée par une forte teneur de l’air en vapeur d’eau et par la faiblesse des vents, deux facteurs qui tendent à annihiler l’évaporation de la sueur. Parallèlement, on assisterait sans doute à une prolifération des maladies d’origine hydrique.

La multiplication probable des phénomènes orageux et des perturbations violentes aurait, elle aussi, des conséquences néfastes. On sait, par exemple, que le passage d’un cyclone tropical ne se limite pas à engendrer une plus ou moins forte morbidité et mortalité traumatique. Il faut y ajouter la prolifération fréquente des maladies infectieuses et parasitaires (gastroentérites, affections respiratoires) et une pathologie psychosomatique (pathologie de stress) qui a été longtemps sous-estimée. Si l’activité des services d’urgence revient à la normale, au plus tard, après quelques semaines, les troubles psychiques ne s’estompent que lentement - et pas toujours complètement.

En certains endroits, il y aurait également lieu de craindre des migrations de population poussées par la diminution de la production alimentaire. Les DOM-TOM de destination (on pense tout spécialement à la Guyane) devraient alors faire face à un afflux de véritables "réfugiés de l’environnement" apportant avec eux tous les problèmes de santé qu’ils connaissaient dans leur lieu d’origine et qui pourraient aussi se révéler particulièrement vulnérables à des maladies nouvelles de leur pays d’adoption, sans compter la promiscuité qui pourrait s’ensuivre.

Si l’avenir ne se prévoit pas, il se prépare
En guise de conclusion provisoire, l’accent peut être mis sur quatre points.

Le premier tient à la grande difficulté du sujet. Du bouleversement climatique annoncé, nous ne cernons encore ni toutes les modalités, ni - à plus forte raison - toutes les conséquences. On ne raisonne au mieux que sur des hypothèses assez grossières. Pour sophistiqués qu’ils soient, les modèles d’étude du climat sont encore sujets à de nombreuses incertitudes.

S’il y a de fortes présomptions pour que, à long terme, la température s’élève, on ne peut encore prédire avec certitude de quelle façon, dans quelle mesure et quand. En particulier, il est difficile de passer de l’échelle planétaire à l’échelle continentale ou, plus encore, à l’échelle régionale, en raison de la faible résolution spatiale des modèles (au mieux 5° de latitude et de longitude) et de la prise en compte simpliste de bon nombre de processus physiques. Le rôle des masses nuageuses, en particulier, reste hors de portée des modèles atmosphériques les plus perfectionnés.

En deuxième lieu, il faut rappeler que, dès l’instant où l’on envisage ce qui pourrait se passer dans un futur proche, on entre dans le domaine de l’aléatoire. Ce ne sont pas des prévisions que l’on peut fournir, mais plutôt des projections, des extrapolations de la situation présente, obligeant à raisonner toutes choses égales par ailleurs (autrement dit, en postulant la poursuite au rythme actuel des activités humaines et en excluant toute transformation radicale dans la prévention et/ou le traitement des maladies).

C’est dire la prudence qui s’impose dans l’interprétation de ces projections qui, en toute logique, devraient être accompagnées d’une estimation de leur marge d’erreur - ce dont nous sommes encore incapables. Rien ne permet d’affirmer que l’évolution se fera bien dans le sens indiqué.

Mais comme rien ne permet non plus de l’infirmer, il est souhaitable que soient prises d’ores et déjà toutes les précautions nécessaires pour que, si la dégradation annoncée se produit, ses conséquences sanitaires puissent être minimisées. Car, si l’avenir ne se prévoit pas, il se prépare.

En troisième lieu, il importe de toujours relativiser nos conclusions. Les effets sur la santé ne sauraient être tous bénéfiques, ni tous catastrophiques. Parlera-t-on d’amélioration ou de péjoration quand la sclérose en plaques a de fortes chances de voir son incidence s’effondrer, dans le même temps où la prévalence de l’asthme serait fortement accrue ? De toute manière, ces effets seraient étroitement régionalisés.

Il s’ensuit que, plutôt que de conclure, à l’échelle nationale, à une évolution positive ou négative de telle ou telle pathologie, il serait sans doute plus réaliste d’évoquer une double redistribution de la répartition des maladies, dans l’espace (avec une certaine dérive vers le nord, en accord avec la translation des zones climatiques correspondantes) et dans le temps (au fil des saisons).

Enfin, et c’est peut-être là que réside la plus grande difficulté, ce serait une erreur coupable que de considérer isolément les effets potentiels de l’évolution du climat, hors de tout contexte. Les variables météorologiques ne suffisent pas à cerner les risques climatopathologiques. Une même agression climatique n’est pas ressentie de la même façon dans différents contextes socio-économiques ou culturels. Il faut aussi garder toujours présent à l’esprit le fait que l’élévation de la température peut exacerber les effets associés à la pollution de l’air et, par suite, intensifier les problèmes médicaux des groupes humains les plus vulnérables. Il s’ensuit que le changement global en général, et le réchauffement consécutif au renforcement de l’effet de serre en particulier, ne sont jamais que l’une des multiples composantes de la combinaison géographique susceptibles de déterminer l’évolution de la répartition spatiale des faits de santé. Les cofacteurs doivent être systématiquement pris en compte.


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