L’angoisse de la pauvreté

Une enquête du Secours Populaire et de Ipsos

29 septembre 2007

À l’heure où le taux de pauvreté a enregistré en France sa plus forte hausse depuis sa création - de 11,7 à 12,1% d’après les derniers chiffres publiés par l’INSEE -, le Secours Populaire et Ipsos ont cherché à connaître quelle perception les Français avaient de la pauvreté dans leur pays. Et les résultats de leur enquête font froid dans le dos. Ils révèlent, entre autres, que près de la moitié de nos concitoyens connaissent des pauvres dans leur entourage et que près d’un tiers admettent avoir traversé une telle situation.

Ces chiffres sont d’autant plus inquiétants que les recours possibles en cas de basculement dans la pauvreté apparaissent - le plus souvent - particulièrement limités. Pour plus de la moitié des Français, faire jouer des solidarités se révèle être au mieux très incertain, au pire impossible. Et les fameuses solidarités intergénérationnelles ne semblent pouvoir fonctionner à coup sûr que pour une minorité.
Enfin, si certaines catégories de Français apparaissent plus vulnérables que les autres face aux accidents de la vie, elles partagent toutes l’idée selon laquelle leurs enfants auront plus de risques de tomber dans la pauvreté que les membres de leur génération. A priori, les chiffres semblent leur donner raison puisque d’après les dernières statistiques publiées en juillet, ce sont 260.000 personnes de plus qui sont devenues pauvres durant l’année 2005 (dernière année connue). Ce pessimisme sur l’évolution future du taux de pauvreté est probablement d’autant plus fort que l’enquête montre que nos concitoyens ont aujourd’hui une perception plus large de ce qu’est la pauvreté. En effet, il y a aujourd’hui un véritable décalage entre les critères officiels utilisés par les pouvoirs publics pour mesurer la proportion de pauvres au sein de la population et ceux que font jouer nos concitoyens.


Près de 3 Français sur 10 affirment avoir déjà connu une période de pauvreté

Un risque désormais très élevé au sein de la population

Si la pauvreté inquiète nos concitoyens de plus en plus, c’est très probablement parce que d’une façon ou d’une autre, ils ont le sentiment d’avoir de grandes chances de rencontrer ce risque un jour ou l’autre de leur vie. En effet, 45% des Français avouent qu’à un moment de leur vie, ils ont failli connaître une situation de pauvreté ou ont rencontré une situation de très forte précarité. Et si 15% d’entre eux ont réussi à y échapper, 30% déclarent n’avoir pas pu éviter la pauvreté.
Le fait que près d’un Français sur trois admette être déjà tombé dans la pauvreté est un résultat d’autant plus inquiétant qu’il y a très certainement une sous-déclaration de telles expériences liée notamment à la honte. Quoi qu’il en soit, ce résultat donne un assez bon aperçu des catégories de personnes les plus touchées par la pauvreté. Parmi elles, on trouve logiquement les foyers vivant avec moins de 2.000 euros nets par mois (43%), les catégories populaires (35% des employés et des ouvriers) et, dans une moindre mesure, les femmes (33% contre 26% des hommes).
De son côté, ce diplôme si décrié qu’est le Baccalauréat apparaît comme un véritable rempart contre la pauvreté. En effet, la proportion de personnes ayant connu un état de pauvreté est deux fois moins moindre chez ceux le détenant que chez les autres (18% contre 36%). Enfin, on peut noter que cette proportion des personnes ayant rencontré une période de pauvreté tend à augmenter avec l’âge - 6% des moins de 25 ans, 28% des 25-44 ans, 40% des 45-69 ans et 35% des plus de 70 ans. Il faut dire que les jeunes bénéficient du fait qu’ils ont vécu jusque-là moins longtemps que leurs aînés - ce qui limite logiquement les risques de la vie - et qu’ils sont plus facilement soutenus par leur famille que les autres tranches d’âge.

Une majorité de Français connaît un proche dans un état de pauvreté

Aujourd’hui, plus d’un Français sur deux (56%) connaissent un proche qui leur semble être dans une situation de pauvreté. Et pour plus d’un quart d’entre eux (27%), cette personne vit au sein de leur propre famille.
A contrario, seulement 44% des personnes interrogées disent ne pas avoir dans leur entourage de proche en situation de pauvreté. Et si une graduation en fonction de l’âge apparaît aussi sur ce point, il y a moins d’écarts entre hommes et femmes ainsi qu’entre catégories socioprofessionnelles. De même, le Baccalauréat joue moins son rôle protecteur en ce qui concerne la présence de pauvre dans son environnement social.


Un risque face auquel une part très importante de la population n’a pas la certitude de pouvoir bénéficier d’un soutien

Près de 4 Français sur 10 ne seraient pas certains de pouvoir disposer d’une aide alimentaire et d’un endroit où se loger, même sur une période courte...
Certes, si les Français connaissaient demain une situation de pauvreté, une majorité d’entre eux serait certaine de pouvoir disposer d’une aide alimentaire (63%). Toutefois, parmi eux, seuls 29% pourraient compter sur un soutien sur une période longue. A l’opposé, 37% des Français se montrent beaucoup plus pessimistes et avouent soit qu’ils considèrent ne pas pouvoir en disposer (9%), soit qu’ils n’en savent rien (28%).
La situation est sensiblement la même en ce qui concerne la recherche d’un endroit où se loger. Si près de 6 Français sur 10 affirment qu’ils pourraient bénéficier d’un soutien (59%), celui-ci ne saurait se prolonger dans le temps que pour 35% d’entre eux. Pour les autres, l’aide serait forcément de courte durée (24%). Quatre Français sur 10 considèrent aujourd’hui ne pas avoir de certitude quant au gîte, 25% ne savent pas ce qu’il en serait et 16% pensent que probablement personne ne serait en mesure de les aider.
Ces résultats sont loin d’être rassurants parce qu’il est probable que les répondants aient des difficultés à avouer la fragilité de leur environnement social, ou qu’ils aient du mal à l’estimer - la proportion de personnes qui, à cette question, répondent qu’elles n’en savent rien (au moins un quart) en est un indice. Ensuite, ces chiffres sont à relativiser car sur le long terme, les Français apparaissent beaucoup moins nombreux à disposer d’aide pour se nourrir (29%) ou pour se loger (35%). Pour un tiers d’entre eux (34%), l’aide alimentaire se limiterait à une courte période et un quart d’entre eux (24%) ne disposeraient d’un endroit où se loger que durant un temps limité.
A noter que ces soutiens dépendent beaucoup de l’âge et du niveau d’études du répondant. Ainsi, la possibilité de trouver un endroit où se loger diminue très nettement avec l’âge de la personne : de 72% chez les de 35 ans, elle tombe à 56% chez les 35-59 ans et à 45% chez les 60 ans et plus. Et il en est de même pour ce qui est de l’aide alimentaire. Les personnes âgées apparaissent donc les plus vulnérables aux accidents de la vie, surtout - ce qui est souvent le cas - si elles ont un niveau d’études limité. En effet, seuls 50% des Français n’ayant pas le Bac peuvent compter sur une aide pour se loger, alors que les bacheliers sont 69% et les diplômés de l’enseignement supérieur 77%.

... et moins d’un Français sur deux est sûr de pouvoir bénéficier d’un soutien financier ou d’une aide matérielle
Moins d’un Français sur deux disposerait d’un soutien financier (46%) ou matériel (45%) s’il tombait demain dans une situation de pauvreté. Et la proportion de Français disposant de tels soutiens serait encore plus limitée sur une longue période : 13% pour ce qui est du soutien financier, 17% pour ce qui est de l’aide matérielle.
Un quart des Français (25%) considèrent donc qu’ils ne peuvent pas compter sur une aide financière au cas où ils tomberaient dans la pauvreté, cette proportion étant à peu près similaire pour ce qui est d’une aide matérielle (21%). Les résultats sont clivés en fonction des catégories sociales. Par exemple, si les deux tiers des cadres (68%) peuvent disposer d’un soutien financier en cas de graves difficultés, ce n’est le cas que 2 ouvriers sur 5 (41%) et d’un retraité sur 3 (31%).


Les Français « étendent » les frontières de l’état de pauvreté

Logiquement, un très net consensus se dessine pour considérer comme pauvre une personne lorsqu’elle éprouve régulièrement d’importantes difficultés pour se procurer une alimentation saine et équilibrée (91%), pour payer son loyer, un emprunt immobilier ou les charges de son logement (90%), ou encore pour payer certains actes médicaux mal remboursés (89%).
Mais au-delà de ces besoins primaires que sont la santé, le gîte et le couvert, la conception que les Français ont de la pauvreté s’élargit aux conditions de vie d’ordre matériel ou culturel. Ainsi, 7 à 8 Français sur 10 considèrent comme pauvres les personnes ayant du mal à s’acheter des vêtements convenables (78%), à envoyer leurs enfants en vacances au moins une fois par an (74%) ou à accéder à des biens ou des activités culturelles et de loisirs pour soi ou sa famille (69%).
A noter que ce sont les Français les plus âgés et les moins diplômés qui se montrent les plus sensibles à l’accès aux loisirs ou à la culture, les Franciliens donnant quant à eux plus d’importance que les provinciaux au départ des enfants en vacances (85% contre 71%).
De même, si les bénéficiaires des minima sociaux (RMI, Minimum vieillesse) et les chômeurs de longue durée sont clairement considérés comme pauvres - par au moins 8 Français sur 10 -, cette conception s’élargit aussi aux personnes éprouvant des difficultés de logement ou de surendettement.
Ainsi, à l’heure où le problème du logement devient de plus en plus crucial (notamment pour les jeunes), 85% des Français estiment que l’on est en situation de pauvreté lorsque l’on est dans l’incapacité de louer seul un appartement. Et cette affirmation est très ferme (54% de réponses “tout à fait”). De même, une majorité un peu moins forte, mais très conséquente applique ce terme de “pauvre” aux personnes en situation de surendettement (77%) ou dans l’incapacité de contracter un prêt bancaire (71%).
Seules les situations de précarité liées au contrat de travail (CDD, Intérim) ne sont pas considérées comme relevant d’un état de pauvreté par une majorité de Français. Ces derniers se montrent très partagés : 49% conçoivent les personnes en CDD ou en intérim comme des pauvres, 47% ne les conçoivent pas comme tels. Ainsi, cette association est d’autant plus contestée que le répondant est jeune, diplômé, aisé et socialement élevé. De même, les salariés du secteur public associent beaucoup plus ces deux concepts que ceux du secteur privé (56% contre 43%). Et ce clivage est aussi net entre les sympathisants de gauche (57%) et les sympathisants de l’UMP (43%).


Les Français situent le seuil de pauvreté à un niveau de revenu sensiblement plus élevé que les pouvoirs publics

Un seuil de pauvreté moyen très proche du niveau du SMIC

Logiquement, et très certainement parce que justement, ils élargissent aujourd’hui l’état de pauvreté au fait de ne pas pouvoir s’acheter de vêtements convenables ou encore à l’impossibilité d’accéder à des biens ou des activités culturelles et de loisirs pour soi et sa famille, nos concitoyens ont une perception plus élargie du niveau de pauvreté.
Spontanément, lorsqu’on leur demande de donner le niveau de revenu en dessous duquel on peut être considéré comme pauvre, la moyenne du revenu cité se situe à un niveau très proche de celui du salaire minimum. En effet, en moyenne, les Français estiment que le seuil de pauvreté se situe à 1.016 euros nets/mois pour une personne seule, soit à quelques euros près au niveau du SMIC (1.005 euros nets/mois). Pour plus d’un quart d’entre eux (27%), ce seuil est même supérieur à 1.000 euros : à 1.445 euros en moyenne, soit près du double du seuil de pauvreté officiel (fixé par l’INSEE autour de 750 euros).
Seul 1 Français sur 5 le situe en dessous de 800 euros (19%), tandis qu’une proportion équivalente le situe entre 800 et 999 euros (17%), 1 sur 3 le fixant à 1.000 euros (29%). Cependant, cette conception monétaire de la pauvreté varie en fonction de plusieurs facteurs (géographiques, sociaux...).
Ainsi, ce seuil diffère nettement entre les habitants de la région parisienne (1.175 euros) et les autres (980 euros), son niveau moyen étant aussi moins élevé au sein d’un milieu rural. Assez logiquement, il est extrêmement corrélé au niveau social et au niveau de revenus des répondants, les agriculteurs (791 euros) et les catégories populaires (ouvriers et employés) étant celles où il est le plus bas. Enfin, il est aussi particulièrement faible chez les non diplômés (917 euros) et les jeunes âgés de 20 à 24 ans (889 euros).


Des Français très pessimistes quant à une réduction de la pauvreté

Rares sont les Français à penser que leurs enfants auront moins de risques qu’eux de tomber un jour dans une situation de pauvreté (13%). Pour 8 Français sur 10 (80%), ces risques sont plus élevés, près de la moitié (47%) les considérant même comme “beaucoup plus élevés”.
Très consensuelle, cette crainte est particulièrement élevée chez les catégories populaires (85% chez les ouvriers et les employés). Elle est aussi plus forte chez les personnes nées avant le choc pétrolier de 1973 (83% chez les plus de 35 ans) que chez celles nées après (73% chez les moins de 35 ans).
Par contre, cette crainte transcende des clivages comme le secteur d’activité (secteur public/secteur privé), la région (Paris/Province) ou la taille d’agglomération.
Les résultats de cette enquête illustrent encore une fois l’écart qui sépare la réalité telle que les Français affirment la vivre ou la ressentir et les indicateurs officiels sur la précarité et la pauvreté. Certes, dans un contexte d’inquiétude où nos concitoyens s’avèrent encore très pessimistes quant à leur avenir et celui de leur pouvoir d’achat, il est probable que beaucoup aient tendance à augmenter quelque peu le niveau de revenus en dessous duquel ils estiment que l’on est pauvre.
Il n’en reste pas moins vrai que pour beaucoup de nos concitoyens, l’état de pauvreté ne correspond plus seulement à un niveau de revenus très bas ou à l’incapacité de se nourrir, de se loger et de se soigner. Pour une majorité de Français, ne pas réussir à accéder à certains biens et services, comme par exemple la culture ou encore les loisirs, ne pas pouvoir avoir des vêtements convenables, c’est aussi se retrouver en état de pauvreté.
Désormais, ce sujet préoccupe une très forte proportion de Français. D’abord parce que près de 3 sur 10 estiment avoir déjà connu une situation de très forte précarité. Ensuite, parce que la majorité d’entre eux a le sentiment que la situation des générations futures sera encore plus précaire.


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Messages

  • Bonjour à vous,

    Les résultats de cette enquête sont extrémement graves : Effectivement, ils font froid dans le dos.

    Un tiers d’entre nous, population dite riche et civilisée, sait ce que signifie se priver, non pas de babioles superfétatoires, et souvent inutiles, mais de l’essentiel à l’épanouissement de chacun.

    Un toit, un repas équilibré, le transport ou encore la culture, restent déjà pour beaucoup un problème au quotidien, mais si de surcroit, les possibilités de soutiens par les proches s’amenuisent, alors le risque de se voir demain devenir SDF s’accroit.

    Le moindre aléa, un peu plus important que d’habitude : une facture inattendue, un bouleversement professionel, une santé tout à coup vacillante, ou un évênement privée perturbateur, et tout peut basculer, sans même parfois qu’une prise de conscience puisse être possible, tant les faits peuvent s’enchainer rapidement, sans pouvoir maitriser quoique ce soit.

    Alors que faire ? Nous savons que les ressorts de la parentalité jouent leurs rôles d’amortisseurs, mais si la famille est également touchée par la précarité, c’est la solidarité de tous qui doit intervenir, et agir pour contenir, une pression matérielle souvent insupportable, à défaut souvent de pouvoir améliorer, par manque de moyens, tant humains que financiers. Les actions publiques et associatives, disons le, font ce qu’elles peuvent, et ce n’est pas l’envie d’en faire plus qui leur manque, mais bien souvent seulement la possibilité.

    L’emploi est, je crois, la source de toute Dignité retrouvée, car l’être humain se ressource dans l’action, revit au milieu de contacts professionnels, et renait au travers de la reconnaissance sociale. Pourtant, ces chiffres nous apprennent que cela ne suffit plus, pour apprécier le plaisir de respirer, car travailler n’est plus une garantie, pour se sentir insérer dans le monde qui nous entoure, si c’est pour habiter dans un foyer, un hotel, ou même chez soi, mais coincé entre quatre murs, sans pouvoir sortir apprécier la vie de la cité.

    Ces chiffres possédent une vertu : Celle d’informer les personnes qui ne sont pas (encore ?) concernées.

    Souhaitons que ceux qui détiennent aujourd’hui une certaine forme de pouvoir, économiques et/ou culturels, comprennent que la situation de leurs voisins est aussi la leur, car ce serait faire preuve de pauvreté d’esprit que de ne pas s’en préoccuper, sous prétexte de connaitre des conditions de vie différentes.

    A moins qu’ils ne fassent partie de ces personnes qui déposent leurs vieillards au seuil des hospices, avec un baluchon et une bise (bye bye !), ou encore de celles qui abandonnent les enfants à la sortie des cours, en les confiant aux nanous TV et hamburger, et qui, heureux et jubilatoires, un jour, s’en vont prendre l’avion pour marrakech ou miami, en pensant benoitement aux bienfaits d’une future retraite au soleil, et sous les cocotiers.

    J’ai aimé l’article d’hier, de Raymond Lauret : "...l’avenir est une révolution..."

    Mon Dieu oui : Si demain une instance locale décidait d’octroyer qq dizaines de millions d’euros, pour la création d’un Banque Sociale, à l’image du concept de la Grameen Bank, cad à destination de tous les réunionnais qui désirent créer une micro-entreprise, avec des montants de remboursements minimes, sur des durées aménageables, et pourquoi pas sans intérêts, sinon seulement au profit de celui de la collectivité, et pour le bénéfice de l’emploi sur notre ile, alors oui, je suis prêt à y croire.

    (Chut ! Ne le répétez pas, mais en vérité, je suis certain que "l’avenir est une révolution" !)

    Bien à vous,

    Salaam

    Voir en ligne : Création d’un Banque Sociale


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