Culture et identité

« Une superbe expérience humaine et créative »

"Sèrvis Makwalé" aux Rencontres d’Arles

18 août 2003

Pour sa première diffusion en Europe, ’Sèrvis Makwalé’, une création visuelle et vivante, devait donner une soirée exceptionnelle aux Rencontres d’Arles 2003 au parc des ateliers de la SNCF le samedi 12 juillet dernier. Cette cérémonie laïque, ouverte à tous, rassemble une vingtaine d’artistes de La Réunion et du Mozambique, avec comme l’annonçait le tract, les plus belles voix du maloya - Nathalie Natiembé, Danyèl Waro - et leurs musiciens, le poète Christian Floyd Jalma, les danseurs Wanalombo, les percussionnistes de la Compagnie Nationale de Danse du Mozambique et les moringueurs de La Réunion. Cette création, qui dure plus de deux heures, contient plus de 400 photographies et un film avec le dernier Jako Promès, réalisés par Karl Kugel. La soirée de clôture n’a pas eu lieu en raison du fort mouvement de grève des intermittents du spectacle.

Prévu aux Rencontres d’Arles dès 2002, le spectacle "Makwalé" n’avait pas pu s’envoler l’année dernière, pour des raisons techniques. La première avait donc eu lieu tout près du Camp Calixte, à Saint-Denis, en décembre dernier. Le travail autour de "Makwalé" s’est poursuivi, notamment en juin à la médiathèque du Port, avant de s’envoler cette année pour Arles, prévu dans le "in" pour une soirée de clôture qui devait lui être entièrement dédiée.
Malheureusement - ou heureusement -, les rencontres d’Arles ont été interrompues trois jours plus tôt, suite au fort mouvement de grève des intermittents du spectacle. Ce qui aurait pu être un échec a été vécu comme une « superbe expérience humaine et créative ». C’est ce que nous raconte Karl Kugel.

Kosa i lé "Makwalé" ?

À la frontière du spectacle vivant et de l’exposition, "Makwalé" cherche à faire évoluer le rapport entre l’image et la musique, en y mêlant aussi la poésie et la danse. Pour son concepteur Karl Kugel, « "Makwalé" c’est quelque chose qui vit. Le sujet reste la danse de combat. Mais en arrière-plan, nous parlons de tous les exils, de la traite mais aussi par métaphore des exils économiques, personnels, des exils forcés ».
Autour de lui, une vingtaine de personnes, dont le groupe de Danyèl Waro et celui de Nathalie Natiembé pour la musique, mais aussi Christian Jalma pour le texte pur, et les moringueurs Wanalombo et ceux de La Réunion.
C’est le thème de l’exil qui les relie tous dans cette expérience artistique et humaine. « L’exil, c’est une perte, c’est un déplacement, on quitte les siens, ça peut aller jusqu’à la perte de tout, aller vers le néant, vers l’abîme total des enfants de l’esclavage », poursuit le photographe.
Celui-ci ajoute aussitôt : « "Makwalé" est un spectacle heureux, une symphonie de vie. L’idée est celle-ci : comment d’une difficulté, d’une perte, d’une faiblesse faire une création, se reconstruire, tout transformer en force. C’est dire notre joie d’être au monde, dire que la vie est plus forte que ce néant d’où l’on vient. C’est une cérémonie laïque où chacun met une part de lui ».
Ainsi, décline Karl Kugel, « les danseurs de combat sont amnésiques de leur origine, il n’y a aucune mythologie. Christian Jalma, est parti d’une difficulté immense du langage et de l’écriture pour s’affirmer et s’épanouir dans la création poétique… ». Et l’on pourrait poursuivre : Danyèl a connu l’incarcération en France pour avoir refusé le service militaire… Chacun apporte son humanité à ce compagnonnage.

Festival interrompu

Arrivés à Arles, les compagnons ont subi de plein fouet le conflit des intermittents. "Makwalé" devait s’offrir au public le huitième soir du festival, lors d’une soirée de clôture entièrement réunionnaise. Un kabar devait se poursuivre jusqu’à l’aube, 1.600 spectateurs étaient attendus, un écran gigantesque attendait les projections des photos qui défilent pendant que les musiciens jouent.
Résultat du conflit : quatre soirées sur huit sont annulées, le festival est arrêté trois jours plus tôt. Et "Makwalé" ne peut plus être donné.
L’ensemble du groupe des artistes réunionnais s’est montré solidaire de la lutte des intermittents du spectacle dès le départ, mais il fallait aussi trouver une solution de remplacement, pour partager le message de leur création. L’équipe réunionnaise décide de se produire, malgré tout, dans l’espace public. "Makwalé" est redécoupé en divers morceaux.
Vendredi 11 juillet, Christian Jalma et Karl Kugel ont présenté leur livre commun "Cafre amnési, Cafrine symboli" qui sera bientôt mis en vente à La Réunion par les Éditions des Deux Mondes. Sur la place magnifique de l’hôtel de Ville d’Arles, les danseurs de moring ont ouvert un rond pour danser. Une autre partie du spectacle était donnée samedi dans l’après-midi sur les lieux de la répétition pour une cinquantaine de personnes, dont les journalistes. Et samedi soir, sur le terre-plein qui jouxte le site officiel, Danyèl , Nathalie et les moringueurs se sont produits devant des centaines de personnes.

Des souvenirs impérissables

Ce dernier soir a laissé un souvenir encore vibrant d’émotion à Karl Kugel, qui nous l’explique : « Samedi soir, dans les loges, les danseurs du Wanalombo ont peint les corps des six jeunes moringueurs réunionnais. J’ai déjà voyagé plusieurs fois avec eux, au Mozambique, en Afrique du Sud. Pour moi ce sont les meilleurs moringueurs de l’île, ils ont le feu sous la peau. Ce moment a été très fort, nous étions tous fiers de ce qu’ils donnaient à voir de leur culture ».
Il fallait jouer malgré tout, car les circonstances de la représentation rejoignaient pleinement le thème de "Makwalé". C’est pourquoi Karl Kugel nous parle d’une « superbe expérience humaine et créative. Par le fait que "Sèrvis Makwalé" ait pu garder son sens, malgré toutes les difficultés et la tension énorme qui régnait là-bas. Nous sommes tous revenus très heureux d’avoir pu exprimer la création et ne pas être en porte-à-faux avec la lutte des intermittents ».
Certes, l’ensemble des artistes aurait certainement voulu donner ce spectacle devant les 1.600 spectateurs prévus. Mais ce qui tient "Makwalé", c’est avant tout l’expérience humaine. La création a été vécue de manière plus forte dans un temps social qui lui correspondait. "Makwalé" continuera à être donné une ou deux fois par an, il est prévu en décembre prochain à La Réunion et en 2004 dans les arènes de Maputo au Mozambique.


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