La dette pour les pays du Tiers Monde

À quand l’annulation ?

19 octobre 2006

L’association “Les amis du monde diplomatique”, en collaboration avec le Centre Culturel Albert Camus d’Antananarivo, organise aujourd’hui une conférence-débat sur le thème “La dette des pays du Tiers Monde : est-elle légitime ? Pourquoi faut-il l’annuler ?”.

Membre du Conseil d’administration du Comité d’appui à l’annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM), Président de ENM France (Echange non marchand), Trésorier du Consortium de solidarité avec Madagascar, membre influent du FMI et de la Banque mondiale, Nicolas Sersiron, artiste plasticien, explique la spirale de la dette, et pourquoi les pays du Tiers Monde sont aliénés par un remboursement impossible.
C’est en tant que citoyen français, observateur du comportement de son propre gouvernement, qu’il tentera de décrypter la mécanique infernale de la dette extérieure des pays en développement, sa naissance, de l’indépendance des anciennes colonies aux années 1980, son expansion vertigineuse et la corruption des élites. Il reviendra par ailleurs sur la crise de la dette, et la perte d’influence du FMI et de la Banque mondiale. Dans son propos, il relève l’esclavage économique imposé aux pays en développement. Le conférencier mettra en exergue la paupérisation continue des populations des pays du Tiers Monde depuis plus de 20 ans. Et un constat amer : 3 milliards d’humains vivent avec moins de 2 euros par jour.
Allez vivre avec moins de 60 euros à La Réunion. C’est incomparable.

« Comment voulez-vous que les pays remboursent ? »

Pour comprendre quelque peu les méandres de la dette des pays en voie de développement, Nicolas Sersiron revient sur la mécanique d’asservissement intégré dans le consensus de Washington, « mesures ultra libérales dont l’essentiel, c’est l’application, au profit des USA, de politiques productivistes basées sur la croissance permanente de l’économie », précise-t-il. Et de poursuivre :« Quand il y a eu la crise de la dette, en 1980, par décision des USA, le taux d’intérêt a été multiplié par 4. Comment voulez-vous que les pays remboursent ? ». Le pire, c’est que les pays doivent encore s’endetter, par recours à l’emprunt, pour rembourser leur dette. C’est la raison pour laquelle le conférencier préconise l’annulation pure et simple des dettes. « Si un pays doit s’endetter pour rembourser, c’est impossible. Pour 1 dollar emprunté en 1980, ils en ont remboursé 7. Ils doivent encore 4 dollars », indique Nicolas Sersiron. Ne doit-on pas envisager alors de dédouaner les pays en développement de leurs dettes ? Ce serait un petit pas pour les pays riches qui contrôlent le monde économique, un pas de géant pour le Tiers Monde endetté.

À quoi sert l’endettement ?

Encore, dirons-nous, que ces dettes font l’affaire des politiques mafieux qui, sur fond de Guerre froide, ont détourné des fortunes « pour rentrer dans le jeu des USA », poursuit le spécialiste. Combien de tyrans ont endossé des dettes odieuses pour asseoir leur despotisme ? Les Pinochet, Mobutu et consorts ont détruit leur pays, qu’il faille encore payer le prix de leur autoritarisme. Mobutu s’enrichissait à hauteur de 8 milliards de dollars à la fin de son règne, alors que la dette zaïroise s’élevait à 12 milliards de dollars. Comment ne pas prendre en compte de telles données ? L’annulation de la dette se défend sur plusieurs plans. Une affaire qui fait jurisprudence, datant de 1927, annulait une dette odieuse. Pourquoi finalement ne pas annuler les dettes, en général, pour soutenir le développement des pays du Tiers Monde ?
Par ailleurs, on peut se demander : un pays pauvre qui est soumis au remboursement d’une dette peut-il se développer ? Rien n’est moins sûr. Les investisseurs étrangers en profitent pour conquérir les marchés. Entre temps, les flux allant du Sud vers le Nord sont estimés à 150 milliards de dollars, soit 2 plans Marshall par an. C’est aberrant de l’entendre.

Quelle finalité, en somme ?

Pourquoi tenir un tel débat à Madagascar ? Les données pourraient vous éclairer. En 2003, le SMIG malgache était évalué à 254.000 Fmg et permettait d’acheter 2 sacs de riz de 50 kg. Actuellement, on a qu’un sac de 50 kg. L’accès à l’eau potable est possible pour seulement 10% de la population, la pénétration de l’électricité en milieu rural est de 3%, les facteurs de croissance annoncés dans le Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DSRP) ne représentent pas une fiabilité.
Actuellement, les dettes de Madagascar sont contractées principalement avec 5 bailleurs de fonds : la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, la Commission européenne (CE), la Coopération française et la Banque africaine du développement. On peut aussi rappeler quelques facteurs positifs à la charge du mandat Sylla-Ravalomanana : l’allégement de la dette bilatérale accordé par un certain nombre de partenaires bilatéraux dont le Canada, la France et la Grande-Bretagne ; l’annonce faite, en mars 2005, par le gouvernement américain d’octroyer une aide de 110 millions de dollars dans le cadre du Millennium Challenge Account ; et la décision prise, en juin 2005, par le G8 d’annuler la dette due aux institutions financières internationales (Fonds africain de développement, Banque mondiale et Fonds monétaire international), pour un certain nombre de pays pauvres dont Madagascar.
Cet argent qui ne sera plus affecté au remboursement de la dette, s’il est bien utilisé, donc bien géré, aura un effet positif sur la croissance économique et, en conséquence, sur la réduction de la pauvreté, le premier objectif parmi les 8 Objectifs du Millénaire pour le Développement établis par le PNUD à la conférence de New York en 2000. L’objectif premier est de réduire de moitié le nombre de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour, et de moitié la population qui souffre de la faim, cela entre 1990 et 2015.
Pour Nicolas Sersiron, le but de son intervention, c’est déjà que les Malgaches se regroupent pour constituer un Comité pour l’annulation de la dette. Et celui-ci de conclure : « Si 80 milliards de dollars étaient injectés dans les pays en voie de développement, cela permettrait à l’ensemble de la planète de manger, de se soigner, de pourvoir à l’éducation de leur jeunesse et de disposer de l’eau potable ». Pour Nicolas Sersiron, la dette empêche les pays de défendre une politique sociale digne de ce nom. Ils ne peuvent alors que s’appuyer sur des ONG étrangères en charge des besoins sanitaires et éducatifs vitaux. Comment ne pas l’entendre ?

W.T


Échanges non marchands : un exemple de partenariat

C’est sûrement un exemple à suivre, un modèle qui devrait inspirer nos actes de partenariat avec la Grande Île. L’Association de solidarité avec Madagascar, Echanges non marchands (ENM), privilégie la relation humaine, l’échange affectif. D’un point de vue concret, cette association s’investit dans des réalisations de terrains. Les Malgaches sont producteurs de riz ; alors comment les aider, surtout lorsque l’on sait qu’ils ne disposent pas de l’électricité pour développer leur production ? L’ENM souhaite l’amélioration de la récolte de riz pour accéder à plus d’autonomie. Elle a mis en place sur le village de Befotaka en juillet 2005 un complexe de décorticage de riz, équipé de groupe électrogène et d’un atelier de soudure. Cet ensemble est opérationnel, n’a coûté que 4.500 euros et est mis à la gestion d’une association locale.
Par ailleurs, outre les travaux de soudure et de décorticage, cet équipement permet l’éclairage partiel du village les 3 premières heures de la nuit. Ce n’est rien, c’est peu, mais déjà un pas. D’autant qu’il ne s’agit là que des dernières réalisations. L’entraide aura permis la construction d’une maternité à l’hôpital de Befotaka, d’une bibliothèque, de payer des cours de couture et d’alphabétisation. D’autres projets sont en cours de réalisation, notamment pour des questions sanitaires. L’approvisionnement en médicaments antipaludéens, ou contre la dysentrie, est périlleux, avouons-le. Encore faudrait-il que les villages isolés de Madagascar disposent d’eau potable ! Creuser un puit ne coûte que 1.200 euros, équipements fournis. Là encore, savons-nous l’entendre ?

W.T.

Pour tous renseignements, prière de vous connecter sur le site www.echangenonmarchand.org, ou écrire à l’adresse suivante : Echanges non marchands, chez Jacques Drouhin, 11 rue du Lycée Jacques Amyot, 89000 Auxerre.


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus