Crise à Madagascar — 2 —

Assassinats “légaux”

10 février 2009, par Bernard Yves

La crise qui secoue la Grande Ile depuis plusieurs semaines vient de prendre un tour tragique et sanglant ce samedi 7 février. Il convient de faire un retour sur les évènements qui se sont déroulés dans les jours précédant la tragédie, pour envisager avec le plus d’objectivité possible ce que sera l’avenir.

Le mardi 3 février, lors d’un meeting sur la place du 13 Mai, avenue de l’Indépendance, le Maire d’Antananarivo, Andry Rajoelina, avait informé son auditoire que des rumeurs circulaient sur l’imminente mise en place d’une « délégation spéciale » pour diriger à sa place la Commune d’Antananarivo.
Ce fut chose faite, car dans l’après-midi de ce 3 février, le Ministre de l’Intérieur envoyait le Préfet de Police d’Antananarivo installer le Président d’une « délégation spéciale » dans le bureau du Maire Andry Rajoelina. Il était accompagné lors de cette mission par trois camions de militaires fortement armés.

La décision du Ministre de l’Intérieur annonçait que le Maire, les adjoints au Maire, le Conseil municipal étaient remplacés par cette « délégation spéciale » composée de trois fonctionnaires. Selon le Préfet de Police, cette décision résultait « des manquements du Maire et des élus dans la conduite de la mission de la commune, par exemple la gestion des ordures » (sic !)
Cet arrêté du Ministre de l’Intérieur viole les dispositions de la loi 94008 du 26 avril 1995 en vigueur jusqu’à ce jour et qui, dans aucun de ses articles, mentionne la possibilité de nommer et d’installer une « délégation spéciale » à la tête d’une commune.
Il en est de même pour la Constitution. Tout au plus, les textes prévoient la suspension d’un Maire pour une période limitée et renouvelable. En outre, la dissolution des membres du Conseil municipal élus du peuple, en application de cet arrêté, conforte le caractère illégal et anti-constitutionnel de la nomination de cette « délégation spéciale ».
En réponse à cette décision arbitraire, le Maire Andry Rajoelina appelait la population à un sit-in, devant ses bureaux, le lendemain. Des milliers de manifestants répondirent à son appel ; au cours de la manifestation, le Maire désignait son adjointe Mme Michèle Ratsivalaka pour le remplacer à la tête de la commune.
Par ailleurs, le Maire Andry Rajoelina et ses collaborateurs avaient, comme promis, déposé auprès des Institutions concernées (Parlement, Haute Cour institutionnelle) un dossier conséquent dénonçant les abus, détournements, violations répétées de la Constitution, perpétrés par Marc Ravalomanana, et demandant sa déchéance. Les dites institutions n’ont pas répondu, et la Haute Cour constitutionnelle s’est contentée d’exposer des arguties, comme la référence à la Haute Cour de Justice (prévue par la Constitution, mais dont la mise en place a été bloquée par les manœuvres de Marc Ravalomana).

Le peuple malgache rejette le pouvoir Ravalomanana

Contrairement aux propos de Marc Ravalomanana, qui clame sur les médias officiels « qu’il a la situation en mains » que « le calme règne dans le pays », etc... dans ses tournées incessantes (notamment sur la côte Ouest à Majunga et Morondava), il est confronté à des manifestations qui prennent parfois une tournure violente : jets de pierres, insultes, banderoles, les revendications des manifestants sont très claires : « Ravalomanana dehors ».
Il ne s’agit plus d’un mouvement de fronde de la population d’Antananarivo, mais d’une aspiration à la démocratie, et du rejet par toute la population malgache d’un pouvoir « despotique et corrompu ». L’incendie des magasins Tiko dans la capitale et les provinces sont des preuves de ce rejet. Le mercredi 4 février, une délégation conduite par le Ministre de l’Economie s’était rendue sur la côte Sud-Est à Manakara. Beaucoup pensaient que cette mission visait à piller la Banque centrale et autres établissements financiers de la ville : la population, en colère, croyant que l’avion transportait Ravalomanana, se rendit en masse à l’aéroport où elle mit le feu à l’aéronef ; le Ministre, le chef de région et le député qui l’accompagnaient durent se réfugier à l’hôtel, qui fut à son tour assailli par la foule, ils durent à nouveau s’enfuir dans la forêt avoisinante, et un hélicoptère vint les chercher pour les conduire à la capitale le lendemain.

Mesures exceptionnelles face au vide constitutionnel

C’est cette situation chaotique qui accélérait la prise de position de Andry Rajoelina, qui, le jeudi 5 février, appelait la population à venir sur la place du 13 Mai le samedi suivant pour prendre connaissance d’une importante déclaration. Le gouvernement, informé que le groupe artistique Rossy, très populaire, apporterait son concours à cette manifestation, fit des pieds et des mains pour empêcher l’arrivée du groupe et allât même jusqu’à interdire l’atterrissage de l’avion privé qu’il avait affrété de La Réunion à Madagascar.
Une foule importante fut pourtant présente ce samedi 7. Andry Rajoelina annonçait alors la mise en place d’une “Haute autorité de la transition”, qu’il présidait, et qu’il nommait Monja Roindefo, Président du parti MONIMA, comme Premier ministre de la transition. Le nouveau Premier ministre est le fils du vieux combattant nationaliste Monja Jaona, connu pour son engagement dans la lutte pour l’indépendance et contre toutes les formes d’oppression et d’injustice perpétrées par les régimes qui se succédèrent au pays depuis 1960. Originaire de l’Androy — comme son père — il est un entrepreneur ayant fait ses études à l’étranger et a pris sa relève à la présidence du parti MONIMA, qui figure (avec l’AKFM) parmi les plus anciens partis malgaches, ces deux partis ayant vu le jour en 1958.
Après que le Premier ministre ait pris la parole, il se dirigeait, accompagné d’une délégation de parlementaires (députés et anciens sénateurs) et du chef de cabinet du Maire, le Général Dolin Rasolosoa, vers le Palais d’Ambohitsorohitra, où est traditionnellement installé le siège de la Primature. Une partie de la foule réunie sur la place du 13 Mai suivit la délégation, et il lui fut ordonné de stationner loin de la grille fermant le Palais.

B.Y.


Samedi : la garde présidentielle tire sans sommation

50 morts et plus de 200 blessés

Samedi, après le meeting tenu sur la place du 13 mai, des milliers de personnes se sont rendues devant le palais présidentiel.

Avant d’entrer dans le Palais, le Général Dolin Rasolosoa et quelques parlementaires furent mandatés pour négocier avec les militaires de la garde présidentielle chargés de la protection du Palais ; après conciliabules, il s’avérait que les militaires refusaient au Premier ministre Roindefo l’accès du Palais. La délégation rejoignit la foule, et c’est à ce moment qu’éclatèrent les coups de feu venus du Palais. Tous les observateurs, malgaches et étrangers, ont noté qu’il n’y eut aucune sommation (tir en l’air suivi de jets de grenades lacrymogènes ou de jets d’eau) pour disperser la foule.
Par ailleurs, cette foule ne portait aucune arme et ne proférait pas de menaces. En quelques minutes, on dénombrait cinquante morts et plus d’une centaine de blessés. Les corps des victimes portaient les traces d’impact de balles sur le front, le cou, le dos, provenant d’armes de guerre. Il s’est avéré que la garde présidentielle comptait dans ses rangs des « mercenaires » étrangers recrutés en Afrique du Sud.
Toute la journée du dimanche, la population et les autorités de la transition furent occupées à porter secours aux blessés, s’occuper des morts et de leurs familles, qui furent l’objet d’un grand élan de solidarité. Une foule compacte se rendit au Gymnase couvert de Mahamasina, où étaient exposés les corps des victimes, afin de rendre un hommage mérité à ces compatriotes de tous âges, victimes de leur engagement dans la lutte pour le respect de la Démocratie. Un photographe de la station RTA et une journaliste de RFI sont tombés sous les balles des tueurs ; Le lundi fut proclamé « jour de deuil national ».


Les bailleurs de fonds gèlent les crédits

De son côté, la Communauté internationale, plus précisément la Banque Mondiale, le FMI, l’Union Européenne, informaient la presse qu’elle gelait l’aide qu’elle avait prévue pour Madagascar fin décembre. Ces bailleurs de fonds expliquaient leur décision par l’absence totale de transparence dans la gestion des finances publiques par Ravalomanana et son équipe : Les médias citaient en exemple l’achat du fameux “Air-Force 2” pour un montant de 60 millions de dollars, et offert en « cadeau » par une société sud-coréenne, en contre-partie de la dotation de 1 million 300.000 hectares de terres arables appartenant aux paysans malgaches, la disparition inexpliquée de plusieurs conteneurs de bois de rose confisqués indûment à leurs propriétaires dans la région de la Sava et remis gracieusement au fils de Marc Ravalomanana (ce dernier avait ordonné que ces conteneurs de bois de rose soient entreposés dans la Cour du Palais d’Ambohitsorohitra d’où ils disparurent pour être acheminés au Port de Toamasina), les détaxations et autres réformes fiscales entourant l’importation des produits pour la fabrication de l’huile Tiko, etc…
Ces bailleurs de fonds avaient d’ailleurs demandé des explications aux dirigeants malgaches, sans avoir reçu de réponse convaincante jusqu’à ce jour. De manière très diplomatique, ils dénonçaient l’amalgame entre l’utilisation de l’argent de l’État et celui de l’empire Tiko, et appelaient les uns et les autres à prêter une oreille attentive aux doléances de la population.


Appel à la communauté internationale

Ce samedi 8 février, était annoncée l’arrivée à Antananarivo d’une délégation de la SADEC, d’un représentant spécial du Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki-moon et d’un représentant de l’Union Africaine.
Rendant visite aux blessés soignés à l’Hôpital J. Andrianavalona, le Président de la Haute Autorité, Andry Rajoelina, lançait un appel à la communauté internationale de témoigner du massacre perpétré par les mercenaires. Cette « communauté internationale » va-t-elle encore tenter de calmer le jeu par des déclarations lénifiantes sur le « respect de la légalité constitutionnelle » ?

Il convient en effet de dénoncer les manipulations d’une certaine presse étrangère, qui réduit cette crise à un affrontement entre deux prétendus rivaux, l’un défendant son empire financier et économique et l’autre voulant s’enrichir par la prise du pouvoir.
Or, la priorité actuelle pour le peuple malgache (et il l’a prouvé tout au long de ces dernières semaines, par des manifestations et explosions de violences qui ont causé la mort de plusieurs dizaines de Malgaches dans différentes régions du pays) est de se débarrasser d’un pouvoir « corrompu » qui l’a plongé dans une misère dégradante par son incompétence durant sept années à la Direction du pays, et de plus, utilise des méthodes dictatoriales qui foulent aux pieds les droits humains et la démocratie, si chers à la « communauté internationale ».

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