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Descendants de Réunionnais de la Sakay à Madagascar : victimes des derniers soubresauts du colonialisme français en Afrique

Au lieu de développer La Réunion, le choix de Paris d’envoyer des Petits blancs coloniser une région de Madagascar

jeudi 7 septembre 2023, par Manuel Marchal


Les Malgaches descendants de Réunionnais émigrés dans la région de la rivière Sakay à Madagascar sont les témoins vivants et les victimes d’une des dernières tentatives de colonisation de Paris en Afrique. Ils s’estiment « oubliés » de La Réunion qui peut apparaître aujourd’hui pour eux comme un Eldorado. En réalité, ils sont les victimes des derniers soubresauts du colonialisme français en Afrique, et de ses complices de l’époque à La Réunion et à Madagascar.


Dans son édition du 1er septembre dernier, « le Quotidien » fait part d’une rencontre avec des descendants de Réunionnais de la Sakay, qui vivent aujourd’hui dans la région de Mahatsinjo à environ 150 kilomètres de la capitale Antananarivo. Comme de nombreux Malgaches dans la campagne, ils doivent se débrouiller avec l’équivalent d’un euro par jour. Une photo de l’article montre leur maison ; une case traditionnelle de cette région montagneuse, avec des murs en terre et un toit en paille. Aujourd’hui, ces Malgaches d’origine réunionnaise se disent abandonnés par La Réunion. Il est vrai qu’avec la vision forcément limitée qu’ils ne peuvent qu’avoir de notre île, La Réunion peut être un Eldorado.

La promesse d’un Eldorado pour Petits blancs

C’est justement la promesse de l’Eldorado pour les Petits blancs des Hauts qui explique une part importante de l’émigration réunionnaise à Madagascar pendant la colonisation du pays par la France. Dans la société de classe coloniale à Madagascar, les Français étaient en haut de la pyramide, et les Réunionnais en seconde position, devant les Malgaches de nationalité française puis les Malgaches soumis au Code de l’indigénat. Ainsi, en émigrant à Madagascar, un Réunionnais n’était plus en bas de la société coloniale, il bénéficiait d’une ascension sociale.
Commencée après l’annexion de Madagascar par la France, cette émigration de Petits blancs se poursuivit au début du 20e siècle principalement sur la côte, sur des terres volées aux Malgaches par la France. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les Réunionnais arrachent l’abolition du statut colonial. Mais Paris refusait que le changement de statut s’accompagne du développement qui pouvait s’appuyer sur une importante croissance démographique. Le maintien du sous-développement signifiant en effet l’augmentation de la dépendance envers Paris, et donc la garantie pour les gouvernements français de disposer avec La Réunion d’un point d’appui où leur souveraineté ne pouvait être contestée.

Favoriser l’émigration à la place du développement

Néanmoins, la croissance démographique était une réalité. Paris tenta de l’utiliser au profit de son patronat en cherchant à organiser l’exil des Réunionnais en France via le BUMIDOM. Mais avant le développement du transport aérien, une tentative d’implantation de Réunionnais eut lieu à Madagascar qui était encore sous la souveraineté de la France. Dans les années 1950, des Petits blancs des Hauts furent envoyés dans la région du Bongolava, province d’Antananarivo, à 150 kilomètres de la capitale. Ils furent chargés de coloniser une région peu peuplée, située à 900 mètres d’altitude, avec un climat ressemblant par la température à celui des Hauts de La Réunion.
Des centaines de Petits blancs furent ainsi expédiés à Madagascar où ils développèrent l’agriculture dans une région proche de la rivière Sakay. Cette colonie fut appelée Babetville, du nom d’un député de l’époque, qui encourageait l’émigration de ces Petits blancs vers cette région de Madagascar.

Enclave coloniale sur la route du BUMIDOM

Le PCR dénonça cette colonisation qui avait, de plus, une visée clairement raciste. L’envoi exclusif de Petits blancs montrait la volonté du colonisateur de « blanchir » une région de Madagascar.
Cette colonisation se poursuivit après l’indépendance, avec l’accord du premier président de Madagascar, Philibert Tsirana, qui avait maintenu d’importants liens avec la France via la signature d’accords de coopération avec Michel Debré, alors chef du gouvernement français.
Ankadinondry Sakay, était aussi un lieu de transit pour des Réunionnais expédiés en France par le BUMIDOM, ils y recevaient une formation de base afin qu’ils puissent être opérationnels dans des métiers manuels dès leur arrivée sur le sol français.

Victimes d’une entreprise coloniale

La révolte des étudiants en 1972 puis la chute de la 1ère République à Madagascar allaient être le point de départ de la récupération de ces terres par les Malgaches. Elle se concrétisa en 1975 par l’expulsion des derniers fermiers réunionnais. Utilisés par Paris dans une entreprise coloniale, ces Réunionnais trouvèrent refuge principalement en France, en Kanaky Nouvelle-Calédonie, en Guyane et, pour une faible minorité, à La Réunion.
Quelques-uns sont restés car ils étaient unis à des Malgaches. Ce fut le cas des parents de la famille faisant l’objet de l’article du « Quotidien ». Ils sont aujourd’hui les témoins vivants et les victimes d’une des dernières entreprises de colonisation de Paris en Afrique.

M.M.


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