Madagascar

Élections libres, équitables et transparentes : un pari difficile à tenir !

5 mai 2006, par Bernard Yves

Depuis la visite du Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan en mars, l’agitation s’est emparée de tous les acteurs du monde politique malgache. On se souvient en effet que le Secrétaire général de l’ONU avait appelé les principales composantes de la vie politique malgache à dialoguer avant la tenue des prochaines élections présidentielles.

Dès le lendemain du départ de M. Annan, le président Ravalomanana, avait convoqué le pasteur Richard Andriamanjato, en présence du représentant de l’ONU, et du président du Sénat M. Rajemison Rakotomavo. Ce dernier fut désigné par le président pour représenter le pouvoir lors d’un éventuel dialogue avec l’opposition. Deux rencontres préliminaires se sont alors tenues entre le pasteur Andriamanjato, représentant les 3FN (plate-forme de l’opposition) et le président du Sénat. Les points de divergence dégagés à l’issue de ces premiers contacts portent sur le fond même de la situation à Madagascar ; le pouvoir propose que le dialogue soit axé sur les prochaines élections présidentielles, l’opposition quant à elle, insiste en priorité sur un assainissement global de l’environnement politico-social prévalant dans le pays. Les 3FN, ont de nouveau exhorté le pouvoir à se pencher sur les résolutions issues de la “Conférence nationale unique” qu’elles ont organisée, en juin 2005.
Quoi qu’il en soit, la désignation des délégués représentant le pouvoir et l’opposition à ce dialogue national, a été la principale occupation des protagonistes durant ces dernières semaines.

Le 23 avril, à l’occasion d’une tournée dans la banlieue de la capitale, le président du Sénat a publiquement déclaré que, les points de désaccords entre le pouvoir et l’opposition étant trop importants, seules, les élections permettraient de trancher. Il a ainsi fermé la porte à tout dialogue. Pourtant l’opposition insiste et affirme qu’elle est toujours prête à relancer les discussions.

La date des présidentielles : un sujet de polémiques

Le ministre de l’Intérieur récemment nommé à ce poste (le général Rabemananjara était auparavant directeur du Cabinet militaire du président de la République) a convoqué le 21 avril les représentations étrangères et les organismes internationaux, pour une séance d’information “technique” sur les élections à Madagascar. On a ainsi appris que 8 millions 865.282 électeurs auraient été recensés sur tout le territoire, après la dernière révision des listes électorales.
Mais, l’intérêt des observateurs est surtout focalisé sur la date exacte des élections présidentielles. Rappelons à ce propos, que l’article 47 de la Constitution malgache précise que "L’élection du Président de la République, a lieu trente jours au moins, et soixante jours au plus avant l’expiration du mandat du président en exercice...".
La question se pose alors sur la date du début de la mandature de Marc Ravalomanana. Si le 22 février 2002, jour de son auto-proclamation contestée par la communauté internationale, est retenu, les élections se tiendraient avant la fin de l’année 2006. Si le 6 mai 2002, jour ou Ravalomanana prêtait serment une deuxième fois avec l’onction de la communauté internationale, marque le début de sa mandature, les élections devraient se dérouler au cours du premier trimestre 2007.
On devine l’imbroglio juridique créé par cette situation qui ne manquera pas de soulever de nombreuses questions quant à la validité des actes (lois, décrets, etc...) pris par le pouvoir Ravalomanana entre le 22 février et le 6 mai 2002.

Un autre sujet d’inquiétudes : les abus dans l’utilisation de la puissance publique

L’opposition n’a de cesse de revendiquer la mise en place et le respect de conditions préalables à la tenue d’élections équitables telles que l’amnistie aux condamnés lors de la crise de 2002, le retour des exilés, la réconciliation, le libre accès des opposants aux médias officiels (Radio, Télévision), le respect total des libertés syndicale, de presse, d’association...

L’opposition exprime également son inquiétude suite à la nomination récente des chefs de Régions, des chefs de circonscriptions scolaires, qui, selon elle, n’est pas étrangère à la tenue des prochaines présidentielles, alors que le flou juridique règne autour de la validité du mandat de ces hauts fonctionnaires.
Il semblerait que, c’est dans le but de faire avancer le “dialogue” que le CNOE, association créée en 1989, pour l’observation des élections, a organisé le 25 avril, un “atelier national” en vue de réaménager le Code électoral. Des partis politiques, proches du pouvoir, et de l’opposition, les Ministères de la Justice et de l’Intérieur, la Haute Cour constitutionnelle, des organisations de la société civile, y ont été conviés.
La plate-forme de l’opposition, le 3FN, a convoqué la presse, pour informer l’opinion de sa position face à cette initiative du CNOE. Elle estime que le moment est mal choisi pour la tenue de cet atelier sur les élections dont le principe n’est pas accepté par tous. Elle a également noté que les invitations lancées par le CNOE, font montre d’une discrimination inexpliquée qui serait source de division au sein de la classe politique, en premier lieu, au sein de l’opposition.

En effet, les résolutions de cet atelier suffiront-elles à lever les suspicions de part et d’autres ? L’instabilité actuelle, le manque de transparence qui entoure certaines initiatives du pouvoir, favorisent les rumeurs les plus folles. Par exemple, on affirme ici ou là qu’un candidat aurait déjà été “élu” et crédité de 50,2% des suffrages (!) que ce même candidat aurait loué quelques dizaines d’hélicoptères, et quelques centaines de véhicules tout-terrain, pour sillonner le pays durant la propagande... que des dizaines de milliers d’électeurs de la capitale auraient été inscrits sur les listes électorales de Diégo-Suarez et Toamasina, etc, etc...

Élections libres, équitables, et transparentes, sont les slogans favoris de l’ONU et des instances internationales, à la veille de scrutins en Afrique ou ailleurs. Dans le contexte malgache actuel, il semblerait qu’il s’agit là d’un pari, difficile à tenir.

Bernard Yves


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