Le début de l’engagement politique de Gisele Rabesahala -4-
Gisèle Rabesahala et ses premières expériences politiques au sein du MDRM : des élections législatives aux répressions post-insurrection -3-
6 janvier, par
En 1947 à Madagascar, l’insurrection contre l’oppression coloniale éclata le 29 mars. Les colonialistes français utilisèrent ce prétexte pour détruire le MRDM dans le cadre d’une politique de répression massive qui fit sans doute plus de 100 000 morts. A Paris, le conseil des ministres français dissout le MDRM, décision applaudie par « le Monde ». Puis une majorité de députés français vota la levée de l’immunité parlementaire des trois députés malgaches du MDRM afin que la justice française puisse les accuser à tort d’être des dirigeants de l’insurrection, qualifiée de machination des colonialistes par le MDRM. Cette répression fut une des étapes marquantes des premières années de l’engagement politique de Gisèle Rabesahala. Voici le rappel de ces événements dans la suite de l’article de Georges Radebason.
A la deuxième semaine du mois de mars, les rumeurs sur l’insurrection en gestation se précisent. Toutes les sources de renseignements confirment que l’insurrection éclatera le 29 mars (1). Les milieux coloniaux et le PADESM désignent le MDRM et ses leaders d’être responsables directs de cette initiative belliqueuse. L’administration coloniale, les militaires sont alertés des attaques imminentes contre les intérêts coloniaux sut tout territoire de Madagascar. La situation devient de plus en plus explosive.
Le MRDM appelle à s’abstenir de tout acte de violence
Le MDRM s’alarme aussi face à cette situation. Son état-major politique réuni le 27 mars décide de faire une communication informant les partisans et sympathisants qu’une insurrection se tiendra la nuit du 29 mars et que les membres du parti doivent s’en mettre à l’écart. Pour les leaders du MDRM, cette action sera dans le but de saboter la politique pacifique de leur mouvement. Ils envoient urgemment des messages, télégraphiques et à travers leur presse, à toutes les sections du MDRM, invitant tous les partisans à s’éloigner de tout acte de violence : « Urgent, prière diffuser et afficher texte, ordre impératif est donné à toutes les sections, à tous les membres MDRM, garder calme et sang froid absolus devant manœuvres et provocations toutes natures destinées à susciter troubles sein population malgache et à saboter politique pacifique du MDRM »
La nuit du 29 mars, l’insurrection se déclenche à Moramanga et à Manakara. Au lendemain de l’éclatement de l’insurrection, l’administration et le MDRM se renvoient la responsabilité de l’insurrection. L’administration coloniale et les milieux colonialistes désignent directement le MDRM comme responsable de la rébellion. Le 30 mars, par le biais de la Radio Tananarive, l’administration annonce que le MDRM est responsable des événements. Le Haut Commissaire de Coppet affirme que les résultats des enquêtes mettent en cause la responsabilité des membres du MDRM (2).
Les mensonges des colonialistes français et de son relais malgache, le PADESM
La Ligue de défense des intérêts franco-malgaches dans son mémorandum déposé à l’Assemblée nationale demandant la levée de l’immunité des trois députés malgaches précise que l’insurrection est l’œuvre du parti MDRM : « Nous disons que ce mouvement est l’œuvre d’une faction d’intellectuels Hova voulant rétablir sur l’île un gouvernement oligarchique à leur profit… Autres tribus, qui étaient jadis asservis par les Hova ont gardé un fort mauvais souvenir de cette domination et n’ont pas voulu suivre ce mouvement,… » (3).
Le PADESM dont ses militants constituent les cibles des insurgés partage le même avis que cette ligue en dénonçant la volonté du MDRM d’instaurer l’hégémonie merina : « Le massacre des chefs du PADESM de Vohipeno et autres endroits met en claire le but du MDRM. Ce parti veut restaurer le royaume hova comme nous l’avons déjà prévu depuis longtemps » (4)
« Le bureau politique du MDRM n’a jamais participé à la machination »
Quant au MDRM, les députés et les membres du bureau politique réunis d’urgence le 31 mars font une déclaration se désolidarisant à cette violence : « … Nous réprouvons de la façon la plus formelle ces actes de barbarie et de violence et nous espérons que la justice fera jaillir toute la vérité et déterminera la responsabilité de ces crimes. Nous tenons à protester avec indignation contre les accusations faites ou insinuées par une certaine presse à notre endroit et à l’égard de la politique de notre parti. Nous affirmons solennellement que le bureau politique du MDRM n’a jamais participé à la machination et à la réalisation de ces actes odieux… » (5).
Les cadres du parti soulignent que l’insurrection est un complot organisé conjointement par l’administration coloniale et les sociétés secrètes dans le but de démolir le MDRM. Dans leur déclaration, ils soutiennent que l’administration met en exécution les directives du ministre de la France d’Outre-mer de septembre 1946 en ordonnant les autorités locales de combattre le MDRM par tous les moyens (6).
Des centaines de militants du MRDM et d’otages exécutés sans jugement
L’administration passe à l’acte pour rétablir l’ordre. Dix districts de la côte Est impliqués directement à cette insurrection sont mis en état de siège (7). Des vagues de répressions s’abattent sur les populations dans des zones insurgées. Comme le MDRM est désigné par l’administration comme responsable de l’insurrection, elle procède aux arrestations massives des responsables et des simples membres du parti. Tous les militants du MDRM sont étiquetés comme insurgés.
Des milliers des militants du MDRM sont arrêtés dont nombreux sont exécutés sans être jugés comme les cas des militants du MDRM d’Ambatondrazaka fusillés à Moramanga, des centaines d’otages exécutés à Manakara et Mananjary. Le lieutenant Albert Randriamaromanana accusé d’avoir conçu l’attaque avortée de Tananarive est condamné à mort par le tribunal militaire et exécuté le 28 avril 1948. Le richissime malgache Samuel Rakotondrabe considéré comme le chef présumé de la rébellion est hâtivement exécuté après un simulacre de procès quelques jours avant l’ouverture du procès de Tananarive.
Cette exécution sommaire suscite la réaction des avocats des accusés et de la condamnation de l’opinion publique française. La répression contre les militants du parti ne se limite pas seulement dans les zones où il y a l’insurrection mais s’étend même dans les zones calmes. L’objectif de cette action de l’administration est de décapiter le MDRM.
Une majorité de députés français votent la levée de l’immunité parlementaire des trois députés de Madagascar
Le 10 mai, le MDRM est dissout sur tout Madagascar par le conseil des ministres tenu à Paris. Tous les journaux appartenant ou alliés au MDRM sont aussi interdits. Le journal Le Monde, un journal proche du gouvernement français, écrit que cette décision est bien accueillie par les Malgaches et les partis PADESM, PDM (Parti démocratique de Madagascar), MSM (Mouvement social malgache) : « La décision prise par le conseil des ministres de dissoudre le MDRM a été bien accueillie avec une vive satisfaction à Tananarive. On considère que l’action entreprise contre les mouvements terroristes Jiny et Panama, groupes d’action clandestin du MDRM sera ainsi facilitée. De leur côté, les dirigeants des partis malgaches modérés, PADESM, PDM, MSM donnent également leur approbation complète à cette mesure » (8). Cet article traduit la position du gouvernement français à la situation malgache selon laquelle le MDRM est le commanditaire de l’insurrection engagée par ses bras armés. Le gouvernement soutient la thèse qui établit l’interaction entre le MDRM et les sociétés secrètes responsables directes de la rébellion.
A partir du juin, l’administration procède aux arrestations des responsables du MDRM. Pour les trois députés, leurs immunités sont levées après un long débat parlementaire, ce qui a permis leurs arrestations. Quant à Raseta qui était en France bien avant l’éclatement de l’insurrection, il y est arrêté et transféré à Tananarive.
(à suivre)
Georges Radebason
(1) Jaques Tronchon, op. cit. p.38
(2) Lucile Rabearimanana, « Les événements de 1947 à Madagascar », in Omaly sy Anio, n°28, Antananarivo, 1988, p.155
(3) Mémorandum de la Ligue de défense des intérêts franco-malgaches à l’AN, La révolte de Madagascar en 1947, pp. 18-19
(4) Voromahery n° 41 du 15 mai 1947
(5) Jaques Tronchon, op cit, p.55
(6) Lucile Rabearimanana, op cit, p.156
(7) Il s’agit des districts d’Ambatondrazaka, Fianarantsoa, Ifanadiana, Mahanoro, Manakara, Mananjary, Moramanga, Nosy Varika, Vatomandry, Vohipeno
(8) Le Monde du 14 mai 1947, archives en ligne