Du meeting d’Andry Rajoelina à la démission de Marc Ravalomanana

Les 4 jours où tout a basculé à Madagascar

23 mars 2009, par Bernard Yves

Le 14 mars sur la place du 13 Mai fut une journée exceptionnelle pour les partisans de la démocratie et la foule venue en masse. En effet, depuis la tentative d’assassinat avortée contre le dirigeant du mouvement, Président de la Haute Autorité de la transition (HAT), Andry Rajoelina, c’était la première fois qu’il était réapparu en public. C’est le point de départ de quatre jours qui ont débouché sur la démission du gouvernement et du président de la République, et la légalisation par la Haute cour constitutionnelle des compétences de la Haute autorité de transition, chargée de diriger le pays en attendant l’organisation d’élections.

La veille, 13 mars, le Premier ministre de la Transition, Monja Roindefo, avait rencontré le Général Rabemananjara, Premier ministre de Marc Ravalomanana, et les deux responsables avaient planifié les modalités de passation. Ainsi il était acquis que le Premier ministre et son Gouvernement avaient mis fin à leur mandat.

Ce fut là une information que Andry Rajoelina livrait à la population sur la place du 13 Mai. Par ailleurs, ce même jour, le Gouvernement de Transition tentait une ultime démarche auprès de la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) en déposant auprès de cette institution une résolution lui demandant de statuer sur la déchéance de Marc Ravalomanana et le transfert de tous ses pouvoirs à Andry Rajoelina en tant que Président de la HAT, et le public fut également mis au courant.
Prit également la parole un collectif des plus hauts magistrats du pays, qui avaient décidé de rejoindre le mouvement populaire et avaient lancé des poursuites contre Marc Ravalomanana pour les crimes et délits qu’il a commis durant ses sept années au pouvoir.
Ces griefs ont été longuement évoqués tout au long de ces deux mois de crise ; ils relèvent de graves atteintes répétées à la Constitution, de la haute trahison, de crimes de sang, détournements des biens et deniers publics, etc… Ces hauts gradés de la magistrature donnaient un délai de 4 heures à Marc Ravalomanana pour déposer sa démission. Ces magistrats expliquaient que devant l’absence de la Haute Cour de Justice, pourtant prévue par la Constitution, qui n’a jamais vu le jour suite aux manœuvres de Marc Ravalomanana, ce dernier pouvait être poursuivi devant une juridiction pénale, selon la même procédure appliquée en 2003 contre les chefs d’institution du régime Ratsiraka.

Défection des membres de la garde présidentielle qui suivent les directives de l’armée, de la gendarmerie et de la police

Il est clair que Marc Ravalomanana ne dirige plus le pays, et qu’il a été dépossédé de tous les moyens d’assurer le fonctionnement normal de l’administration et la continuité de l’Etat, avec toutes les conséquences négatives que cela implique pour le quotidien de la population et l’ensemble de l’économie nationale. Les déclarations solennelles de tous les chefs de corps de l’armée, de la gendarmerie, de la police, qui refusent désormais de suivre les ordres de Ravalomanana et exigent sa démission, le prouvent amplement.
Il importe également de noter la défection d’un nombre important des membres de la garde présidentielle basée au Palais d’Iavoloha qui, dans une déclaration rendue publique, ont précisé qu’ils démissionnaient et rejoignaient leur corps d’origine, car ils ne pouvaient accepter les ordres donnés par un mercenaire “blanc” installé à Iavoloha, tout comme ils refusaient de collaborer avec des civils venus d’on ne sait où, affublés de tenues militaires. Ils dénonçaient dans leur déclaration la manœuvre concoctée par Marc Ravalomanana visant à prendre en otages les paysans alentour du Palais convoqués à Iavoloha pour le « défendre ». Ils accusaient ce dernier de vouloir assassiner ces civils afin d’en rejeter la responsabilité sur le mouvement de Andry Rajoelina et de l’armée.

Le président de l’Assemblée nationale demande à son tour la démission de M. Ravalomanana

Lors du meeting du 14 mars, un évènement imprévu a également retenu l’attention des auditeurs et de l’opinion, ce fut la présence de Jacques Sylla, président de l’Assemblée nationale, sur la tribune aux côtés de Andry Rajoelina ; Prenant la parole, Jacques Sylla, après avoir rappelé son parcours politique, devait conclure en substance que la démission de Marc Ravalomanana était une nécessité pour mettre fin à la crise.
Jacques Sylla n’est pas seulement chef d’institution, mais il fut aussi chef de la délégation désignée par Marc Ravalomanana pour le représenter lors des dialogues et rencontres initiées par le FFKM et le représentant du Secrétaire Général de l’ONU, qui ont réuni autour d’une table les protagonistes de la crise.

Les membres de l’Assemblée nationale qui sont en majorité membres du Parti de Ravalomanana, le TIM, étaient en réunion extraordinaire le lundi 16 mars pour définir leur position face à la situation actuelle, certains d’entre eux penchent pour la déchéance de Ravalomanana, et le soutien sans conditions à Andry Rajoelina et la Haute Autorité de la Transition, d’autres pensent à un empêchement de Ravalomanana qui impliquerait, selon la Constitution, qu’il serait remplacé provisoirement à la Présidence par le Président du Sénat, connu comme le bras droit de Ravalomanana et son « homme-lige ».
Le lundi 16 mars, sur la Place du 13 Mai, le Président Andry Rajoelina, répondant au projet de « referendum » souhaité par Marc Ravalomanana, déclarait que le referendum était un fait acquis et ses résultats connus dans tout Madagascar : Marc Ravalomanana doit partir.

La Ministre de la Justice qui devait précéder le discours de Andry Rajoelina annonçait que le mandat d’arrêt contre Marc Ravalomanana était lancé et que ordre était donné à toutes les autorités concernées, armée, officiers de justice, policiers, gendarmes, de procéder à son arrestation.
Le Président de la HAT a confirmé cette décision, en rendant par ailleurs hommage au courage des forces armées, gendarmerie nationale, police, qui se sont rangées aux côtés du mouvement populaire pour la Démocratie. Il a souligné la récente déclaration du Président de la COIF (francophonie) Abdou Diouf qui s’était indigné du comportement de certains dirigeants africains, disant « il faut savoir partir. Il ne faut pas s’accrocher au pouvoir ».

Un directoire militaire : issue de secours pour Marc Ravalomanana

Le mardi 17 mars, le mouvement de Andry Rajoelina ayant décidé de l’installer dans le Palais d’Ambohitsorohitra, une délégation s’y rendit conduite par Andry Rajoelina, accompagnée d’une foule nombreuse et précédée par les “mpiandry” religieux luthériens, spécialistes en exorcisme, qui entrèrent en premier dans les bureaux. Grande fut la surprise des civils, militaires, journalistes présents en découvrant tout un arsenal d’idoles et autres objets de culte païen abandonnés par Ravalomanana dans ce qui avait été son bureau. On se doute des commentaires suscités par ces découvertes qui ont levé le voile sur la réalité de la foi chrétienne affichée par l’ex-chef de l’Etat et néanmoins vice-président national de l’Eglise protestante FJKM.
Dans l’après-midi de ce mardi, à 13 heures, Marc Ravalomanana remettait ses pouvoirs à un Directoire militaire présidé par le Vice-Amiral Ramaroson Hyppolite et comprenant les généraux Rabarison Ranto et Rivo Hanitra Razafindralambo. Ces trois officiers supérieurs sont présentés comme les plus hauts gradés et les plus anciens au sein des forces armées malgaches.
L’ordonnance édictée par Ravalomanana précisait que ce Directoire militaire doté des pouvoirs du Président et du Premier ministre avait pour tâche de ramener le calme, promulguer le nouveau code électoral, la loi sur les partis politiques, et annonçait la dissolution du Gouvernement Rabemananjara.
Le FFKM (Confédération des Eglises chrétiennes) convoquait donc à 15h au siège de l’Episcopat, à Antananarivo, les représentants de la Communauté internationale, Andry Rajoelina et ses accompagnateurs, les délégués de Marc Ravalomanana, les représentants des Forces armées et les officiers supérieurs désignés comme membres du Directoire militaire pour leur donner lecture de cette décision de Marc Ravalomanana.

Le drame évité de justesse

Dès cette annonce, Andry Rajoelina quittait aussitôt la salle de réunion, et des militaires présents exprimèrent leur désapprobation, certains emportés par la colère étaient prêts à faire parler leurs armes.

Le Chef de l’Etat Major Général des armées (CEMGAM) arrivé sur les lieux s’engageat à calmer les esprits, et les militaires emmenèrent au camp CAPSAT les trois officiers supérieurs, ainsi que le Président de l’église FJKM (membre de la délégation du FFKM), hué par la foule accourue nombreuse autour du siège de l’Episcopat. Il était connu depuis le début de la crise que les civils et surtout les militaires s’opposaient fermement à la mise en place d’un Directoire militaire. Tous étaient conscients qu’il s’agissait pour Marc Ravalomanana d’une ultime manœuvre pour conserver le pouvoir par militaires interposés.
Se tint alors une réunion entre les trois membres désignés du Directoire militaire, les chefs de corps des forces armées, le Colonel chef du CEMGAM, le représentant de Marc Ravalomanana. Elle durait jusque tard dans la nuit. À l’issue de vives discussions, les trois membres du Directoire militaire confirmaient qu’ils s’opposaient à la mise en place d’un Directoire militaire et qu’ils transféraient à Andry Rajoelina et au gouvernement de la Transition les pouvoirs qui leur avaient été conférés par l’ordonnance de Marc Ravalomanana.
Le lendemain, la Haute Cour Constitutionnelle rendait son verdict suite à la résolution déposée par la Haute Autorité de la Transition, et à la saisine du Directoire militaire.
Ainsi, à partir de ce moment, Andry Rajoelina est devenu de manière tout à fait légale le Président de la Haute Autorité de la Transition (HAT), seule autorité habilitée à représenter dans tous les domaines l’Etat malgache à l’intérieur du pays comme à l’étranger.
Mais tout le monde est conscient que si la crise a été surmontée, les problèmes à gérer dans les deux années à venir sont légion. Pour de nombreux observateurs locaux, le peuple malgache a montré par son courage et sa détermination qu’il a acquis de haute lutte son droit à la liberté, la justice sociale et à la Démocratie.

B.Y.


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Messages

  • Quel challenge où il faudra à Andry TGV plus qu’une équipe de spécialistes, de démocrates, de bénévoles, de mécénats mais en même temps tous malgaches et PRO-MADA plutôt que pro-Ra8 , pro-TGV ou pro-fiteurs.
    Quel challenge ? la reconciliation d’un peuple depuis l’électeur jusqu’au Président où il faudra donner la connaissance au premier de la nouvelle constitution ( en malgache pour éviter toute confusion) et du renouvellement des listes electorales jusqu’à la reconnaissance des instances élues et ce jusqu’au Président, lors du prochain vote ou référendum sans lequel Madagascar serait mis au banc des laissers-pour-compte.
    Tout ça que pour la Démocratie. Tout est possible mais que de travail.


Témoignages - 80e année


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