Les “délestages” attisent la contestation qui prend une tournure politique

De notre correspondant permanent Bernard Yves

2 mai 2007, par Bernard Yves

Voici une quinzaine de jours que des manifestations secouent les chefs-lieux de province. C’est à Antsiranana (Diégo-Suarez) qu’ont éclaté les premières contestations qui ont jeté les étudiants et opérateurs nationaux dans les rues de la ville. Ces mouvements qui ont connu une réelle affluence ont été suivis par les étudiants et la population de Mahajanga et de Toliara.

Le principal motif de la colère populaire réside dans les délestages (coupures de courant) de plus en plus fréquents opérés par la Société Nationale JIRAMA, en particulier dans les villes de Province.

En effet, ces coupures quotidiennes pénalisent durement la population, notamment les étudiants qui entrent dans la période d’examens. Ces coupures d’électricité et d’eau durent plusieurs heures par jour, parfois plusieurs jours (15 jours à Tuléar). Dans les campus déjà délabrés, faute d’entretien, les étudiants ne peuvent plus faire leur popote, étudier ou réviser. Dans ces villes prisées par les touristes étrangers, les opérateurs sont au bord du désespoir, leurs affaires étant en voie de péricliter.

Partout ou sévissent les “délestages”, le prix du chargement des téléphones mobiles, du charbon de bois utilisé par les foyers, des produits de première nécessité est montés en flèche, aggravant la pauvreté.

Devant la passivité des dirigeants de l’Etat, qui se renvoient la balle et promettent une amélioration “partielle” en juillet prochain (?), le ras-le-bol a emmené les étudiants et la population à manifester dans les rues. Ces mouvements ont causé des affrontements entre forces de l’ordre et manifestants, actes de vandalismes et de violences etc..... A Tuléar, les étudiants ont pris en otage le gardien-chef de la prison dont le domicile est proche du campus universitaire. Des commerces ont été saccagés. A Majunga, les manifestants ont vidé de leur contenu les chambres de leurs camarades originaires des Hauts-Plateaux, du Cameroun, des Comores. Aux dernières nouvelles, des Parlementaires (député, sénateur) et des dirigeants de Partis ont été arrêtés. Ils appartiennent pour la plupart à l’opposition.

Tournure politique

Si la crise perdure, les observateurs redoutent que les démons de l’ethnicisme et du tribalisme prennent le dessus sur toute autre considération.

Dans les villes concernées par la contestation, à la pénurie d’électricité s’ajoute le retard fréquent dans le paiement des bourses des étudiants qui alimente aussi leur colère.
Par ailleurs, à Toamasina, c’est l’arrestation et la détention du Maire Roland Ratsiraka qui entretient le ressentiment de la population.

Notons à ce sujet la déclaration d’une composante de la Société Civile le SEFAFI (Plate-forme d’observation de la vie publique) qui souligne dans un communiqué que l’opinion publique manque d’information sur cette arrestation du Maire d’une des plus grandes villes du pays, et en troisième position lors de la dernière élection présidentielle. « Quelle est la qualification exacte des faits reprochés au suspect ? », s’interroge le SEFAFI.

Lors de l’arrestation de Roland Ratsiraka et de son transfert musclé à la prison d’Ambalatavoahangy (Toamasina), une foule énorme était venue lui exprimer sa solidarité. Jets de pierres d’un côté, grenades et lacrymogènes de l’autre, ont ponctué ce parcours, et le pouvoir en fut réduit à classer “zone rouge” les artères longeant la prison.

A Sambava (région de la Sava, Province d’Antsiranana), détruite à 80% par les derniers cyclones, la population a manifesté dans les rues, sous la conduite d’élus et dirigeants politiques, transfuges du parti présidentiel TIM. Ils dénoncent la manipulation du scrutin référendaire du 4 avril dernier, qui avait donné le “oui” gagnant alors que les électeurs de la ville avaient majoritairement vote pour le “non”.

Les partis et groupements d’opposition tels “La plate-forme des partisans du NON” l’UFN (Union des Forces Nationale qui a pris la relève des 3FN) regroupant ensemble plusieurs dizaines de partis, ont tous élevé la voix pour condamner l’arrestation du Maire de Toamasina, et ils insistent pour que le pouvoir privilégie la concertation et le dialogue plutôt que la répression qui risquerait de déboucher sur une explosion généralisée.

La communauté internationale critique

Outre ces prises de position, des acteurs nationaux, les déclarations des représentants de la Communauté Internationale qui tranchent sur leurs comportements passés ont également retenu l’attention.

Au début du mois d’avril 2007, le Conseil d’administration de la Banque Mondiale avait examiné les grandes lignes du soutien de cette institution à Madagascar de 2007 à 2011.

Le document y afférent note entre autres que « la stabilité politique et économique est mise en danger quand le pouvoir et les richesses sont aux mains de quelques privilégiés. Le défi est de réduire la possibilité d’user de la puissance publique pour des bénéfices économiques... ».

A propos de la gouvernance, ce document de la Banque Mondiale relève que « La concentration des pouvoirs au sein de la Présidence a conduit à la faiblesse du mandat des ministres ».
Cette mise en garde devrait interpeller le pouvoir.

Le 25 avril dernier, l’Union européenne est à son tour montée au créneau à l’occasion de l’inauguration d’un nouveau bâtiment, construit avec son concours, dans l’enceinte de la Haute Cour Constitutionnelle. La HCC proclamait ce jour les résultats officiels du scrutin référendaire du 4 avril 2007.

Prenant la parole, l’Ambassadeur Boisdin exprimait le souhait de l’Union européenne afin que Madagascar s’engage dans des changements en vue de l’amélioration du climat électoral. Il a notamment cité l’instauration du bulletin unique, l’ouverture des médias officiels aux opposants, le changement de la Commission Nationale Electorale (CNE), afin d’assurer l’impartialité de cette structure chargée de contrôler les élections.

Il semble toutefois que le pouvoir n’ait pas encore pris la mesure de la situation qui prévaut actuellement. De retour d’Allemagne, le Président Ravalomanana, interrogé par les journalistes, affirmait que les grèves n’arrêteraient pas son engagement à poursuivre les objectifs du MAP (Madagascar Action Plan). Toutefois, au cours de son voyage en RFA, probablement informé par son entourage des manifestations dans les provinces, il a annoncé que les 22 régions nouvellement créées par la Constitution amendée auraient chacune leur ministre, leur chef de région, etc...

Cette décision personnelle du chef de l’Etat est-elle réalisable, et quelles en seront les conséquences pour l’efficacité des structures étatiques ? Quid des bouleversements dans l’organisation, le déploiement des ressources humaines, les finances publiques ?

Pour le moment, c’est la recherche de solutions urgentes pour apaiser la colère populaire dans les provinces qui retient l’attention des observateurs inquiets pour l’avenir du pays.

Bernard Yves


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