Les requins
25 novembre, par
Les requins, ces créatures des bas-fonds, ont muté. À Diego, il est possible de les trouver en shorts à fleurs et en chemises débraillées, le regard dissimulé derrière des lunettes de soleil hors de prix.
Les requins ne chassent plus le poisson, mais l’innocence, s’enroulant autour des misères locales comme un filet perfide. Anciens soldats de la respectabilité, ils reviennent en conquérants d’une terre appauvrie où le mot « non » se négocie avec une poignée de billets froissés.
Le Code pénal malgache, dans sa dignité austère, stipule, via l’article 333, que toute atteinte aux mœurs publiques et à l’exploitation sexuelle est punissable. Mais qu’en est-il lorsque le prédateur camoufle son appétit derrière des promesses de paradis et des sourires éclatants ? Les sirènes des clubs battent la cadence, et entre deux coupes de rhum, le requin scrute sa proie, l’estomac prêt à dévorer l’âme.
D’ailleurs, ces Balthazar modernes se plaisent à murmurer entre deux silences complices : « Ici, on fait ce qu’on veut tant qu’on paye. » Mais que vaut la justice d’un pays où la clameur de la pauvreté étouffe les avertissements des juges ? Leurs victimes, souvent jeunes, parfois à peine conscientes d’être prises dans l’engrenage, deviennent des chiffres dans les statistiques des institutions déjà trop fatiguées pour compter.
Le soleil se couche sur Diego, et les ombres s’allongent comme des tentacules de pieuvre, happant la nuit. Les requins, eux, se déplacent, bien nourris et rassasiés, la conscience légère et le portefeuille vidé, mais le cœur battant du plaisir d’avoir trouvé l’impunité.
Et pendant que la mer murmure à l’oreille des pêcheurs que le vent changera, combien d’autres verront encore leurs rêves échangés contre un destin aux dents acérées ?
C.K