Le coup de “l’arroseur arrosé” dans une affaire de violences électorales jugée au tribunal de Saint-Pierre

« J’ai été manipulé par Paul Técher »

27 août 2004

Devant le tribunal correctionnel de Saint-Pierre hier matin, Sully Boyer ne passe pas par quatre chemins et donne sa version des faits qui se sont déroulés le 18 mars dernier à Cilaos, en pleine campagne électorale : « J’ai été manipulé par Paul Técher, Yannis Yebo et François Vige ».
Des faits qui, à deux jours du scrutin, n’ont pas manqué de semer le trouble dans l’esprit des électeurs. D’autant que “le JIR”, alimenté par le camp de Paul Técher, est revenu à deux reprises sur cet incident.

"Coups de feu à Cilaos, un partisan de l’ancien maire blesse deux militants de Paul Técher", titrait “le Journal de l’île” dans son édition du 19 mars dernier. En pleine campagne électorale, l’affaire fait grand bruit dans le cirque. Et dans ce qui apparaît comme une altercation entre partisans de camps opposés, “le JIR” donne une version pour le moins particulière et partisane.
Le lendemain, dans son édition du 20 mars, soit la veille du scrutin, “le JIR” remet ça, avec cette fois une photo de la “victime” et parle d’un "chatouilleux de la gâchette" qui "passera en correctionnelle".
Hier, l’auteur présumé des coups de feu, Robert Barret, sympathisant de Jacques Técher, et sa “victime”, Sully Boyer, se sont retrouvés devant le tribunal correctionnel de Saint-Pierre, où l’on a eu droit au coup de “l’arroseur arrosé”. Devant le tribunal, Sully Boyer a expliqué aux juges les circonstances de l’affaire et a clairement pointé du doigt le maire de Cilaos, Paul Técher, un de ses adjoints, Yanis Yebo, et François Vige ; ce dernier étant, dans l’organigramme de la mairie de Cilaos, “conseiller juridique” du maire...

Le convoi de Jacques Técher attaqué

Interrogé par les juges, Sully Boyer a rappelé le déroulement des faits et, à la sortie du tribunal, nous a expliqué ce qui s’était réellement passé. "Le soir du jeudi 18 mars, on rentrait d’un meeting et on arrivait au QG de Paul Técher, rue du docteur Manès, quand nous avons entendu la sono du convoi de Jacques Técher, qui arrivait dans la rue du Père Boiteau...".
Pour la bonne compréhension des choses, signalons que la rue du Père Boiteau est la rue principale de Cilaos, que la rue du docteur Manès est une rue perpendiculaire, et que la permanence de Paul Técher se situe à plus d’une centaine de mètres de là.
Sully Boyer poursuit : "Avec plusieurs personnes, on est alors venu sur la rue principale. Au fur et à mesure que les voitures passaient, on insultait les partisans de Jacques Técher. Et lorsque la voiture de Robert Barret est passée, tout le monde a couru dessus...".
Là encore, il faut resituer les faits : pourquoi la voiture de Robert Barret et pas une autre ? Tout simplement parce que Robert Barret, employé communal, a choisi, et ce depuis longtemps, la camp politique opposé, celui de Jacques Técher. D’ailleurs, depuis plusieurs jours, le bruit courait que Robert Barret, que tout le monde à Cilaos appelle “Roro”, était dans le collimateur et qu’il se préparait quelque chose contre lui.
L’agression dont il est victime lorsque sa voiture passe devant la permanence de Paul Técher ne doit donc rien au hasard...

"Coups de feu en l’air"

Sully Boyer explique qu’il se souvient bien de ce qui s’est alors produit : sa voiture est bloquée, des gros bras de Paul Técher l’insultent, tapent sur sa voiture, et une chopine de bière est lancée sur son véhicule par un certain Willy (qui curieusement a disparu de la procédure et n’a jamais été entendu)...
À ce moment-là, “Roro”, toujours au volant de son véhicule - à bord duquel se trouvent ses enfants -, sort un pistolet à grenaille et, selon les propos de Sully Boyer, "tire deux coups de feu en l’air".
Les détonations provoquent un mouvement de panique et, poursuit Sully Boyer, dans la bousculade, il perd l’équilibre, chute lourdement. Dans cette chute, son bras droit heurte la lunette arrière du véhicule de Robert Barret qui vole en éclats.
C’est donc de cette manière qu’il se blesse au bras et non, comme l’affirmait de manière péremptoire “le JIR”, "par une décharge de petits plombs".

"Le maire m’a dicté ce qu’il fallait dire aux gendarmes"

La suite de l’histoire, telle que la raconte aujourd’hui Sully Boyer, met en évidence le rôle joué dans toute cette affaire par Paul Técher, par son adjoint Yannis Yebo et par François Vige, “conseiller juridique” du maire.
Après l’altercation, Sully Boyer et ses amis retournent à la permanence de Paul Técher, à plus de cent mètres du lieu de l’agression, avec le bras ensanglanté. De la permanence du candidat Paul Técher, les gendarmes sont alertés et là, explique Sully Boyer, "on m’a dit qu’il fallait faire croire que j’avais été blessé par Robert Barret, qu’il avait tiré sur moi".
Dans la foulée, c’est Paul Técher qui appelle le docteur Vian, son remplaçant à son cabinet, et fait établir un certificat médical. Sully Boyer, lui, sera ensuite soigné à l’hôpital du cirque par le même docteur Vian et, après être revenu à la permanence de Paul Técher, rentre chez lui.
"Le lendemain (NDLR : le vendredi 19 mars), poursuit Sully Boyer, le maire, Yannis Yebo et M. Vige m’ont dit qu’il fallait porter plainte, que je n’avais pas à m’inquiéter". D’autant que le certificat médical établi par le docteur Vian fait état d’une ITT de huit jours.
"C’est Paul Técher qui a dit ce qu’il fallait mettre sur le certificat médical", précise Sully Boyer.
Sur les conseils de Paul Técher et de ses amis, Sully Boyer va donc aller déposer plainte à la brigade de gendarmerie de Cilaos. Mais avant d’aller chez les gendarmes, Paul Técher l’appelle. Pourquoi ? "Le maire m’a dicté ce qu’il fallait dire aux gendarmes", affirme Sully Boyer, qui va encore plus loin dans ses déclarations en affirmant : "On m’a fait comprendre que si je faisais condamner “Roro”, je n’aurais plus d’inquiétude pour mon avenir". Et donc, devant les gendarmes, il récite une leçon bien apprise...
Le samedi 20 mars, veille du scrutin, “le JIR” revient sur l’affaire et publie une photo de Sully Boyer avec un gros pansement sur le bas droit. Pourtant, se souvient Sully Boyer, à aucun moment un journaliste du “JIR” ne l’a appelé et aucun photographe du journal n’a mis les pieds dans le cirque. Et pour cause : c’est François Vige qui le convainc de se laisser prendre en photo et fait parvenir le cliché au “JIR”... Ainsi, l’intox était parfaite et la boucle était bouclée...

"Je ne veux pas faire condamner un innocent"

Lorsqu’il reçoit sa citation à comparaître devant le tribunal de Saint-Pierre, Sully Boyer avoue qu’il commence sérieusement à se poser des questions. "Plus le temps passait, plus je me disais que j’allais faire condamner un innocent, un père de famille et je voulais pas vivre avec ce poids sur la conscience. J’ai donc décidé de tout avouer, de raconter tout ce qu’on m’a demandé de dire...".
Même s’il n’avait fait part qu’à un petit cercle d’intimes de son intention de rétablir la vérité devant le tribunal, Sully Boyer affirme avoir fait l’objet de pressions de la part de la municipalité... au sein de laquelle il est emploi-jeune. Il a d’ailleurs fait l’objet récemment d’un déplacement inexpliqué.
Il est vrai que dans la mentalité de certains élus comme Paul Técher, un employé communal “ça ferme sa g... et ça obéit”. Donc, pour avoir osé dénoncer ce qu’il appelle lui-même une "manipulation", Sully Boyer risque dans les jours et semaines à venir d’être victime de représailles.
Dès ce matin, il sera présent à son poste de travail et avoue qu’il s’attend à être victime de pressions. Mais il ajoute : "On verra bien. Mais ce que je sais, ce que je peux dire, c’est que j’ai la conscience tranquille, je sais que je n’ai pas fait condamner un innocent comme on me le demandait. J’ai soulagé ma conscience, j’ai dit la vérité, et c’est ça l’essentiel".

S. D.


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