L’“Express de Maurice”

L’île indigente

6 octobre 2006

L’île Maurice s’est taillée, durant le dernier quart de siècle, le profil d’une nation fière et résiliente, qui occupe une place bien plus prépondérante à l’échelle internationale que ne justifie son statut d’État confetti. C’est donc une scène burlesque qu’offrent au monde, ces jours-ci, cette petite nation altière et son non moins superbe ministre des Finances, Rama Sithanen, quand celui-ci prend son bâton de pèlerin et sa cape de mendiant pour parcourir les capitales internationales en quête d’aumône pour sauver le pays des disettes qui se pointent à l’horizon.

À l’occasion de son discours budgétaire, Rama Sithanen n’a pas caché que s’il poussait l’ouverture de l’économie nationale aussi loin malgré le coût budgétaire, c’est qu’il s’attend à un retour d’ascenseur de la communauté internationale : "We expect the international community to respond positively, rapidly and significantly to the strong efforts we have made to move from preferences to global competitiveness. The availability of concessional funding and external partner support will determine the success of the major reform we are embarking upon". (Nous attendons de la communauté internationale qu’elle réponde positivement, rapidemment et significativement aux efforts que nous avons faits pour nous rapprocher des critères de compétitivité. La disponibilité des fonds alloués et l’aide des partenaires extérieurs détermineront le succès de la réforme dans laquelle nous nous sommes engagés.)
Il est indéniable que les carottes seront, dès 2009, aussi cuites qu’elles ne l’ont jamais été depuis le miracle des années 80. L’impact des quatre milliards de manque à gagner au sein de l’industrie sucrière ainsi que l’érosion causée dans l’Export Processing Zone, suite au démantèlement de l’Accord multi fibre, créent des ondes de choc aptes à mettre le pays à genou. Cette détérioration massive de nos terms of trade arrive au moment même où notre ressort interne est au plus bas : à 14% du Produit intérieur brut (PIB), notre propension à l’épargne est à son niveau le plus anémique depuis 25 ans alors que l’apport du secteur privé au moteur économique est également d’une déficience chronique avec un taux d’investissement privé de 15% du PIB.

L’espoir du Fonds européen de développement

Cependant, le temps de l’assistanat est bel et bien révolu pour Maurice. S’il fallait une preuve qu’avec nos 5.300 dollars de PIB par habitant, le tigre de l’océan Indien ne peut prétendre être le plus indigent de la planète, on pourrait jeter un coup d’œil sur la République démocratique du Congo qui a, le week-end dernier, connu ses premières élections depuis l’indépendance. Ravagé par des guerres internes et externes qui ont causé la mort de quelque 4 millions de civils, ce pays de 50 millions d’habitants a perdu toute son infrastructure. Et pourtant, même une impasse aussi tragique n’a pu délier la bourse des bailleurs de fonds internationaux au-delà d’un prêt à taux préférentiel d’un milliard de dollars (30 milliards de roupies).

Quand on sait que le PIB annuel du Congo par habitant est de 70 dollars (6 roupies par jour) et que le conflit au sein de ce pays risque de faire éclater tous les pays des grands lacs, on réalise qu’il sera difficile à Rama Sithanen d’attendrir les bailleurs internationaux sur notre sort au point de les faire casquer les 150 milliards de roupies (5 milliards de dollars) jugés nécessaires pour éviter que l’économie mauricienne ne pique du nez.

L’opulence relative de Maurice a fait que nous ne sommes plus éligibles aux prêts bonifiés recherchés par le ministre des Finances. L’International Development Agency, la “soft lending arm” de la Banque mondiale (BM) qui est la source essentielle de crédit de la majorité des pays africains, a engagé son dernier prêt au pays en juillet 1974. Nous ne pouvons aujourd’hui emprunter qu’à des taux commerciaux de la BM.

L’Agence française de développement a, elle, effectué ses derniers prêts bonifiés à l’occasion du tout-à-l’égout de Grand-Baie vers le début des années 2000. En ce qui concerne les mesures d’accompagnement de l’Union européenne, même les optimistes les plus incorrigibles commencent à réaliser que la tranche mauricienne des mesures d’accompagnement n’excèdera pas le plafond des 15% qui nous a été fixé par Bruxelles.

Nous savons d’ores et déjà que l’apport pour 2006 sera d’environ 260 millions de roupies alors qu’en 2007, il sera d’un milliard. Il restera alors l’espoir attaché au 10ème Fonds européen de développement d’aide aux pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ainsi qu’une allocation supplémentaire nommée “tranche indicative” d’appui budgétaire dont l’enveloppe sera connue en 2007.

Une stratégie déroutante

Devant cet état de choses, Rama Sithanen tente l’impossible. Ainsi, l’une de ses récentes initiatives, appuyée en l’occurrence par le Premier ministre, était de faire revenir certaines agences de financement en essayant de les convaincre qu’une dérogation à la règle qui exclut les pays aisés aux taux bonifiés est justifiée dans le cas de Maurice.

L’opulence relative de Maurice a fait que nous ne sommes plus éligibles aux prêts bonifiés recherchés par le ministre des Finances. Le ministre des Finances aurait cependant intérêt à bien mesurer les risques qu’il prend en utilisant une telle stratégie. Il existe dans ce nouveau monde de diplomatie économique une tendance de plus en plus marquée chez certaines ambassades qui, prenant Maurice pour l’Afrique, leur terrain de prédilection, démontre un tel mépris pour les règles transparentes de passation de marché qu’elles n’hésitent pas à pousser l’indélicatesse jusqu’à intervenir en faveur des prestataires de service du terroir quand ceux-ci ont raté un juteux contrat d’infrastructure de l’État mauricien.

C’était du reste ce qui nous avait incité à jeter l’éponge et à démissionner de la Wastewater Management Authority (WMA) comme nous l’avions alors déclaré à l’“Express” : "Dû au manque de retenue de certaines ambassades qui, en s’immisçant dans les affaires de la WMA, oublient un peu trop facilement leur devoir de réserve et le respect de la bonne gouvernance". Cette tendance scélérate, pour “diplomatique” qu’elle soit, se dessine surtout chez ceux qui se revendiquent des pays dits de peuplement.

Mais au-delà même de ses visées de pèlerin indigent, il y a une stratégie qui se dessine dans l’esprit du grand argentier qui ne peut que dérouter son audience. C’est entendu, la machine économique a été huilée de sorte à atteindre une performance adéquate dans 3 ou 4 ans. En attendant, on tend la main aux bienfaiteurs internationaux. Mais au cas où tout cela ne réussissait pas à atteindre le but recherché, le gouvernement mauricien s’apprêterait à emprunter 150 milliards de roupies pour remettre le pays sur pieds.

Or, la plus grande contrainte macro-économique du pays, au-delà même de notre perte de préférence, est une dette gouvernementale qui consomme près de 30% des dépenses courantes du gouvernement. Cependant, le “silver lining of thatvery dark cloud” est que la part du lion de cette lourde ardoise consiste en une dette interne de 105 milliards de roupies alors que la dette externe se situe, elle, à 25 milliards seulement. Rama Sitanen, l’homme qui sait le mieux compter dans ce pays, veut aujourd’hui renverser cet équilibre en ajoutant 150 milliards de roupies à notre dette externe.

De 13% du PIB aujourd’hui, le ministre des Finances compte pousser notre redevance vis-à-vis du monde extérieur à près de 90% du PIB au moment même où les taux d’intérêt pointent vers la hausse et la monnaie locale s’apprête à une belle descente pour amortir le choc des pertes de préférences commerciales. Si ce n’est pas flirter avec l’insolvabilité, ça y ressemble étrangement.

Jean-Mée Desveaux


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