Plus de 800 millions d’euros perdus en 10 ans pour Maurice

’La décision de l’UE intervient au pire moment’

29 novembre 2005

Samedi, le vice-Premier ministre mauricien a tenu une conférence de presse où il a exprimé la position de son gouvernement suite à la décision prise par le Conseil des ministres de l’Union européenne. Le 24 novembre dernier, Bruxelles a annoncé une baisse de 36% sur 4 ans du prix du sucre. Cette baisse s’applique à Maurice, et elle arrive au moment où d’importants investissements sont nécessaires pour moderniser une industrie qui fait vivre directement ou indirectement 60.000 personnes.

À Maurice, les réactions sont très pessimistes quant aux conséquences de la baisse du prix du sucre. "Les formules comme “coup de massue” ne sont pas assez fortes", selon le vice-Premier ministre mauricien Rashid Beebeejaun, cité par “L’Express”. Et notre confrère écrit que "la baisse de revenus que promet la décision de l’UE intervient au pire moment".
Samedi, Rashid Beebeejaun a estimé publiquement la perte à 30 milliards de roupies, soit environ 850 millions d’euros, pour les 10 prochaines années. Pour le Premier ministre par intérim, cette baisse de revenus intervient au pire moment. "Il a été estimé que l’industrie sucrière aura besoin de 23,5 milliards de roupies pour financer sa modernisation et sa restructuration en profondeur", écrit “L’Express”. 23,5 milliards de roupies représentent environ 670 millions d’euros.

Déception

"C’est au moment où on a le plus besoin d’argent qu’on en perd le plus", affirme Rashid Beebeejaun pour qui les formules telles que “coup de massue” "paraissent faibles pour qualifier l’impact de la baisse annoncée par l’Union européenne", écrit “L’Express”. Le Premier ministre par intérim n’est pas tendre avec Bruxelles : "Cette décision laisse un goût amer pour Maurice et au groupe Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP). L’Union européenne s’est sucrée à nos dépens. Les betteraviers européens ont obtenu un joli package. Les producteurs de sucre européens ont obtenu 7,5 milliards d’euros de compensation sur 4 ans. Les producteurs de sucre des ACP n’ont obtenu que 40 millions d’euros à partager entre 18 pays".
Selon “L’Express”, le chef du gouvernement par intérim estime que l’un des enjeux de la prochaine bataille doit être l’obtention de mesures d’accompagnement de l’UE pour financer la restructuration de l’industrie.
"Avec la décision de jeudi, il va sans dire que les mesures d’accompagnement évoquées par la Commission européenne revêtent toute leur importance. C’est la clef de la transformation de l’industrie sucrière", explique-t-il dans les colonnes de l’hebdomadaire mauricien “Week-end”. "À ce niveau, les consultations entre le Premier ministre et Tony Blair, d’une part, et avec le président Chirac devraient être déterminantes". En ce qui concerne l’OMC, Maurice envisage d’intensifier ses démarches pour que le sucre soit inclus dans la liste des produits sensibles.

Un traitement spécial ?

C’est l’autre axe du combat que mènera Maurice : faire reconnaître à l’Organisation mondiale du commerce la nécessité d’"un traitement spécial pour le sucre. L’objectif est de le faire classer comme un produit sensible". "Cela permettra à de gros importateurs comme l’UE de prendre des mesures de sauvegarde pour prévenir toute invasion de son marché par de grands pays producteurs de sucre", indique “L’Express” selon qui "l’idée de base est que le sucre en provenance de pays ne faisant pas partie du groupe ACP soit plus lourdement taxé de droits de douanes".
"Ce n’est pas la fin. C’est peut-être une occasion de tout refaire et de redémarrer sur de nouvelles bases. L’avenir du sucre est sombre, mais il faut revaloriser l’avenir de la canne", dit Rashid Beebeejaun à “L’Express”. "Sur le plan local, nous devrions accélérer la mise en opération du plan de réforme alors qu’une révision de la stratégie commerciale est également nécessaire", affirme Rashid Beebeejaun à nos confrères de “Week-end”.
"Le PM p.i. fait sans doute allusion aux alternatives d’exploitation de la canne pour produire de l’énergie électrique à partir de la bagasse ou de l’éthanol", écrit “L’Express”.
Enfin, Rashid Beebeejaun a annoncé samedi que le ministre mauricien de l’Agriculture doit présenter aujourd’hui à l’Assemblée un plan d’action pour assurer la pérennité de l’industrie sucrière.


Sucre : une caution pour la stabilité sociale remise en cause à Maurice

5% en 2006-2007, 5% en 2007-2008, 15,6% en 2008-2009 et 36% en 2009-2010 : tel est l’échelonnement de la baisse du prix du sucre que Maurice exporte vers l’Union européenne. Sur cette base, “L’Express” a interrogé plusieurs experts qui font part de leurs prévisions sur l’impact de la réforme du marché sucrier européen décidé à Bruxelles. Extraits.

"Les recettes sucrières s’écroulent. Le secteur sucre est menacé d’effondrement irrévocable suite à l’annonce de la baisse de 36% du prix du sucre. Sans compter les répercussions sur les autres secteurs de l’économie, qui seront très significatives.
Le pays prend conscience du choc sucrier. Chez les producteurs comme chez les dirigeants politiques, l’inquiétude grandit tandis qu’un scénario de crise sucrière se dessine à l’horizon. (...) Un tel scénario sonne le glas de l’industrie. L’économie dans son ensemble vivra très mal cette situation. "Il y aura d’abord un manque à gagner très important en termes de recettes d’exportation. Ce qui aura des effets multiplicateurs négatifs sur l’ensemble de l’activité économique et entraînera une diminution de la production nationale, qui elle-même influera négativement sur la croissance économique", prévient l’économiste Eric Ng, directeur du cabinet PluriConseil.

60.000 personnes

Le sucre a une dimension multifonctionnelle dans la société mauricienne. Outre l’apport en devises étrangères à l’économie, son maintien représente dans une large mesure une caution pour la stabilité sociale et politique ainsi que pour la poursuite du développement rural. Quelque 60.000 habitants de villages principalement sont directement ou indirectement engagés dans l’industrie sucrière.
La baisse représente un manque à gagner de plus de Rs 3,6 milliards par an (NDLR - environ 85 millions d’euros), soit plus d’un tiers des revenus sucriers. "Une baisse de 36% est trop élevée et insoutenable si rien n’est fait. Cela démontre l’urgence de la réforme au niveau local. Le statu quo mènera vers la catastrophe. Il faut accélérer la réforme si nous voulons que le secteur sucre reste une activité économiquement viable", s’inquiète Jean Li, secrétaire général de la Chambre d’agriculture.

Plus de 600 millions d’euros pour restructurer

La “sugar diplomacy” a encore une dernière carte à jouer à Bruxelles, celle en faveur des mesures d’accompagnement fortes. L’Europe devrait contribuer financièrement aux efforts de l’industrie mauricienne pour demeurer compétitive. La restructuration et la modernisation nécessiteront des investissements de l’ordre de Rs 23,5 milliards sur les dix prochaines années selon la feuille de route de la réforme. Mais avec la baisse de recettes, l’industrie ne sera pas en mesure de mobiliser de telles sommes. Il faudra compter sur les enveloppes d’aide pour obtenir les financements nécessaires.
Le ministre de l’Agro-industrie, Arvin Boolell, explique la marche à suivre du gouvernement face à la crise qui menace. Maurice va jouer sur trois tableaux : maintenir la pression sur Bruxelles pour obtenir le meilleur arrangement possible sur le plan des enveloppes d’aide destinées à compenser les manques à gagner et à financer la modernisation et la réorientation de l’activité sucre ; engager un lobbying au niveau de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour inclure le sucre sur la liste des produits sensibles ; et accélérer la restructuration de l’industrie."

(Source “L’Express”)


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